La provocation, la nouvelle méthode de coaching qui s’installe en Belgique

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Semer la confusion dans l’esprit des travailleurs et même les défier, voilà qui peut paraître étrange pour un coach qui prétend vouloir tirer ses poulains vers le haut. Il s’agit pourtant de techniques utilisées par le coaching de provocation, qui fait des émules dans notre pays.

Dans cette forme de coaching, le coach se fait l’avocat du diable afin d’aider le client à identifier ses problèmes. Avec humour, frôlant parfois presque l’absurde. Au bout du compte, le client finit par percevoir lui-même les failles de son raisonnement.

” Contrairement au coaching ordinaire, le coaching de provocation ne vise pas à fournir des conseils tout faits. S’ils sont certes utiles, ils manquent souvent leur cible parce que les gens trouvent toujours une bonne raison de ne pas les appliquer “, affirme Ingrid Crollet, l’une des rares coaches appliquant la méthode de la provocation en Belgique. A tous les coups, le responsable c’est l’autre. Les dirigeants sont toujours convaincus que leur stratégie n’a pas abouti parce que leur équipe est ingérable. Ou en cas de difficultés sur le lieu de travail, les collègues sont immédiatement pointés du doigt. ” Ce mécanisme fait en sorte que les gens n’ont pas envie de faire un travail sur eux-mêmes. Or, sans ce travail personnel, donner des conseils ne sert à rien “, explique Ingrid Crollet.

Voilà pourquoi le coach provocateur ne recule devant aucun tabou et use même de stratégies d’affrontement. Il ridiculise les problèmes de son client ou les amplifie fortement. Il propose des solutions irréalisables ou effectue des analyses absurdes. A première vue, on se dit que ce genre d’approche est voué à l’échec. ” Le coach n’écarte aucun moyen pour susciter une réaction. Il pousse le client à reconnaître sa part de responsabilité concernant le problème qui l’occupe, déclare Ingrid Crollet. L’approche par la provocation bouleverse totalement les schémas de pensée sclérosés des clients. Si cette technique sème la confusion dans leur esprit, elle crée aussi de l’espace pour de nouvelles idées. En réaction à ces provocations, les clients finissent par trouver eux-mêmes les solutions. ”

Un cas désespéré

Le coaching de provocation ne date pas d’hier. Cela fait déjà plus de 25 ans qu’il existe aux Pays-Bas. Cette méthode est dérivée de la thérapie provocatrice fondée par le thérapeute américain Frank Farrelly. Dans les années 1970, celui-ci travaillait dans un centre psychiatrique. Frustré de ne pas parvenir à aider certains patients à l’aide des méthodes thérapeutiques traditionnelles, il décida que le temps était venu d’adopter une autre approche pour modifier leur comportement.

Le mélange d’humour, de défi et de bienveillance est capital. Provoquer sans faire montre de bienveillance s’apparente à de l’agression et ne mène à rien.” Ingrid Crollet

C’est ainsi qu’il lança un jour à un patient que son cas était désespéré et qu’il passerait le restant de ses jours en unité psychiatrique. A son grand étonnement, Frank Farrelly constata qu’il était parvenu pour la première fois à atteindre son patient. Ce dernier se braqua tout de suite, tentant de démontrer que son thérapeute avait tort. Même pas six mois plus tard, le patient quittait l’unité psychiatrique. Frank Farrelly a ensuite affiné sa méthode, avant de la voir s’exporter, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne.

“Le plus grand connard”

Un patient l’aurait d’ailleurs un jour dépeint comme ” l’homme le plus gentil et le plus compréhensif de la Terre, doublé du plus grand connard qui puisse exister “. ” En tant que thérapeute et coach, vous devez accepter que vos clients ne vous apprécient pas toujours, affirme Ingrid Crollet. Ce mélange d’humour, de défi et de bienveillance est capital. Provoquer sans faire montre de bienveillance s’apparente à de l’agression et ne mène à rien. Les interlocuteurs ne sont jamais tournés en ridicule. On rit uniquement de ce qui les gêne. ”

Des questions émergent pourtant : cette approche par la provocation ne va-t-elle pas trop loin ? et où placer la limite ? ” Les gens sont souvent beaucoup plus forts qu’on ne le pense. En réalité, nous sommes notre pire détracteur. Les moindres pensées, les plus grandes angoisses, nous nous les sommes déjà représentées avant même que quelqu’un nous en parle. Un coach provocateur n’apprendra en fait rien de neuf à son client, assure Ingrid Crollet. ” Et là se cache justement sa plus grande force, car lorsque vous confrontez les clients à leurs pires pensées et angoisses, c’est à ce moment-là qu’on peut commencer à en parler. Tantôt gênantes tantôt hilarantes, les provocations apportent une bouffée d’oxygène et permettent de relativiser. C’est une façon de pousser les clients à s’exposer et donc, à les ouvrir au changement. ”

Complémentaire au coaching traditionnel

Le coaching de provocation n’existe généralement pas seul. ” Je l’envisage comme un complément au coaching traditionnel. Lorsqu’une personne souhaite travailler sur son assertivité ou renforcer ses qualités de dirigeant, vous devez lui fournir des astuces pratiques et des stratégies concrètes. Or, on ne peut y arriver sans qu’elle soit prête à voir les choses sous un autre angle. Sans cela, vous tournez en rond et les stratégies que vous lui proposerez pour résoudre le problème échoueront l’une après l’autre. Le coaching de provocation peut briser ce schéma “, affirme Ingrid Crollet.

Par ailleurs, en séance, les clients font souvent montre du même comportement qui les bloque au travail. ” Il s’agit d’un diagnostic actif. Une personne entre dans votre cabinet et vous plongez tout de suite dans le vif du sujet. Vous allez renforcer et amplifier son comportement et son schéma de pensée. De manière à ce qu’elle en prenne conscience. Lorsque vous leur montrez leur reflet dans un miroir, souvent les gens se mettent à réagir “, conclut la spécialiste.

Par Sven Vonck.

Les différentes techniques de provocation

– Semer la confusion par de drôles de déclarations. “La confusion est utile. Elle permet de sortir des schémas sclérosés, permettant au cerveau d’en créer de nouveaux”, explique Ingrid Crollet.

– Passer du coq à l’âne. Le coach utilise des associations qui réveillent l’attention du client. Il change intentionnellement de sujet pour maintenir le client en alerte, l’obligeant à mieux verbaliser ses problèmes.

– Interrompre constamment. L’objectif consiste à rapidement en venir au coeur du problème et à stimuler l’assertivité du client. Le coach va tout faire pour que le client le rappelle à l’ordre, par exemple en faisant en sorte d’aborder des sujets non pertinents ou de se laisser “distraire” par des futilités. Cela oblige le client à verbaliser les choses clairement, permettant de faire émerger le problème.

– Se tenir très près du client. Aucune table ne sépare le coach du client, explique Ingrid Crollet. “Cela permet de créer une ambiance d’ouverture. On peut même se toucher. La sensation est ainsi tout autre. C’est comme parler à un bon ami, qui vous apprécie en dépit de vos défauts et qui ne joue pas les moralisateurs, tout en étant malgré tout capable de vous taquiner à propos de votre comportement .”

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