Bruxelles: “Il est temps d’augmenter d’un cran la qualité des projets”

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Le pipeline de projets est bien rempli pour répondre au défi démographique de la prochaine décennie. Le “bouwmeester” bruxellois, Kristiaan Borret, entend profiter de cet élan pour mettre en oeuvre ses idées de mixité, de diversification de l’offre d’habitat et de qualité. Grincements de dents en vue.

Ses avis sont tranchés. Et ne font pas toujours que des heureux dans le secteur immobilier qui lui reproche parfois son franc-parler. Kristiaan Borret, bouwmeester (responsable de la politique architecturale) depuis 2015, n’en a cure. L’Anversois entend bien secouer le landerneau bruxellois pour le dynamiser, augmenter la qualité des projets et répondre aux défis majeurs qui se profilent à l’horizon.

TRENDS-TENDANCES. Que pensez-vous de l’évolution urbanistique de Bruxelles ces dernières années ?

KRISTIAAN BORRET. Une nouvelle impulsion a été insufflée par le gouvernement bruxellois, avec une série de réformes de grande ampleur. Que ce soit sur le plan de la gouvernance, sur le plan réglementaire avec le CoBAT et le Règlement régional d’urbanisme (RRU), ou encore en matière de renforcement des institutions, avec notamment l’élargissement de l’équipe du bouwmeester – on est passé de quatre à 13 personnes depuis l’an dernier. Bref, nous sommes vraiment dans une nouvelle dynamique. Le bémol, c’est que ces réformes prennent du temps. Ce qui n’est pas nouveau dans la capitale… Mais je ne suis pas surpris par cet élément car je savais où je mettais les pieds en arrivant. Ce retard se traduit également dans les délais d’octroi d’un permis : six mois, c’est rapide ; 9 mois, c’est le délai espéré par un demandeur ; quatorze mois, cela devient scandaleux. À Anvers, nous comptions ces délais en jours, c’est dire la différence… Il y a donc d’énormes progrès à réaliser sur ces aspects.

Quels sont toutefois les éléments positifs ?

Je pense que nous sommes à un moment charnière pour Bruxelles. Il faut dorénavant oser travailler sur une échelle régionale en matière d’aménagement du territoire. De manière à réparer et soulager l’urbanisme quelque peu brutal conçu dans les années 1960 et 1970. Les contrats de quartier ont permis de colmater certaines brèches et d’améliorer la situation à une échelle locale. Mais il faut aller plus loin en matière de rénovation urbaine. C’est pour cela que le développement de la zone du canal est extrêmement important puisque cet enjeu est celui de toute une région.

La ville semble en complète mutation, avec des projets qui se développent un peu partout. Une marque d’ambitions nouvelles ?

Bruxelles a déjà connu de tels développements par le passé. Mais nous sommes effectivement à un momentum de transformation de la ville. Il ne s’agit plus de parler d’extension, cette période est révolue. Non, nous sommes dans une ère de mutation, de transformation des affectations existantes. Et pour y arriver, il y a un grand nombre de projets qui sont dans le pipeline, dont les 10 quartiers prioritaires (15.000 logements au total, hors canal). J’ai d’ailleurs été quelque peu surpris par leur ampleur. Mais cette ambition est positive. C’est bien évidemment lié à la croissance démographique. Il faut en tirer profit pour repenser Bruxelles.

Le rythme actuel de production de logements est-il en ligne avec la hausse démographique attendue dans les prochaines années, qui exige la production de 3.000 logements par an ?

Vous posez des questions qui sortent de mon expertise. Notre équipe travaille davantage sur la qualité des logements plutôt que sur la quantité.

On connaît les grands enjeux bruxellois. Tenter de garder la classe moyenne à Bruxelles pour augmenter l’assiette fiscale, ce qui permettra d’avoir davantage de moyens pour lancer des politiques d’envergure. Quel est l’enjeu prioritaire à Bruxelles selon vous ?

