Mourir d’épuisement est un risque pour les journalistes japonais

© Reuters

La nouvelle de la mort par épuisement d’une jeune journaliste de la télévision publique NHK n’a guère surpris le monde des médias au Japon, où une culture jusqu’au-boutiste conduit à des journées de travail démentielles.

“Je pensais que cela finirait par m’arriver parce qu’on travaille comme des dingues (…), comme des esclaves”, témoigne une journaliste d’un des grands quotidiens nationaux.

“Vraiment, je pensais que j’allais mourir”, confie-t-elle à l’AFP sous couvert d’anonymat, se rappelant ces jours où il lui fallait suivre le Premier ministre et des parlementaires à Tokyo. Elle rentrait régulièrement chez elle à une heure du matin pour se lever quatre heures plus tard.

La trentaine à présent, elle faisait alors partie de ces rubricards qui font le piquet devant les maisons des hommes politiques, chaque soir, qu’il y ait ou non de l’actualité. C’est un rituel appelé “yomawari”: “toute la nuit”.

Qu’il pleuve ou qu’il neige, il lui fallait veiller des heures dehors. “Même avec des chaufferettes autocollantes plaquées sur tout le corps, j’avais froid. Impossible d’aller aux toilettes. C’est mauvais pour la santé”. Elle dit avoir vu des collègues tomber physiquement et mentalement malades.

‘Karoshi’

Quant au week-end, ne pas y penser. Un journaliste politique se doit de prendre le shinkansen ou l’avion le vendredi soir pour suivre son parlementaire dans sa circonscription.

Une ancienne reporter tokyoïte d’une chaîne de télévision parle de culture de “l’esprit combatif”, qui impose de ne jamais renoncer quoiqu’il arrive. Cette femme de 32 ans sait ce que signifie travailler 24 heures sur 24 et se souvient d’un jour où elle se sentait gravement malade mais avait continué. “Je n’avais même pas le temps de prendre ma température. Plus tard je me suis rendu compte que j’avais 39 de fièvre”.

“Les patrons vous disent qu’il ne faut pas être paresseux mais ils ne vous diraient jamais qu’il est temps de vous reposer un peu parce que vous en faites trop”. “Et comme ça, vous finissez en zombie (…) il faut que ça cesse”, s’insurge-t-elle.

Le cas de la journaliste de la chaîne publique NHK, Miwa Sado, morte d’un arrêt cardiaque à l’âge de 31 ans après avoir accumulé 159 heures supplémentaires en un seul mois, a fait les titres de la presse à travers le monde mais il est bien loin d’être au Japon un drame isolé.

La mort par surmenage au travail – crise cardiaque, accident vasculaire cérébral, suicide – a même son nom: “karoshi”.

Un rapport du gouvernement rendu public la semaine dernière évalue à 191 les cas de “karoshi” sur l’année achevée fin mars 2017 et souligne que 7,7% des salariés japonais effectuent plus de 20 heures supplémentaires par semaine.

Ménager les grandes entreprises

Miwa Sado de la NHK couvrait les élections de l’assemblée de la ville de Tokyo et des sénatoriales nationales. Elle a été retrouvée sans vie dans son lit en juillet 2013. Elle est morte trois jours après l’élection sénatoriale.

Une enquête du gouvernement a conclu un an après sa mort que celle-ci était liée à un excès d’heures supplémentaires. Elle n’avait eu que deux jours de repos dans le mois qui a précédé sa disparition.

La NHK a fini tout récemment par rendre l’affaire publique, quatre ans après, sous la pression des parents de la jeune femme qui demandaient des actes pour prévenir tout nouveau cas, une situation gênante pour la chaîne qui avait milité ouvertement contre cette culture des journées de travail interminables.

“Les médias devraient être capables de changer cette habitude mais ils ne le font simplement pas”, a commenté Shigeru Wakita, professeur émérite de l’Université Ryukoku, basée à Kyoto, et spécialiste du droit du travail.

Le patron de la NHK Ryoichi Ueda s’est rendu au domicile des parents de la jeune journaliste pour présenter des excuses et promettre une réforme.

Le gouvernement a diffusé en mai une liste noire d’employeurs, dénonçant publiquement plus de 300 entreprises, et s’est entendu avec le patronat et les syndicats pour limiter le labeur supplémentaire à un maximum de 100 heures par mois, un nombre encore beaucoup trop élevé selon certains.

La durée légale de travail est au Japon de 40 heures par semaine, complétée par un plafond théorique de 45 heures supplémentaires par mois qui vole en éclats quand existe un accord d’entreprise.

Pour M. Wakita, le gouvernement ne prend pas la question “assez au sérieux”. “Ils y vont doucement avec les grandes entreprises”, déplore-t-il.

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