Le Belge Philippe Bekaert crée un “nouveau monde” en Colombie

L'équipe de Mundo Nuevo. Philippe Bekaert (à droite) et les 18 employés du projet. © PG

C’est ce qui s’appelle investir hors des sentiers battus : dans un coin de Colombie qui a failli être oublié mais où le foncier grimpe en flèche. C’est là que, en 2015, Philippe Bekaert a entrepris de construire son Mundo Nuevo.

Minca, au nord de la Colombie, c’est surtout une grande rue qui descend vers le fleuve, une minuscule église, des boutiques de tout et de rien, des chiens, des taxis et des motocyclettes. On y voit aussi beaucoup de petits hôtels : les touristes sont de plus en plus nombreux à explorer la Sierra Nevada alentour, le plus haut massif côtier au monde, ouvert sur la mer des Caraïbes. Le village les accueille à coup de jus de fruits frais, de bières artisanales et autres appâts pour écotouristes.

C’est là que Philippe Bekaert a créé Mundo Nuevo, une plantation où l’on cultive du café, des mangues, des avocats… Il y a aussi un grand potager et des ruches. Un jour prochain, l’énergie sera produite sur place, le savon aussi. En attendant, on réinvente le recyclage. Dix-huit employés travaillent à Mundo Nuevo, ainsi que huit volontaires. Deux mille touristes y ont déjà été accueillis. Tous oeuvrent à la durabilité, autour de cinq piliers : la gestion de l’eau, de l’énergie, l’alimentation, la stabilité économique et la formation.

Au départ, Philippe Bekaert était arrivé à Minca ” en quête d’un rêve “. Il voulait ” faire un investissement “. Et ” grâce à cet investissement, développer un projet qui regroupe toutes mes passions “, ajoute-t-il. Il a passé plusieurs mois à sillonner un triangle au nord de la Colombie. Début 2015, il a finalement jeté son dévolu sur 49 hectares de terres étendues sur 600 mètres de dénivelé et surplombant Minca. Ces terres sont fertiles en toute saison, fortes du climat tropical et des différents piliers thermiques qu’offre le dénivelé.

Le changement, après un demi-siècle de guerre

C’est là que l’entrepreneur belge a posé les bases d’une communauté qui vit au rythme de la nature et de ses fruits. Outre de la culture, la communauté vit aussi de l’hôtellerie. Pour financer l’expansion de Mundo Nuevo, Philippe Bekaert a revendu une parcelle de son achat de départ. Cet hectare est parti pour un multiple de son prix d’achat d’il y a deux ans de cela. ” Un prix qui reste dérisoire par rapport à la valeur que prend le foncier ici. On peut faire pousser ce qu’on veut “, précise le maître des lieux.

Après 52 ans de guerre civile, les Colombiens veulent passer à autre chose.

Ce que Philippe Bekaert récolte maintenant, c’est le fruit de la mutation colombienne : ” Ici, il n’y a plus à proprement parler de guérilla. ” Mais la partie n’est pas tout à fait gagnée pour autant : ” Cela reste une zone à haut risque, même si la situation s’améliore vraiment. En Colombie, il y a des choses qui ne se voient pas, qui ne se disent pas. Comme étranger, je dois vivre avec cette loi tacite. ”

Ça, c’est le côté pile. Côté face, les Colombiens ont connu plus d’un demi-siècle de conflit civil. Ils aspirent maintenant à ” autre chose ” et ” acceptent le changement “, selon Philippe Bekaert. Et ça tombe bien parce que, justement, il a un changement à proposer : un shift vers un mode de vie qui prend en compte, à long terme, les intérêts de la planète et de ses habitants.

Une gouvernance collaborative

Si la nature prend toute sa juste place dans ce nouvel équilibre, la communauté locale aussi. Un jour, un jeune indigène de la communauté wiwa est venu frapper à la porte de Mundo Nuevo : il cherchait un pied-à-terre proche de son collège dans la vallée. Désormais, c’est toute sa communauté qui a un pied-à-terre à Mundo Nuevo. Et là, les premiers et les derniers arrivés dans le coin échangent leurs meilleures idées.