Gérer la croissance démographique est le principal. Tandis que sur le plan urbanistique, le défi majeur est de s’assurer que l’importante vague de développements soit de bonne qualité. Il n’est pas envisageable de reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Par exemple avec des quartiers monofonctionnels, tel qu’on peut le voir dans le quartier Nord. Aujourd’hui, la facilité serait de construire des logements un peu partout. Ce serait une erreur. Il faut donc combiner cette croissance démographique avec des exigences de qualité.

Quid de la mixité dont on parle tant ?

J’y arrive. L’autre enjeu est de combler le retard qu’accuse Bruxelles en matière de réhabilitation de friches industrielles par rapport à d’autres villes européennes. Mais je ne considère néanmoins pas cela comme un désavantage. Nous devons tirer les leçons de leurs erreurs et ne pas les reproduire. Notamment le fait que toutes les entreprises productives ont été reléguées en dehors de la ville. Le grand défi bruxellois est de concevoir une autre ville, qui met en avant une mixité forte. Il s’agit aujourd’hui de la caractéristique essentielle d’une ville. Et les activités économiques en font partie.

Les promoteurs semblent actuellement ne proposer qu’un seul type de bien, c’est-à-dire des appartements de deux ou trois chambres. Ne va-t-on pas vers une suroffre dans ce segment ?

De prime abord, le secteur immobilier a une certaine tendance au conservatisme. Il construit ce qui a été vendu hier. Il y a un manque de vision et de volonté. Je pense que nous pouvons faire évoluer la demande, et que celle-ci a d’ailleurs déjà évolué. Il y a des tendances en matière d’habitat groupé ou d’habitat partagé. Les prix ont tellement augmenté ces dernières années qu’il est nécessaire de changer d’approches. Cette évolution va influencer le promoteur standard.

Les autorités publiques ont-elles un pouvoir d’influence suffisant pour faire évoluer les choses ?

On peut, en effet, stimuler la demande. Soit en construisant nous-mêmes, ce qui nous donne la possibilité d’offrir de nouveaux modèles. Pour le projet Josaphat par exemple (échéance 2017-2030, NDLR), la Société d’aménagement urbain (SAU) lance cette année une procédure de dialogue compétitif qui exigera du promoteur qu’il se distingue de ce qui est construit un peu partout. Que ce soit sur le plan de la qualité architecturale ou de la typologie des appartements. L’innovation sera récompensée. Un exemple : dans le logement social, il y a de plus en plus de demandes pour des appartements de cinq ou six chambres. Ce qui n’existe pratiquement pas sur le marché. Dans l’autre sens, la tendance des ménages single s’accentue, que ce soit pour des jeunes ou des personnes âgées. Il faut donc également s’adapter.

Si vous deviez choisir le quartier bruxellois de demain, quel serait-il ?

Si je dois conseiller un de mes amis qui veut habiter à Bruxelles, c’est au canal que je lui conseillerais d’aller. L’objectif du Plan canal est, entre autres, de créer des logements pour 25.000 habitants. Mais il faut aussi utiliser cette reconversion pour articuler la vallée de Bruxelles plus clairement dans le paysage urbain. Mon ambition n’est pas de concevoir uniquement des projets immobiliers de qualité mais mettre en valeur la typographie de la Senne.

Le canal concentre une série de projets immobiliers alors qu’il ne présente pas encore une grande attractivité. Les promoteurs ne vont-ils aujourd’hui pas droit dans le mur en y multipliant les promotions ?

C’est le marché qui décidera si les appartements se vendront ou pas. Il n’y a pas de signaux d’alerte en ce sens actuellement. Mais c’est vrai que les gens qui habiteront, par exemple, à Biestebroeck seront des pionniers. Il n’y aura pas de magasins, il faudra marcher pour trouver un café ou un restaurant, etc. Mais c’est normal. Il faut un certain temps pour qu’un nouveau paysage urbain s’installe. Il est vrai que la Région bruxelloise pourrait effectuer davantage d’efforts pour mieux faire connaître les futurs quartiers. Cela passe, par exemple, par l’organisation d’événements culturels ou festifs afin d’attirer les regards et de permettre la découverte de ces quartiers en mutation. Il est important de créer des premiers liens, car cela permet d’anticiper une appropriation future.

