Comment Saint-Luc veut se transformer en hôpital connecté

© CUSL/Hugues Depasse

La clinique bruxelloise déploie un ambitieux plan de numérisation visant à faire entrer l’établissement de soins dans l’ère du big data, de l’intelligence artificielle et de la médecine prédictive.

Au bloc opératoire des Cliniques universitaires Saint-Luc, les lits défilent à une cadence impressionnante. En arrivant au sas d’entrée, le code-barre imprimé sur le bracelet du patient est soigneusement scanné par le personnel médical. Pas de place à l’erreur : il s’agit d’aiguiller le malade ou le blessé vers la bonne salle d’opération, où l’attend l’équipe en charge de l’intervention. Cette technologie relativement basique d’identification est une nécessité pour une institution comme Saint-Luc, où plus de 20.000 interventions chirurgicales sont réalisées par an (chiffres 2015). Elle représente aussi les prémices d’une véritable révolution, en passe de bouleverser le fonctionnement des hôpitaux.

La transformation numérique est au coeur d’un vaste projet d’investissement porté par les Cliniques universitaires Saint-Luc. L’établissement bruxellois consacre un budget de 100 millions d’euros sur 10 ans à ce processus de digitalisation, dont les ramifications s’étendent à tous les départements de l’hôpital. L’axe central de ce sérieux lifting consiste à remodeler de fond en comble le système d’information médicale. Baptisé TPI2, ce projet vise à créer un ” trajet patient intégré et informatisé “.

Actuellement, l’hôpital dispose d’environ 400 applications informatiques de collecte et de traitement de données médicales, qui communiquent plus ou moins bien entre elles. Un dispositif unifié permettra de ne pas perdre une miette des précieuses informations concernant l’historique de santé et de soins prodigués au patient. Pour s’équiper d’un tel logiciel, les Cliniques universitaires Saint-Luc sont actuellement engagées dans un processus d’appel d’offres auprès de grandes sociétés spécialisées dans l’informatique médicale.

Exploiter le big data

Renaud Mazy, CEO des Cliniques Universitaires Saint-Luc:
Renaud Mazy, CEO des Cliniques Universitaires Saint-Luc: “L’hôpital ne peut plus travailler en silos.”© CUSL/Hugues Depasse

” L’hôpital ne peut plus travailler en silos, explique Renaud Mazy, CEO des Cliniques universitaires Saint-Luc. Nous devons accompagner le patient à travers un trajet de soins, propre à chaque pathologie. C’est à cela que servira notre nouvel outil. ” La création d’une plateforme numérique unique permettra à l’hôpital de profiter pleinement du formidable potentiel du big data. Pour être réellement exploitables, les masses colossales de données de santé collectées par le personnel médical doivent être standardisées et insérées dans une nomenclature commune.

Ce processus a pour but de rendre le personnel médical plus efficace et de lui permettre de se concentrer sur les tâches les plus importantes. ” Notre médecin spécialiste de l’AVC m’a un jour expliqué qu’il passait trois heures chaque samedi à compléter un tableau Excel avec les données médicales de ses patients de la semaine, afin de pouvoir retrouver ultérieurement l’information en quelques clics, pointe Renaud Mazy. Mais cela veut dire que ce médecin-chef, grand spécialiste reconnu, passe 150 heures par an à faire de l’encodage ! ”

Prédire les chances de guérison

Au-delà du gain de temps, le nouvel outil informatique aidera l’hôpital à mettre le pied dans le secteur très prometteur de la médecine prédictive. Des sociétés comme IBM, avec son intelligence artificielle Watson, développent des outils d’analyse de données à l’attention du secteur de la santé. Ceux-ci ont pour but d’assister le médecin dans le choix du traitement adapté à la pathologie et aux antécédents du patient. En se basant sur l’historique de données médicales produites par l’hôpital, le logiciel est capable d’informer le médecin sur le pourcentage exact de chances de guérison du patient s’il suit tel ou tel traitement. Si, compte tenu du profil du patient, le traitement A offre un taux de réussite de 85 % et que le traitement B en offre 60 %, le médecin pourra prendre une décision éclairée basée sur les statistiques.

