Paul Vacca

Comment le populisme se développe à l’ère numérique

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Lorsque l’on est assommé chaque jour par une nouvelle révélation sur les réseaux sociaux, il n’est pas inutile de prendre un peu de recul. Avec, par exemple, un livre signé par un essayiste et chroniqueur italien, Giuliano da Empoli, paru chez Marsilio en Italie. Il s’intitule La rabbia e l’algoritmo. La rage et l’algorithme, tout un programme.

Ce livre, un peu malapartien, démonte les mécanismes du Mouvement 5 Etoiles (Movimento 5 Stelle ou M5S), le parti arrivé en tête aux élections des Chambres italiennes du 4 mars. Mais son intérêt dépasse largement le cadre de la politique intérieure italienne, car à travers le cas particulier de M5S, il livre une vision convaincante sur la manière dont le populisme prospère à l’ère numérique. D’autant que, comme le remarque l’auteur, l’Italie a toujours constitué un laboratoire du populisme, un avant-poste qui a expérimenté plus ou moins toutes ses formes possibles avant les autres. L’un des derniers modèles ayant été sa version ploutocratique et cathodique incarnée par Silvio Berlusconi, préfiguration de ce qui allait se passer avec l’avènement de Donald Trump.

M5S, le parti politique du “Coluche” italien, Beppe Grillo, en livre un autre avatar. Digital native – et même social media native -, puisqu’il a été lancé en 2009, c’est-à-dire cinq ans après Facebook et trois ans après Twitter. Une sorte de start-up politique dont Giuliano da Empoli s’attache à comprendre le business model. Au départ, analyse l’auteur, il y a un marché en forte demande, celui de la colère. Une colère informe et vide, portée par un bouffon : le vaffanculismo, un dégagisme outrancier et radical. Une colère en tout cas qui ne trouve plus de débouché. Car l’auteur note en écho aux travaux du philosophe Peter Sloterdijk que dans l’ancien monde, la rage était prise en charge par l’Eglise puis par les partis de gauche qui lui servaient de réceptacle et d’exutoire. La sublimant – au sens freudien – en espérance d’un au-delà éternel ou dans celle d’un Grand Soir. Or, aujourd’hui, plus aucune institution n’est à même de prendre en charge cette colère.

L’Italie a toujours constitué un laboratoire du populisme, un avant-poste qui a expérimenté plus ou moins toutes ses formes possibles avant les autres.

Et c’est là qu’Internet – avec un time to market remarquable – entre en scène. En la personne de Gianroberto Casaleggio, gourou numérique (mort en 2016) qui devint le stratège 2.0 du Mouvement scellant ainsi dès sa genèse l’association du bouffon et du geek. Il offrira au Mouvement une scalabilité impressionnante.

Le point fort de la démonstration de Giuliano da Empoli est de montrer qu’Internet en l’occurrence n’est pas seulement une plateforme, un porte-voix, un mégaphone pour le mouvement 5 Etoiles. Non, l’algorithme et les réseaux sociaux ne sont pas seulement les vecteurs de la rage – leur média -, ils en sont aussi le moteur et le carburant.

La plateforme numérique, précise l’auteur, n’est pas seulement un moyen de communication, mais la source même de l’identité et de l’appartenance au Mouvement 5 Etoiles. Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio gèreront l’hubris (ou démesure) du populisme traditionnel en mode 2.0, à la manière de PageRank, l’algorithme de Google, ou le Trends Topics de Twitter qui font remonter les thématiques les plus populaires en temps réel.

Car dans ce modèle disruptif – qui a uberisé le programme – plus besoin de s’encombrer d’un corpus idéologique à l’ancienne : l’algorithme s’en charge, lui faisant adopter la position la plus populaire. Peu importe le contenu pourvu qu’on véhicule la rage : les institutions européennes, les migrants, la classe politique, les patrons, ce ne sont finalement que des excipients. Le mouvement est ainsi capable de ” pivoter ” en temps réel, s’ajustant à la colère qui monte dans les topics. Contre l’euro, puis pour son maintien, contre les instances politiques puis dans ses instances…

Cette nature complexe du nouveau populisme, analogique et numérique, capable de transformer la colère ancestrale en buzzwords, que décrypte Empoli, est aussi ce qui finalement le rend quasi impossible à contrer. L’auteur recense d’ailleurs les impasses dans lesquelles elle plonge ses adversaires tétanisés ou englués. Il propose aussi un chemin citoyen. C’est d’autant plus salutaire que ce modèle M5S est benchmarké ailleurs. Et comment ne pas voir dans le trumpisme cette même matrice à l’oeuvre ? Une forme de fusion parfaitement aboutie de la rage et de l’algorithme de Twitter.

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