Dans les 10 quartiers en devenir déterminés par le gouvernement bruxellois, quels sont les projets les plus avancés ?

Il faut apporter des nuances pour chaque développement. Le dossier Reyers est, par exemple, très avancé par rapport au masterplan : les projets sont en préparation de demande de permis, mais il faudra encore construire le nouveau siège, démolir le siège actuel avant de seulement lancer le volet logement. Bref, on est parti sur une temporalité à 15 ans (2018-2030). Même timing pour Néo ou Josaphat. À Delta, un projet logistique pourrait débuter d’ici peu. Mais la vision urbanistique d’entrée de ville doit encore être déterminée.

Y a-t-il un quartier bruxellois qui a récemment été réaménagé et qui peut faire office d’exemple pour les projets futurs ?

Je ne pense pas qu’il y a un modèle unique sur lequel on puisse s’inspirer. La force de Bruxelles est la diversité de ses quartiers. C’est une vraie richesse. Sa fragmentation institutionnelle est parfois critiquée, mais cela reflète un paysage urbain très divers. Il faut y ajouter de nouveaux quartiers qui prônent une certaine mixité et une thématique. Reyers sera différent de Tour & Taxis, etc. Accentuons justement les différences !

Y a-t-il un avenir pour l’érection de tours à Bruxelles ?

Je n’ai pas d’a priori sur les tours. Il s’agit d’une manière de densifier comme une autre. Mais il est tout à fait possible de répondre à la croissance démographique sans construire des tours. Elles doivent avant tout rester un geste urbanistique particulier, qui fait office de signal. Bruxelles possède déjà un certain nombre de tours. Reste à voir s’il en faut encore davantage.

Quels sont les freins qui pourraient retarder vos ambitions ?

Il est connu que Bruxelles n’est pas la Région la plus rapide d’Europe. Mais on m’a tellement averti sur le sujet que j’ai parfois été surpris de voir que des alliances pouvaient se nouer entre différents porteurs de projet et des instances communales. C’est donc positif. Un autre cliché qui est véhiculé sur Bruxelles est que le circuit des promoteurs et des architectes est relativement fermé. Ma mission est d’essayer d’ouvrir et de rafraîchir quelque peu le marché. Apporter de nouveaux acteurs peut être sain.

Ce qui ne va pas faire que des heureux…

Oui, mais ils connaissent mon point de vue. Un exemple : ces 40 dernières années, aucun projet d’envergure n’a été réalisé par un architecte de renommée internationale. Je suis quelque peu allergique aux architectes-stars, mais il n’est pas normal non plus de n’avoir aucune réalisation de leur part. J’essaye donc de sensibiliser les promoteurs privés à cet aspect.

Une dernière chose : dans 10 ans, comment voyez-vous l’évolution de Bruxelles ?

Bruxelles sera enrichie par une autre couche d’urbanisation. Je rêve que, d’ici une décennie, on puisse se balader tranquillement le long du canal, y côtoyer de nombreux habitants, fréquenter un quartier vivant avec des espaces publics attrayants, où des entreprises sont encore présentes. Il restera bien évidemment encore quelques friches à réhabiliter. Mais ce quartier sera vraiment en mutation. La friche post-industrielle sera devenue un nouveau quartier. Tous les autres quartiers prioritaires seront lancés : la moitié de Josaphat sera construite, le Heysel sera en chantier, Delta aura évolué, etc. La croissance démographique de Bruxelles aura été consolidée dans une nouvelle forme urbaine.

Propos recueillis par Xavier Attout

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