L’hôpital dispose d’environ 400 applications informatiques de collecte et de traitement de données médicales, qui communiquent entre elles.

” Ce type de technologie, qui aura un impact positif sur la qualité des soins, représentera bientôt un véritable avantage stratégique pour les hôpitaux qui s’en équipent, souligne le CEO. Nous entrons dans un nouveau monde. Et nous voulons être des leaders en la matière. ” L’arrivée de l’intelligence artificielle et des logiciels prédictifs dans un hôpital qui emploie près de 6.000 personnes pose des questions essentielles sur la place du professionnel de la santé dans la médecine de demain. Qui aura la main sur le traitement du patient : l’algorithme ou le médecin ? ” Le responsabilité incombera toujours au médecin, assure Renaud Mazy. Il est le seul à maîtriser des paramètres très humains comme l’état psychologique du patient. A l’avenir, il devra confronter son avis et son feeling aux statistiques brutes produites par le logiciel. ”

Pour le patron des Cliniques universitaires Saint-Luc, l’utilisation du big data et de la statistique à grande échelle ouvre la voie à une médecine beaucoup plus individualisée qu’aujourd’hui. En intégrant dans le logiciel des données concernant les antécédents familiaux, les habitudes alimentaires ou encore le profil génétique, la machine serait capable d’émettre un diagnostic extrêmement fin et adapté à chaque individu. Séduisante par les nouveaux progrès qu’elle annonce, cette médecine du futur pose aussi de délicates questions éthiques sur de potentielles dérives, comme celles décrites dans le film Bienvenue à Gattaca, qui dépeint une société tentée par la sélection génétique.

Télémédecine et hôpital virtuel

Anne-Sophie Marsin, directrice de la stratégie aux Cliniques Universitaires Saint-Luc:
Anne-Sophie Marsin, directrice de la stratégie aux Cliniques Universitaires Saint-Luc: “Les patients sont très demandeurs de ces nouveaux outils connectés.” © CUSL/Hugues Depasse

Les progrès toujours plus impressionnants de la médecine, combinés à l’implémentation de solutions digitales toujours plus poussées, sont sur le point de redéfinir la place de l’hôpital dans le secteur de la santé. La télémédecine et le développement des capteurs en tous genres (bracelets connectés mesurant l’activité ou le rythme cardiaque, lentilles de contact mesurant le taux de sucre, etc.) aideront les médecins à assurer un suivi médical, voire un diagnostic à distance. Saint-Luc teste ainsi une application pour les patients cardiaques. Ceux-ci mesurent leurs paramètres à la maison et répondent à certaines questions du genre : ” Etes-vous essoufflé après avoir monté 15 marches d’escalier ? ” L’application dessine un parcours de soins adapté au patient, et lui envoie régulièrement des notifications pour assurer le suivi de ses paramètres et lui rappeler ses consultations chez le médecin.

L’objectif est de décharger la structure hospitalière de certaines tâches routinières que le patient peut réaliser à distance, grâce aux nouveaux outils technologiques. ” L’hôpital sera là pour les épisodes les plus aigus et les situations de mise en danger du patient “, schématise Renaud Mazy. Un patient ne passera plus des semaines à l’hôpital pour une antibiothérapie préalable à une intervention. Déjà aujourd’hui, des dialyses peuvent être réalisées à domicile. Ce sera le cas à l’avenir pour un nombre toujours plus important d’actes. Il s’agit d’une véritable nécessité. Vu le vieillissement de la population, le nombre de patients augmente en effet chaque année. Cela contraint les hôpitaux à trouver des solutions pour réduire la durée des hospitalisations, dont la moyenne est actuellement de six jours à Saint-Luc.

