Les millennials ne veulent plus imiter leurs parents

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Passionnés, émancipés, impatients et structurés : ce ne sont là que quatre des caractéristiques souvent attribuées aux millennials, qui reprennent de plus en plus le flambeau au sein des entreprises familiales. Mais mettent-ils en place un management réellement différent de celui de leurs parents ?

Les millennials sont les enfants des baby-boomers nés pour la plupart au cours de la décennie qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Cette génération Y, qui a vu le jour entre 1980 et 2000, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Les millennials adoptent un mode de consommation différent et se fixent d’autres priorités en tant que travailleurs. Un démographe les décrit en des termes plus élogieux que ses confrères. Pour lui, leur passion, leur sens des responsabilités et leur soif de structure sont des traits de caractère positifs, tandis que leur individualisme et leur impatience suscitent une certaine exaspération.

Ces dernières années, une passation de pouvoir a eu lieu dans de nombreuses entreprises familiales. Les millennials, souvent trentenaires, reprennent progressivement les rênes. “Il s’agit déjà d’un phénomène en soi”, estime Philippe Haspeslagh, président du FBN Belgium, le réseau des entreprises familiales belges. Fin avril, FBN Belgium a organisé dans notre pays un congrès international pour les millennials. “Ils sont précoces. Ils veulent se montrer et faire leurs preuves. Mais ils doivent compter avec des parents qui restent plus longtemps en bonne santé et peuvent donc continuer à travailler au sein de l’entreprise familiale. La famille doit se méfier d’un scénario “Prince Charles” dans lequel le millennial doit prendre son mal en patience.”

Une entreprise de millennials

Dans l’entreprise de construction limbourgeoise Dethier, les millennials Vicky et Kevin Dethier se partagent depuis le début de cette année la fonction d’administrateur délégué. Après y avoir été bien préparés pendant respectivement dix et cinq ans, Vicky et Kevin ont succédé à leur père Rob Dethier, qui incarne la deuxième génération avec son cousin Eric. “Notre père était conscient que s’accrocher à la direction risquait d’avoir des conséquences négatives sur l’entreprise et sur notre motivation”, témoigne Kevin Dethier. “De nombreux exemples de pater familias indécollables avant la septantaine le démontrent. Il est important de laisser à la nouvelle garde la possibilité de montrer de quoi elle est capable. Notre père avait lui-même vécu un passage de flambeau difficile entre les deux premières générations. C’est pour cette raison qu’il a annoncé son départ deux ans avant la date prévue. Nous ne pouvons que nous réjouir de sa façon d’aborder les choses. Et sa décision a eu un effet catalyseur car notre entreprise a attiré beaucoup de jeunes travailleurs, au point de devenir une véritable entreprise de millennials.”

Nous traversons le pays pour nous rendre chez Agristo, une société de transformation de pommes de terre établie en Flandre occidentale. Depuis le début de l’année, Hannelore Raes et Filip Wallays sont les CEO de cette entreprise fondée en 1986 par leurs pères respectifs, Luc Raes et Antoon Wallays. La deuxième génération compte cinq descendants. À sa tête, le duo s’est préparé pendant dix ans sous l’égide de Dirk Decoster, CEO externe. “Hannelore est la seule de cette deuxième génération à avoir acquis une expérience en externe avant d’intégrer l’entreprise familiale”, précise Filip Wallays. “Avec le recul, force est de reconnaître qu’une valeur ajoutée certaine aurait été obtenue si nous avions tous fait de même. Mais les choses ont suivi leur cours et nos parents se sont montrés ouverts à notre intégration au sein de l’entreprise. Au bout du compte, le passage de relais entre les deux générations s’est déroulé de manière fluide, avec Dirk pour assurer la liaison.”

De nombreuses entreprises familiales évitent le conflit de générations en mettant en place un processus permettant à la relève d’apprendre à connaître l’entreprise, mais aussi à cette dernière de s’acclimater aux particularités des millennials. La famille doit profiter de cette période d’adaptation pour s’adapter à leurs spécificités dans le contexte d’une entreprise familiale. Trois différences ressortent systématiquement entre la génération Y et celle des baby-boomers.

