Les femmes réagissent mieux que les hommes à la pression concurrentielle

Justine Henin lors de l'Open d'Australie en 2011 © belga image

Un chercheur de l’Université de Saint-Gall, en Suisse, s’est intéressé de manière comparée aux performances des tennismen et tenniswomen lorsqu’ils doivent jouer un point important lors de grands matches. Conclusion : les femmes réagissent mieux que les hommes à la pression concurrentielle.

En analysant plus de 8.200 jeux dans des matches du Grand Chelem, Alex Krumer et ses collègues ont constaté que les performances des tennismen accusaient une baisse plus prononcée que celles des tenniswomen lorsque l’enjeu du match était élevé, par comparaison à un match de moindre importance.

Comment avez-vous élaboré votre thèse ?

ALEX KRUMER. Nous avons examiné les performances des serveurs – qui ont normalement un avantage – lors de chaque première manche disputée pendant les Open français, américain et australien de 2010 ainsi qu’à Wimbledon. Nous avons constaté que les performances des hommes se détérioraient davantage que celles des femmes lorsque le jeu avait atteint un point critique. Par exemple, dans les manches où le score était de 4 à 4, le nombre de services pris a augmenté de plus de 7 % après que les joueurs ont atteint l’égalité. Chez les joueuses, nous n’avons pas constaté de différence significative de performances avant et après l’égalité. Et même lorsque le jeu des tenniswomen se dégradait sous l’effet d’une pression accrue, la chute des performances était 50 % moins importante, en moyenne, que celle de leurs homologues masculins. J’estime donc pouvoir dire en toute confiance, avec mes collègues de l’université Ben Gourion et de la NYU Shanghai, que dans le monde du tennis d’élite, les femmes résistent mieux à la pression que les hommes. Elles flanchent moins. Reste à voir si l’on peut transposer cette conclusion à d’autres situations de concurrence.

Pourquoi n’étudier que le tennis, et seulement les premiers sets du Grand Chelem ?

Le tennis est un sport dans lequel il est très facile de quantifier les performances et la pression concurrentielle. Il y a un gagnant incontestable à chaque point, jeu, set et match, et l’on peut évaluer dans quelle mesure le fait de remporter un jeu donné – lorsque le score est par exemple de 1-1, 3-1 ou 5-0 – influencera la probabilité de gagner le match. Nous n’avons pris en considération que les premirs sets parce que nous pensions que l’asymétrie, la fatigue et l’élan pouvaient biaiser les sets suivants. De plus, le fait de gagner la première manche procure un avantage énorme : d’après nos données, 85 % des femmes et 77 % des hommes sortis vainqueurs de la première manche ont aussi remporté le match. Et nous nous sommes concentrés sur le Grand Chelem parce que les incitants financiers et les points au classement sont les plus importants et que ce sont les seuls tournois qui remettent des prix d’un même montant aux hommes et aux femmes. Il est vrai que les hommes y jouent plus de sets – trois sets gagnants contre deux pour les femmes – mais c’est précisément pour cette raison qu’il est plus important que les femmes gagnent la première manche.

L’argent et les points lors d’un Grand Chelem augmentent donc encore la pression ?

De nombreuses recherches se sont intéressées à la relation entre les performances et la pression induite par les incitants. Dan Ariely, de l’université Duke, et ses collègues ont publié un article intitulé Large Stakes, Big Mistakes (Gros enjeux, grosses erreurs) qui décrit des expériences menées avec des villageois indiens et des étudiants d’université. Les sujets à qui on avait promis une récompense très élevée selon la performance réalisaient moins bien leurs tâches que ceux qui s’attendaient à un prix plus modeste. D’autres études ont montré que des joueurs de basketball australiens réussissent plus souvent leurs lancers francs pendant les entraînements que lors de rencontres, et que les golfeurs professionnels ont plus de chances de rater leur coup sur le dernier trou lors de grandes compétitions.

Les femmes flanchent moins. Reste à savoir si l’on peut trans-poser cette conclusion à d’autres situations de concurrence.

Vous attendiez-vous à ces différences entre les sexes ?

