Qu’est-ce qui pousse les constructeurs automobiles à développer des services de mobilité ?

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Les constructeurs automobiles affichent une fringale pour les services de mobilité et de voitures partagées. Qui ne sont guère rentables à ce jour. Cette stratégie risque-t-elle d’aboutir à une baisse des ventes automobiles ? Pas sûr.

Le car sharing semble passionner les constructeurs automobiles. Ils disposent tous de participations plus ou moins importantes dans des services de mobilité. Daimler est actif sur ce créneau depuis 2008 avec car2Go, BMW avec DriveNow, Renault a son service de voitures électriques partagées, avec les Renault Zoe. General Motors, de son côté, a investi dans Lyft, un concurrent d’Uber. L’intérêt des constructeurs pour les services de mobilité au sens large grandit. Ainsi, BMW a aussi investi dans ParkNow, un service de paiement de stationnement via smartphone. Daimler a même investi dans Volocopter, une start-up allemande qui ambitionne de produire des taxis volants électriques autonomes et a levé 25 millions d’euros cet été. Une démonstration à Dubaï est prévue d’ici la fin de l’année.

Cette frénésie est bien éloignée de l’activité de base des constructeurs, la fabrication et la vente d’autos. Elle peut même paraître contradictoire, puisque le développement de la voiture partagée est supposé encourager les particuliers à se passer de voitures, donc à réduire les ventes. A privilégier plutôt le panachage entre transports en commun, vélos et voitures louées à l’heure ou à la minute.

Daimler, Toyota ou Peugeot seraient-ils en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis, en encourageant les alternatives à l’achat de voitures ? D’autant plus que ces services ne sont guère rentables, pour ne pas dire déficitaires. La joint-venture DriveNow, entre BMW et le loueur Sixt, affichait en 2016 un chiffre d’affaires de 58 millions d’euros et une perte de 15 millions d’euros (rapport annuel de BMW). L’un des acteurs les plus importants, car2go, lancé en 2008, ne gagne toujours pas d’argent. Son résultat est noyé dans les comptes de Mercedes Finance Services, la branche proposant des financements pour les véhicules, qui dégage un EBIT (profit avant taxes et intérêts) de 1,7 milliard d’euros pour 2016.

” Les constructeurs sont confrontés à une tension entre la nécessité de protéger le coeur de leur activité, la production et la vente de voitures, où ils font de l’argent “, relève Eric Desomer, senior partner chez Deloitte, et, d’un autre côté, le besoin d’être actifs sur les nouveaux développements, qui consistent plutôt à vendre des services de mobilité. Alors ils multiplient les initiatives, les pilotent, parfois en collaboration avec des municipalités, des sociétés de transport en commun. ” Ils doivent anticiper sur de nouveaux business models.

Qu’est-ce qui pousse les constructeurs à développer des services de mobilité ?

1. Augmenter les ventes

Qu'est-ce qui pousse les constructeurs automobiles à développer des services de mobilité ?

C’est la raison la plus terre à terre, bien réelle, même si elle ne concerne pas tous les investissements des constructeurs dans la mobilité. Par exemple car2go, qui se présente comme le numéro un de la voiture partagée flexible, à stationnement libre, ne peut qu’aider les ventes de la Smart, la micro-voiture du groupe Daimler, qui constitue l’essentiel de la flotte. Ces modèles ont toujours souffert de ventes trop faibles. L’an dernier, les ventes de Smart ont atteint 144.000 exemplaires. En lançant voici près de 10 ans un service de Smart partagées, la marque s’est offert à la fois de la visibilité (les voitures sont très bien identifiées) et la possibilité aux particuliers de goûter à des voitures qu’ils n’ont sans doute jamais conduites, et cela dans chacune des 26 villes où le service est disponible, à savoir en Europe, en Amérique et en Asie. L’approche est identique pour DriveNow. A Bruxelles, les utilisateurs peuvent conduire des variantes de Mini, des BMW Série 1 ou Série 2, ou des i3 (électriques). C’est un peu un show-room ambulant. Dans cette perspective, les pertes des premières années ne sont pas forcément un énorme souci pour les constructeurs, elles ne sont guère que des coûts de marketing. C’est une manière de contourner la réticence des particuliers à entrer dans un show-room et à demander un essai ; ils se contentent de plus en plus de s’informer sur le Web et vont de moins en moins dans les concessions.