Parmi ces solutions, on trouvera celle de ” l’hôpital virtuel ” : le patient passe moins de temps physiquement à l’hôpital, mais il y reste connecté numériquement. Les Cliniques universitaires Saint-Luc expérimentent quelques projets en lien avec cette nouvelle approche (lire l’encadré ” Cinq technos pour un hôpital digital “). L’hôpital procède pas à pas, avec un groupe de ” patients partenaires ” qui donnent du feed-back sur les nouvelles applications numériques de l’établissement. ” Les patients sont très demandeurs de ces nouveaux outils, avance Anne Sophie Marsin, directrice de la stratégie aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Mais ils ne veulent pas que la technologie remplace l’humain. Nous les rassurons en leur expliquant qu’au contraire, ces applications permettront au personnel soignant de dégager du temps de qualité au service du patient. Nous estimons qu’actuellement, les infirmiers passent 30 à 40 % de leur temps à des tâches administratives ou logistiques. C’est cela que nous voulons réduire. ” Optimisé, connecté, virtualisé, l’hôpital amorce son entrée dans la médecine du futur.

Cinq technos pour un hôpital digital

Examen en self-service

Le “kiosque de soins” est testé pour les consultations pré-opératoires chez l’anesthésiste. La machine mesure la tension, le rythme cardiaque et le poids du patient. Ces données et les réponses à un bref questionnaire-santé sont transmises au spécialiste, qui économise le temps d’un examen et peut se concentrer sur la consultation. A l’avenir, le système pourrait être élargi à d’autres spécialités et même remplacer une consultation si tous les paramètres sont dans le vert.

Attention, chute de patients

Comment Saint-Luc veut se transformer en hôpital connecté
© CUSL/Hugues Depasse

Des patients encore sous anesthésie sortent parfois de leur lit et font une mauvaise chute. Pour détecter ces incidents et réagir rapidement, l’hôpital teste un système de capteurs infrarouges qui mesurent les mouvements de la cage thoracique des personnes hospitalisées. Dans le cadre de la rénovation de l’hôpital (un projet de grande ampleur qui pèse 700 millions d’euros), ces capteurs pourraient être directement intégrés dans le plafond des chambres.

Des diabétiques suivis en ligne

Les Cliniques universitaires Saint-Luc ont noué un partenariat avec la start-up belge Vivi Doctor, qui développe une plateforme mettant en relation patients et médecins. L’hôpital utilise cette application pour assurer le suivi en ligne de patients diabétiques. Il ne s’agit pas d’une téléconsultation, actuellement interdite par l’ordre des médecins. Mais Vivi Doctor permet aux diabétiques de rester en contact avec leur spécialiste sans devoir se rendre systématiquement à l’hôpital. L’application sert aussi de plateforme d’échange sécurisée de données médicales entre personnels soignants de différentes institutions de soins.

Un GPS sur chaque bistouri

Comment Saint-Luc veut se transformer en hôpital connecté
© CUSL/Hugues Depasse

Bandages, ciseaux, pinces, fils, compresses… Un hôpital consomme une quantité invraisemblable de matériel jetable ou réutilisable. Rien qu’au bloc opératoire, le budget annuel consacré au matériel atteint 4 millions d’euros. Pour optimiser le trajet de cet équipement, améliorer la gestion des stocks et contrôler les coûts, les Cliniques universitaires Saint-Luc vont mettre en place un nouveau système de traçabilité. Actuellement, seuls les implants (vis, implants mammaires, etc.) sont équipés de puces RFID. A l’avenir, tout le matériel devrait être traçable électroniquement, et disposé dans une nouvelle zone de “picking”de 600 m2, sorte d’entrepôt Amazon en miniature.

Des robots en salle d’op’

Ils ne sont pas prêts à remplacer les chirurgiens. Mais ils leur rendent de précieux services. “On ne peut plus s’en passer”, confirme Xavier Banse, chirurgien orthopédique à Saint-Luc. Fabriqué sur le modèle des automates industriels, le robot Da Vinci (coût : 2,4 millions à l’achat et 1.500 à 2.000 euros de matériel par intervention) permet au chirurgien d’atteindre des endroits du corps humain très difficiles d’accès, et de manoeuvrer avec des gestes plus fins et plus sûrs. Quant au robot d’imagerie médicale Zeego de Siemens (1,1 million d’euros), il offre une visualisation très précise en trois dimensions du corps humain, ce qui permet notamment à l’équipe médicale de contrôler en temps réel le bon déroulement de l’opération.

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