Un management et une communication différents

L’une des principales différences entre ces deux générations réside dans le style de management. Malgré tout le respect qu’ils ont pour la façon de faire de leurs aînés, les millennials veulent agir différemment. “Notre père a dirigé la société avec beaucoup de dévouement et d’enthousiasme”, raconte Vicky Dethier. “Il a également su rallier ses collaborateurs. Quand il prenait une décision, tout le monde y adhérait. Notre génération – de dirigeants et de travailleurs – est différente. Nous accordons plus d’importance au dialogue. Non seulement entre frère et soeur et avec nos cousins, mais aussi avec nos collaborateurs.”

Même scénario chez Agristo, qui a déjà introduit des changements dans sa culture d’entreprise sous la direction d’un CEO externe. “Nous avons travaillé sur la structure et sur la transparence”, explique Filip Wallays. “Qui rapporte à qui ? Qui communique ? Pour nous, il s’agit de transparence, pas de bureaucratie. Une telle structure favorise une communication efficace dans toute l’organisation et l’adhésion de chacun à notre projet. C’est ainsi qu’on bâtit une entreprise familiale au sein de laquelle tout le monde contribue à la réalisation des ambitions.”

Nos deux tandems de millennials soulignent que le changement ne découle pas uniquement de leur style de management. L’entreprise elle aussi a changé, ce qui crée de nouveaux besoins. “Autrefois, la croissance était le résultat d’un travail intense. Point. La question de savoir ce qu’on allait faire dans trois ou cinq ans importait moins”, explique Hannelore Raes. “La majorité de nos collaborateurs appartient à la génération Y, qui a besoin d’un but et d’une structure. Chez Agristo, nous sommes passés de 200 à 800 collaborateurs en dix ans. Notre approche est axée sur l’humain, nous nous appelons par notre prénom. Mais si on veut préserver l’atmosphère familiale, on doit structurer ce style de communication.”

Fini l’esprit de clocher

Les spécialistes pointent une autre différence dans la façon dont les millennials abordent les défis. Pour l’auteur Peter Hinssen, il faut davantage voir les millennials comme la “génération connectée” que comme la “génération numérique”.

“Généralement, les millennials aux commandes d’une entreprise familiale disposent d’un réseau plus étendu que leurs prédécesseurs”, confirme Herman Konings du bureau d’étude Pocket Marketing/nXt. “Leurs parents étaient membres de clubs services locaux, mais cette nouvelle génération part en Erasmus à l’étranger et n’hésite pas à acquérir de l’expérience au sein d’autres entreprises. Les millennials ont grandi avec les opportunités offertes par Internet. Dès qu’ils mettent un pied dans l’entreprise familiale, ce vaste réseau et leur attitude différente ne font qu’un.”

Herman Konings décrit cette attitude comme étant plus “collaborative”. En d’autres mots : plus prompte à collaborer avec d’autres entreprises, à sous-traiter des missions, à chercher des idées contrastantes en dehors de l’entreprise familiale. À cet égard, la vision des millennials chez Agristo a renforcé la prise en considération des souhaits des acteurs externes. “Nous sommes passés d’une orientation vers l’intérieur à un regard plus ouvert sur le monde”, estime Filip Wallays. “Toutes les parties prenantes entrent en ligne de compte, des collaborateurs aux consommateurs. Notre raisonnement ne se base plus uniquement sur les besoins de notre clientèle, il repose aussi sur les éléments susceptibles de convaincre le consommateur final.”

La question est de savoir si ce changement d’attitude impacte aussi l’approche en matière d’innovation. Les millennials agissent-ils différemment de leurs parents ? “L’innovation ouverte est un concept né avec les millennials”, poursuit Herman Konings. “Ils recherchent davantage le frottement des esprits. Et c’est de cette manière que naît l’innovation. Les baby-boomers modifiaient rarement les valeurs établies. La génération Y réfléchit autrement. Elle se préoccupe moins de ce dont elle a hérité des générations antérieures que de qu’elle va laisser derrière elle.”