Le modèle durable que Philippe Bekaert a en tête doit aussi tenir compte des intérêts de la communauté qui fait tourner la machine. Les 18 employés travaillent pour un salaire égal. Ils sont affectés à une équipe, au tourisme, à la construction ou aux potagers, par exemple. Philippe Bekaert et deux autres personnes constituent ” l’équipe d’appui “, sans statut particulier mais avec le rôle d’aider les autres équipes à optimiser leur travail.

Coeur ardent et conseil des anciens

Chaque semaine, un représentant d’équipe parle au nom des siens au ” coeur ardent “, le lieu de décision opérationnel. C’est là qu’on décide, par exemple, de l’achat – ou non – d’une nouvelle cuisine. Chaque semaine aussi, une des équipes rassemble tout le monde pour partager ses coups de coeur et ses coups de griffes. ” Sans ces réunions, sans cet espace de discussion, un petit problème prendrait vite une ampleur dramatique “, commente Philippe Bekaert.

De même, un ” conseil des anciens ” va s’ouvrir aussi, pour aiguiller les décisions à long terme.

Il faut dire que Mundo Nuevo avait démarré sans business plan. ” Maintenant, il y a une charte, des règles de jeu salariales, économiques, qui visent le long terme. En fait, les solutions viennent quand les problèmes se posent. On fonctionne par essai/erreur et on laisse place à l’initiative : le projet est ce que les centaines de volontaires, de travailleurs et de visiteurs en ont fait. ”

Avec l’organisation telle qu’elle se dessine aujourd’hui, Mundo Nuevo peut espérer croître et se multiplier tout en restant fidèle à sa logique de départ, par des projets similaires ailleurs, de la consultance ou des partenariats. Une telle évolution a exigé que Philippe Bekaert, investisseur et créateur, laisse tout à fait sa place au projet : ” Au départ, la structure était pyramidale, et les gens venaient vers moi avec leurs questions. Aujourd’hui, je réfléchis à ce que Mundo Nuevo puisse se détacher de moi. ”

Un supermarché plutôt qu’un musée

Ce défi va comme un gant à Philippe Bekaert : ” Je suis un entrepreneur par passion. Je n’ai jamais voulu chercher un emploi, mais en créer un. Aussi, je suis sociable, je parle cinq langues et ça m’a ouvert à d’autres façons de voir le monde. J’ai pu voyager dès mon plus jeune âge, même à l’étranger. J’ai toujours préféré visiter un supermarché plutôt qu’un musée : je veux voir la façon dont les gens vivent. ”

En laissant le champ libre à son premier projet, le Belge a les coudées franches pour entreprendre plus loin. Aujourd’hui, il met sur pied une fondation financièrement indépendante de l’exploitation. Elle poursuit, entre autres, des buts de reforestation, de protection de la biodiversité et de coopération avec les indigènes wiwas.

Philippe Bekaert souhaite que son initiative ait un impact global, que la communauté soit connectée aux quatre coins du monde et puisse amener les politiques à inclure la nature et les populations locales dans leurs plans. ” Parce que si ce n’est pas nous, qui le fera ? Et quand ? Demain, il sera peut-être en effet trop tard… ”

A Mundo Nuevo, la vision et l’esprit d’entreprendre de Philippe Bekaert font bon ménage avec la Colombie d’aujourd’hui. Il a investi, alors que le tourisme s’envolait, dans un projet tout à fait dans l’air du temps : après 52 ans de guerre civile, les Colombiens veulent passer à autre chose. Et les (éco)touristes qui s’aventurent maintenant dans le pays ont envie de jus de fruit frais, de bières artisanales et, plus encore, d’un Mundo Nuevo.

Par Sibylle Greindl.

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