Nous n’en étions pas sûrs, car les données sur la pression et les résultats en rapport avec le sexe sont limitées et mitigées. Certaines études n’ont relevé aucune différence entre les hommes et les femmes. D’autres concluent que les hommes l’emportent lorsqu’ils sont sous pression. D’autres encore ont constaté que les femmes surpassent les hommes dans certains contextes. Ayant examiné avant nous les données du Grand Chelem, Daniele Paserman, de l’Université de Boston, avait observé que les deux sexes adoptaient un jeu plus prudent lors des points décisifs : ils faisaient moins de fautes directes et réalisaient moins de coups gagnants. Mais il n’avait pas étudié explicitement l’effet de la pression concurrentielle sur la probabilité de la victoire. Il nous a paru intéressant d’examiner ces résultats non équivoques et objectifs pour tenter de répondre à la question suivante : lequel des deux groupes a le moins souvent flanché au moment décisif ?

Vous avez analysé des simples dames et simples messieurs. Si un joueur performait moins à cause de la pression, n’était-ce pas parce que son adversaire – du même sexe – se surpassait dans les mêmes circonstances ?

Voilà pourquoi nous nous sommes focalisés sur le serveur. Les experts du tennis sont largement d’accord pour dire qu’un point dépend davantage des performances du serveur, qui a le contrôle total du premier échange, que de celles du receveur, qui ne fait que réagir au service. Le serveur gagne le point dans 72,6 % des cas. Ainsi, lorsqu’un serveur perd un point critique, c’est plus souvent parce qu’il a perdu sa balle plutôt que le receveur qui l’a gagnée.

N’y a-t-il pas une plus grande parité dans le tennis professionnel masculin ? Peut-être que les serveurs font tout simplement face à une concurrence plus rude ? Que les retours spectaculaires de Federer et Djokovic ont faussé les résultats ?

Nos estimations ont tenu compte des caractéristiques des joueurs lors d’un match donné : notamment le classement mondial, l’indice de masse corporelle, la taille et l’avantage de jouer à domicile.

Si l’on étudiait les doubles mixtes du Grand Chelem, obtiendrait-on des résultats différents ?

C’est tout à fait possible. Au moins une expérience de laboratoire a révélé que les femmes réagissent mieux à la pression face à des femmes que dans un environnement mixte, tandis que c’est l’inverse pour les hommes. Il faut donc être prudent avant de généraliser. En outre, dans la plupart des cas dans la vie réelle, entre autres au travail, les femmes sont à l’évidence en compétition avec les hommes.

Et n’est pas Serena Williams qui veut…

Effectivement. Notre étude s’est intéressée à la fine fleur du tennis mondial. Peut-être que ces tenniswomen d’élite possèdent des qualités que la plupart des femmes n’ont pas et qui leur permettent de mieux conserver leurs moyens que les hommes à un même niveau élevé. Mais on peut penser à d’autres métiers qui exigent de rester zen face à la pression, par exemple PDG d’une grande société… En général, ces fonctions ne sont pas exercées par n’importe qui. Mais par une élite différente, des professionnels expérimentés. Or, seuls 4 % des patrons du Fortune 500 sont des femmes.

Tenons-nous en à votre propre conclusion, à savoir que dans les matches du Grand Chelem, les femmes flanchent moins que les hommes. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne sais pas. La cause pourrait être biologique. D’après la littérature, les niveaux de cortisol, l’hormone du stress, augmentent plus rapidement chez les hommes que chez les femmes – dans des situations allant du parcours de golf à la prise de parole en public – et ces pics peuvent nuire aux performances. Nous n’avons pas été en mesure de prélever des échantillons de sang des joueurs de tennis, mais je me demande si nous aurions pu trouver de tels éléments de preuve. J’ai publié, avec des collègues, des recherches portant à croire que les hommes sont davantage influencés par le psychologique que les femmes. En analysant les rencontres en vue de la médaille de bronze de judo de 2009 à 2013, nous avons constaté que les hommes victorieux lors de leurs duels précédents avaient plus de chances de gagner le combat pour la médaille de bronze que ceux qui venaient de perdre, tandis que les antécédents immédiats des judokas féminins n’avaient aucun effet sur la probabilité de leur victoire. Là encore, on peut l’expliquer par la biologie puisque l’on sait que la testostérone, dont il est prouvé qu’elle renforce les performances, culmine après le triomphe et chute après la défaite chez les hommes, mais pas chez les femmes. Enchaîner les victoires peut paraître une bonne chose, mais en dehors du sport, cela pourrait donner lieu à une confiance excessive en soi.

Propos recueillis par Alison Beard.

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