“Le secteur bancaire privé est sérieusement challengé”

Le groupe bancaire français a décidé, voici quelques jours, de céder ses activités belges de banque privée à ABN Amro. © REUTERS

Le rachat par ABN Amro des activités belges de banque privée du groupe bancaire français Société Générale en atteste : bousculé par l’avalanche de nouvelles réglementations et les innovations technologiques, le secteur de la gestion de fortune vit des mutations sur tous les fronts.

“Le secteur est sérieusement challengé ” : les mots sont ceux d’un banquier belge. Ils témoignent des changements à l’oeuvre actuellement dans le petit monde de la gestion de fortune. Le nombre de millionnaires et leur richesse globale ont beau augmenter d’année en année, la vie de nos banquiers haut de gamme ne s’apparente pas vraiment à un long fleuve tranquille par les temps qui courent. Pour preuve, le groupe bancaire français Société Générale qui a décidé, voici quelques jours, de céder ses activités belges de banque privée à ABN Amro.

Présent chez nous sur le créneau de gestion de patrimoine depuis 2001, l’établissement tricolore avait alors mis la main au portefeuille pour s’emparer de la petite banque privée gantoise De Maertelaere avant de rebaptiser l’enseigne Société Générale Private Banking Belgique. Une appellation franco-française censée séduire les nombreux riches Hexagonaux venant s’exiler chez nous pour des raisons fiscales. Mais voilà : l’entité n’aura finalement jamais vraiment réussi à percer dans un marché, certes porteur, mais toujours plus compétitif.

Marché encombré

Abritant désormais plus de 122.000 millionnaires dont la richesse globale est estimée à 273 milliards d’euros, le marché de la gestion de fortune en Belgique suscite en effet depuis de longues années déjà la convoitise de nombreux acteurs. La compétition s’est d’abord intensifiée avec l’arrivée des banquiers privés français mais aussi néerlandais (Van Lanschot), suisses (Lombard Odier, Rothschild, UBS) et luxembourgeois (Banque du Luxembourg, BIL). Dans le sillage de la fin du secret bancaire et des diverses opérations de régularisation de capitaux (amnistie fiscale de 2004, DLU bis, etc.), ils ont débarqué chez nous pour courtiser les riches particuliers en quête de pardon fiscal, venant ainsi défier sur leur propre terrain de jeu les maisons traditionnelles telles que les Degroof et autres Delen.

Les banques privées en Belgique sont en milieu de peloton en matière de digitalisation.” Olivier de Groote

A côté de cela, la crise a aussi conduit les quatre grandes banques du pays (BNP Paribas Fortis, Belfius, ING et KBC) à se recentrer sur leurs marchés domestiques, également au niveau de la gestion de patrimoine. Si bien qu’elles disposent aujourd’hui d’une position de marché forte. Position qu’elles essayent d’ailleurs d’encore accroître, à l’image par exemple de Belfius qui vient de lancer une toute nouvelle offre à destination des Belges dont le patrimoine dépasse 2,5 millions d’euros. Quant aux nouveaux acteurs digitaux et leurs offres patrimoniales en ligne (Birdee, etc.), ils bousculent eux aussi le marché.

Toujours plus de formalités

Ce resserrement de la concurrence a bien évidement entraîné un effritement des marges. Combiné aux taux bas, cela a grignoté les revenus. Dans le même temps, il faut faire face à l’explosion des frais de fonctionnement liés à la vague réglementaire post-crise financière. Exemple ? La directive européenne MiFID II qui oblige les banques à mieux informer les clients en faisant notamment toute la lumière sur les frais prélevés lors la vente d’un produit (sur les fonds, par exemple). Ce qui génère beaucoup de formalités administratives et pas de rentrées. Tout comme la lutte contre le blanchiment d’argent qui impose de surveiller les flux d’argent des clients et de veiller à l’origine de leur fortune. Sans oublier aussi maintenant le phénomène de la banque ouverte ( open banking), qui découle de la nouvelle directive sur les paiements PSD2 rendant possible le partage de données des clients – si ces derniers le souhaitent – avec d’autres fournisseurs de services et produits bancaires ou non bancaires.