2. Améliorer l’image

L’image joue un rôle plus important ces dernières années, où s’est développée une relation d’amour-haine avec la voiture. Qui transporte mais pollue, offre un transport confortable mais génère des embouteillages. Les offres de car sharing sont des réponses subliminales aux reproches. Elles promettent une utilisation plus rationnelle des voitures, plus citoyenne, plus sympa pour l’environnement. Une voiture souvent partagée occupe moins d’espace de parking qu’une voiture de particulier, garée 95 % du temps. Le service est d’ailleurs accueilli à bras ouverts par les villes qui se réjouissent d’une offre de mobilité qui ne fait pas appel aux deniers publics. Volkswagen, qui avait tardé à investir dans le domaine, a aussi, sans doute, voulu corriger l’effet désastreux du dieselgate en lançant plusieurs initiatives, dont le projet MOIA, fin 2016, une start-up installée à Berlin, qui va tester différents services de mobilité, comme un car pooling à Hanovre, avec des minibus VW, et qui promet une collection de services de mobilité en collaboration avec les transports en commun.

Les véhicules partagés ne devraient pas éroder la progression des ventes car ils devront être renouvelés plus souvent, puisqu’ils sont utilisés plus intensivement.

3. Anticiper le recul de la propriété

Et si demain la voiture était surtout commercialisée sous forme de service ? Si la propriété n’était plus à la mode ? Les constructeurs ne tiennent pas à laisser ce marché potentiel aux seuls loueurs, qui sont les acteurs naturels de la voiture partagée. Cette dernière reste en général, techniquement, une location, mais à très court terme, que permet l’usage des smartphones avec la géolocalisation. On assiste à des alliances, comme DriveNow où BMW s’est associé au loueur Sixt, ainsi il est assuré que le service va proposer des modèles du groupe bavarois, pas ceux d’un concurrent.

L’idée d’une auto vendue comme service est dopée par l’attitude des jeunes. Ils n’ont plus le même enthousiasme qu’avaient leurs aînés au même âge pour la possession d’une automobile. Le car sharing est une manière de mieux toucher ce public évasif, de lui faire aimer une marque à laquelle il pourrait rester fidèle.

McKinsey invite en même temps à la prudence sur l’émergence d’une automobile vendue essentiellement comme service. Il a analysé en profondeur le recul de la possession d’autos pour les 18-24 ans en Allemagne qui, entre 2000 et 2010, s’avère assez impressionnant : – 45 % ! Il note que les raisons ne sont pas toutes attribuables à une image différente de la voiture. D’autres facteurs interviennent : la hausse du nombre de jeunes aux études (+ 18%), or les étudiants possèdent peu de véhicules. Ou le coût de plus en plus élevé des assurances auto pour les jeunes. L’enquête de McKinsey montre que 78 % des 18 à 24 ans ont accès à une voiture du ménage. Ils sont habitués à utiliser des véhicules dont ils ne sont pas propriétaires. McKinsey entrevoit une évolution pour les constructeurs vers un marché mixte, avec encore une part majoritaire de voitures en propriété, mais une proportion importante de voitures partagées : 10 millions à l’horizon 2030, sur un total mondial de 115 millions d’unités.

La vente de voitures continuera à croître. Les véhicules partagés ne devraient pas éroder cette progression car ils devront être renouvelés plus souvent, puisqu’ils sont utilisés plus intensivement. McKinsey estime que cette évolution mixte pourrait déboucher sur l’offre de véhicules adaptés au car sharing, plus simples, moins chers à produire (de l’ordre de – 25%).