Avant même le passage de flambeau de ce début d’année, la nouvelle génération à la tête de la société Dethier a affiché sa volonté d’innover autrement. Cela apparaît dans le trajet d’innovation remarquable et récompensé qui a permis à l’entreprise de construction limbourgeoise de numériser à la fois ses processus sous-jacents (comptabilité, gestion informatique, etc.) et sa production. “Notre secteur a de plus en plus recours à la construction virtuelle pour détecter les problèmes et leur apporter des solutions”, illustre Kevin Dethier. “Nous voulions miser sur cette technique pour maintenir la vitesse de croissance de notre entreprise familiale. Auparavant, l’innovation était surtout une question d’instinct. Mon père disait souvent qu’il fallait savoir prendre le train en marche. En matière d’innovation, nous privilégions une stratégie claire. Une fois définie, elle nous sert de base pour faire des choix ciblés en matière de collaborations par exemple.”

Plus de séparation entre travail et vie privée

Les millennials attachent plus d’importance à leur vie familiale. Ils ont vu leurs parents travailler dur, mais aussi se battre pour combiner travail et vie privée. On observe une envie d’autre chose chez les millennials. “Beaucoup de leurs camarades de classe étaient des enfants de couples séparés”, souligne Herman Konings. “Se trouver dans la même situation était leur plus grande crainte. Leurs parents ont souvent perdu leur combat pour garder un certain équilibre entre travail et vie privée, avec les conséquences visibles aujourd’hui. Même si un smartphone et une voiture de société sont des avantages attrayants, les millennials préfèrent rentrer à la maison à une heure décente et continuer à travailler chez eux. Ils ne veulent plus imiter leurs parents.”

Il ne s’agit pas seulement d’éviter les divorces. La génération Y affirme clairement son ambition d’être plus présente pour sa famille. “Les seuls moments où nous croisions notre père, c’était généralement au petit-déjeuner et au souper, après quoi il retournait souvent travailler”, raconte Vicky Dethier. “Aujourd’hui, il est le premier à vouloir que nous agissions autrement. Et la situation a changé pour nous comme pour nos collaborateurs. Nous nous battons avec le même acharnement, mais nous nous organisons différemment. Nous pouvons par exemple rentrer chez nous, manger et mettre les enfants au lit, puis rallumer notre ordinateur portable pour nous remettre au travail. De nombreux travailleurs consultent encore leurs e-mails professionnels en soirée. C’est très différent de la situation vécue par nos parents. À l’inverse, les millennials règlent de temps à autre des questions d’ordre privé sur leur lieu de travail. La frontière entre travail et vie privée s’estompe, mais dans le sens positif. Il est possible de se sentir bien dans les deux sphères sans devoir négliger l’une des deux.”

Philippe Haspeslagh coupe court d’emblée à toute idée selon laquelle les millennials travaillent moins dur au sein de l’entreprise familiale. “Contrairement à leurs parents, cette génération met la famille et la maison sur le même pied que le travail. C’est une différence notoire. Les millennials prennent donc les rênes de l’entreprise familiale avec work hard, play hard pour devise”. Ils travaillent beaucoup, mais ils participent aussi à des marathons ou à des triathlons, ils sont actifs sur les réseaux sociaux, ils suivent des formations et ils partent souvent en voyage. C’est une génération très ambitieuse, dotée d’un grand sens de l’organisation.”

“Nos parents avaient toutes les peines du monde à partir une semaine en vacances”, se souvient Hannelore Raes. “Notre génération a trouvé un autre équilibre. Et de nouveau, il ne s’agit pas seulement de nous, mais aussi des nombreux millennials qui travaillent dans notre entreprise. Cela ne se cantonne pas au télétravail. En matière d’organisation, Agristo suit un schéma plutôt classique. Nous ne sommes pas les champions des horaires variables et de la flexibilité totale. Nous travaillons avec un système d’équipes et beaucoup de collaborateurs sont au bureau de neuf à cinq. Pour notre génération, le véritable équilibre entre travail et vie privée tient plus aux relations entre les personnes par exemple. À partir du moment où elles sont équilibrées, et que les valeurs sont les mêmes à la maison et au travail, le bien-être est au rendez-vous et porteur à son tour d’équilibre.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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