Pas assez digitalisés

Par ailleurs, il faut aussi investir massivement pour se mettre à la page des évolutions technologiques (applis mobiles, etc.). Certes, s’adapter aux attentes des clients n’est pas nouveau. Mais la digitalisation vient multiplier les défis. Longtemps, les banques privées ont eu la conviction qu’elles pouvaient faire sans le numérique, persuadées que les besoins digitaux de leurs clients étaient couverts par la banque de détail et que les services de gestion privée relevaient uniquement du face-à-face. Si bien que les banques privées en Belgique sont ” en milieu de peloton en matière de digitalisation “, souligne Olivier de Groote, responsable des services financiers pour la région EMEA chez Deloitte (lire l’encadré ” Le secteur n’a que récemment démarré sa transformation digitale “). Signe de cette tendance : le récent recrutement par Degroof Petercam de Xavier De Pauw, CEO et cofondateur de la plateforme d’investissement en ligne MeDirect (lire l’encadré ” Technologies et attentes des clients évoluent de plus en plus vite “).

© F. VERDICKT

Gagnants et perdants

Conséquence de tout ce qui précède, la taille critique qui permet d’absorber les coûts réglementaires et les investissements technologiques ne cesse d’augmenter. Sauf pour certains gestionnaires d’actifs au positionnement de niche qui se focalisent sur une poignée de produits extrêmement simples, cette taille critique se situe désormais autour de 10 milliards d’euros. Un seuil que nombre de banques privées classiques en Europe n’atteignent pas. D’où le départ de Société Générale Private Banking dont les 6 milliards de fonds sous gestion s’avèrent insuffisants pour absorber les coûts liés à un réseau de huit agences et un effectif de 200 personnes. D’où aussi des rachats comme celui d’UBS Belgium par Puilaetco ou des fusions comme celle scellée entre Degroof et Petercam.

Reste bien sûr dans tout cela à savoir si le secteur du private banking a encore un avenir ou pas ? Pour Olivier de Groote, la réponse est claire. Selon lui, il ne fait aucun doute que le métier de banquier privé a encore de très beaux jours devant lui. Tout simplement parce que les besoins en matière de gestion de patrimoine restent très importants et le seront de plus en plus dans un monde toujours plus complexe et connecté. Mais à condition, dit-il, de se réinventer. C’est à qui saura s’adapter : les gagnants de demain sont ceux qui réussiront à opérer une transformation digitale et culturelle rapide afin de pouvoir offrir au client une plus grande qualité de service. Et pas seulement une interprétation de l’évolution des marchés.

“Le secteur n’a que récemment démarré sa transformation digitale”

Pour Olivier de Groote, responsable des services financiers pour la région EMEA chez Deloitte, les gagnants de demain seront les acteurs de gestion privée disposant d’une taille critique et capables d’opérer une transformation digitale et culturelle rapide, probable- ment aussi de nouveaux joueurs digitaux créés par des grands acteurs bancaires internationaux, ainsi que des acteurs focalisés sur une partie de la chaîne de valeur de la gestion patrimoniale.

TRENDS-TENDANCES. Comment voyez-vous l’avenir du secteur de la banque privée en Belgique ?

OLIVIER DE GROOTE. Le secteur de la gestion privée souffre actuellement d’une trop grande dichotomie entre demande et offre : d’un côté des clients toujours plus connectés, ayant des besoins de plus en plus clairs autour de l’aide à la compréhension de leur besoins patrimoniaux, le suivi des marchés, les choix à poser en matière de solutions et toute une panoplie d’autres services, et de l’autre des acteurs en matière de gestion privée qui n’ont que récemment démarré leur véritable transformation digitale, et ce par rapport aux autres secteurs des services. Au vu des besoins croissants des clients en matière de gestion patrimoniale, le secteur a de très belles années devant lui, mais uniquement pour des acteurs capables de réinventer le métier de la gestion privée, à la lumière des besoins des clients et des conditions de marché.

Observez-vous des différences importantes entre la Belgique et le reste de l’Europe ?