Daimler est actif sur le créneau du
Daimler est actif sur le créneau du “car sharing” depuis 2008 avec Car2Go, un service qui n’est toujours pas rentable.© BELGA IMAGE

4. L’impact futur de la voiture lectrique et autonome

La raison la plus évidente qui pousse les constructeurs vers le car sharing est l’annonce du règne futur des voitures électriques et autonomes. Les premières ne représentent pas grand-chose dans les ventes (moins de 1%) et les secondes sont toujours en projet et en test. D’ici 10, 20 ou 30 ans, le marché aura peut-être totalement changé. Une voiture totalement autonome, qui ne nécessite pas de conducteur, pourrait être commercialisée comme un service à la demande et non plus comme un produit. Il pourrait constituer une bonne partie de l’offre de car sharing. Ce sera l’accélérateur le plus puissant pour la voiture partagée. Certains constructeurs s’activent pour figurer en bonne place dans la course à ce type de véhicule et de service. Ils sont motivés par la crainte de voir des nouveaux venus de la Silicon Valley leur damer le pion, comme Tesla, Uber ou Waymo (filiale du groupe Alphabet, ex-Google). ” Il est intéressant d’observer que Ford vient de nommer comme CEO Jim Hackett, qui était responsable des services de mobilité et des développements de voitures autonomes “, note Eric Desomer, de Deloitte.

Ainsi, General Motors a conclu un accord avec Lyft, un concurrent d’Uber, pour déployer l’an prochain une offre de taxis avec des Chevrolet Bolt (électriques) autonomes l’an prochain, aux Etats-Unis. Plus près de nous, Renault, qui est un des constructeurs les plus avancés en voitures électriques, vient d’annoncer un test organisé avec Transdev, un groupe actif dans le transport (réseaux urbains d’autocars, opérateur de trains). Dix voitures Renault Zoe parcourront trois boucles en mode autonome à Rouen. Après une période d’essai, le public pourra recourir à leur service au départ de 17 stations. Ces initiatives visent à la fois à prendre date et à ne pas laisser le terrain libre pour la Silicon Valley et ses acteurs tels Uber ou Alphabet (ex-Google), dont la filiale Waymo développe des voitures autonomes.

5. Améliorer la valorisation boursière

Il ne faut pas exclure une raison boursière dans ces initiatives menées par les constructeurs. Ils sont confrontés à la valorisation énorme des nouveaux acteurs de la voiture électrique et/ou autonome, comme Tesla. Ce dernier a dépassé la valeur de groupes énormes comme Renault, Ford, Peugeot Citroën (PSA) et ne se situe pas très loin de BMW. Pourtant Tesla perd énormément d’argent et vend peu : 76.000 véhicules contre plus de 6 millions pour Ford en 2016 ! Les constructeurs craignent de passer pour des entreprises du passé, ringardes, face à la montée des petits nouveaux surdoués. Les annonces de services innovants peuvent corriger le tir et donner un air de start-up à des entreprises jugées très rigides. Avec l’espoir que les investisseurs en tiendront compte.

Et les réseaux de distribution ?

L’intérêt des constructeurs pour les services de mobilité intrigue les réseaux de concessions indépendants. Quelle sera leur place dans cette évolution ? Ce n’est pas très clair. Ils pourraient en faire les frais. Le premier importateur du pays, D’Ieteren, qui vend presque une voiture neuve sur quatre en Belgique, a répondu à sa manière. En lançant une société, Lab Box, qui a pour objectif de développer des services de mobilité. Son premier investissement est un service de car sharing flottant, Poppy, qui va démarrer à Anvers, avec 350 voitures, des VW Golf électriques et des Audi A3 au gaz naturel. D’Ieteren est indépendant du groupe VW, il joue donc sa propre carte et sa propre approche des services de mobilité.

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