Peu sur la direction à prendre, plus sur la vitesse d’évolution. Une étude menée par nos soins en début d’année auprès de 287 banques en Europe démontre que les banques en Belgique sont en milieu de peloton en matière de digitalisation : ce n’est pas suffisant. Si les acteurs belges de la gestion privée ne veulent pas être marginalisés par de nouveaux entrants ou des acteurs internationaux, ils doivent plus rapidement intégrer la transformation du secteur et les nouveaux besoins des clients. N’oublions pas que notre pays est, pour une part significative, une terre d’entrepreneurs, et donc l’importance de la création de nouveaux patrimoines qui résonnent autour de la nouvelle économie, ce qu’on appelle le new money.

Qu’évoque pour vous l’arrivée de quelqu’un comme Xavier De Pauw (ex-MeDirect) chez Degroof Petercam ?

Je pense que c’est une excellente nouvelle pour le marché, pour Degroof Petercam et pour ses clients : c’est une combinaison gagnante entre une grande maison, certes encore fort traditionnelle mais en mouvement, et un homme fort expérimenté dans les nouveaux entrants en gestion privée.

” Technologies et attentes des clients évoluent de plus en plus vite “

Xavier De Pauw
Xavier De Pauw© PG

Xavier De Pauw rejoindra, le 1er octobre prochain, Degroof Petercam en tant que group head of strategic innovation. A ce titre, il sera responsable de la transformation stratégique de Degroof Petercam.

Le modèle hybride auquel nous croyons chez Degroof Petercam, qui combine services digitaux et contact physique, est plus puissant que le modèle purement digital.” Xavier De Pauw

TRENDS-TENDANCES. Sur quels types de projet allez-vous travailler ?

XAVIER DE PAUW. La partie visible sera le développement d’interfaces et d’applications avec le client pour l’ensemble du groupe. Mais cette interaction avec le client ne peut pas être optimale si les systèmes ne sont pas modernes, agiles et efficaces. Sans cette infrastructure fondamentale, il est quasiment impossible de développer des outils performants pour les clients. Les technologies évoluent de plus en plus vite. Les attentes des clients aussi, sous l’influence notamment d’autres secteurs comme l’e-commerce par exemple. Une de mes missions sera donc de mettre en place une stratégie digitale qui se penche non seulement sur l’offre mais aussi sur les systèmes sous-jacents afin de répondre encore mieux aux demandes du client et d’anticiper ses besoins grâce au big data.

En quoi votre passé de fondateur de MeDirect peut-il aider Degroof Petercam à se transformer d’un point de vue digital ?

Il n’est pas dans nos intentions de créer un robo-advisor ou une plateforme purement digitale du style MeDirect ( 30.000 clients pour 1,5 milliard de dépôts et d’actifs sous gestion, Ndlr). Les clients ne sont pas les mêmes. MeDirect s’adresse à une clientèle dite mass affluent disposant en moyenne de 40.000 et 80.000 euros d’avoirs à placer. Le patrimoine par client est nettement plus élevé chez Degroof Petercam. Cela étant, le fait d’avoir construit un gestionnaire de patrimoine et une plateforme d’investissement en ligne constitue une expérience unique en ce qui concerne le service digital aux clients, sachant que nous croyons fortement chez Degroof Petercam dans un modèle hybride où le banquier privé continue d’avoir un rôle crucial.

Les banques privées traditionnelles ont-elles longtemps cru qu’elles pouvaient faire sans le digital ?

Je ne pense pas. Certains clients restent très attachés au contact physique avec leur banquier. Le modèle hybride auquel nous croyons chez Degroof Petercam, qui combine services digitaux et contact physique, est plus puissant que le modèle purement digital. On voit d’ailleurs que les grandes plateformes de gestion de patrimoine en ligne comme Betterment (aux Etats-Unis) ou Scalable Capital (au Royaume-Uni) évoluent vers un modèle hybride. Chez Betterment, il est par exemple possible d’avoir accès à un conseiller à partir de 100.000 dollars en portefeuille. Scalable Capital dispose lui de conseillers avec lesquels il est possible d’avoir des entretiens payants.

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