La construction entame sa mutation 4.0

© ISTOCK

Attention, révolution en vue. Le secteur de la construction se lance dans un de ses plus vastes chantiers : réussir une transition numérique qui modifiera ses fondamentaux. L’idée est notamment de concevoir au préalable et virtuellement les chantiers. De quoi diminuer les risques d’erreurs, réduire les coûts et accélérer les délais d’exécution.

Déterminer l’état d’une toiture à l’aide d’un drone. Faire appel à un robot pour couper une porte. Ou encore visualiser un projet en temps réel à l’aide d’une maquette numérique. Bienvenue dans la révolution 4.0 du secteur de la construction/rénovation. Une mutation au long cours pour un secteur ancré dans la tradition des procédés et habituellement réfractaire aux changements et aux évolutions. Sauf que, cette fois, il n’a plus vraiment le choix. ” Il est clair que pour de nombreuses entreprises, ce sera s’adapter ou mourir, lance Francis Carnoy, directeur de la Confédération Construction Wallonie. Le numérique est aujourd’hui une question de survie dans la gestion d’une entreprise. Pour rester compétitives et remporter des marchés, elles doivent se moderniser, voire même se différencier. ” Les tonnes de paperasse utilisées par les entrepreneurs qui fonctionnent à l’ancienne passeront bientôt à la poubelle. Travailler seul dans son coin également. L’heure est à la dématérialisation des procédures et des échanges, à la collaboration dans l’exécution des travaux, à la rationalisation des modes de travail.

Un retard à combler

En jetant un oeil à ce qui se fait autour de nous, on constate aisément que la Belgique accuse un sérieux retard en la matière. Royaume-Uni, Pays-Bas, Finlande, Norvège et, plus récemment, France ont tous embrayé dans cette direction ces dernières années. La Commission européenne pousse également ses Etats membres à accélérer leur mutation. Bref, le mouvement se précise. ” Soyons positifs, ce retard nous permettra de ne pas répéter les mêmes erreurs que ces pays, sourit Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération Construction. Ce défi est extraordinaire. Nos 14.000 entreprises doivent le relever avec enthousiasme et détermination. A nous de les sensibiliser, former et encadrer de la meilleure manière. ”

Plus précisément, où en est-on aujourd’hui en Belgique ? Pas très loin, il faut l’avouer. Seules 23 % des entreprises ont actuellement franchi le pas du numérique, selon des chiffres de l’Agence wallonne du numérique. Près de 43 % supplémentaires sont par contre prêtes à faire de même d’ici un an. Une preuve de la prise de conscience de plus en plus prégnante des enjeux. ” Le numérique englobe en fait une série d’éléments qui permettent d’améliorer et de faciliter le quotidien, note Francis Carnoy. Que ce soit la restauration d’éléments patrimoniaux via l’imprimante 3D, le scanning, le traçage préprogrammé au laser, la gestion d’une entreprise ou encore les smart buildings. Il conviendra en tout cas d’élaborer une stratégie différente pour les TPE, PME et grandes multinationales. Le plus grand danger étant de créer une fracture numérique entre entreprises. ”

UNE BELLE ANNEE 2016 POUR LA CONSTRUCTION

Le secteur de la construction se porte bien, selon les derniers chiffres de la Confédération Construction qui annonce une progression de son activité de 3,7 % pour 2016, ce qui a permis de soutenir la croissance économique du pays. Il a notamment profité du renforcement des exigences énergétiques dans le logement neuf l’an dernier. La rénovation a quant à elle progressé de 3 %.

Les responsables de la Confédération Construction attendent une croissance moins prononcée pour 2017, surtout dans le domaine de la rénovation, et appellent à soutenir les investissements “de façon structurelle, indépendante des investissements cycliques des autorités locales”. Ils souhaitent également que le gouvernement développe une politique fiscale conséquente, qui incite les gens à investir dans l’immobilier, mais aussi à effectuer réellement des travaux, tant sur le marché de la rénovation et des constructions neuves que sur le marché locatif. Cela passerait par une extension à tout le pays d’un taux de TVA réduit pour les reconstructions après démolition.

Réduire les risques d’erreurs

Le plus grand danger est de créer une fracture numérique entre entreprises.” Francis Carnoy, directeur de la Confédération Construction Wallonie

Mais quand on parle de numérique dans la construction, un seul mot revient dans toutes les conversations : le BIM, pour Building Information Modeling. L’idée, en résumé, est de proposer une modélisation numérique du bâtiment, non plus composée de lignes mais d’objets numériques. On y retrouve donc déjà tous les matériaux et les systèmes qui seront mis en oeuvre sur le chantier réel. ” De cette manière, on peut avoir une image fidèle de ce que sera la réalité en phase d’exécution, explique Olivier Vandooren, directeur adjoint du CSTC, le Centre scientifique et technique de la construction. Il s’agit vraiment d’aborder un chantier d’une manière radicalement différente de ce qui a été fait jusqu’à présent. La révolution est aussi importante que quand on est passé du papier à l’ordinateur. Cela permet de mettre fin au cloisonnement entre les métiers. ”

La complexification des techniques de construction et les délais d’exécution de plus en plus courts ont augmenté les contraintes et les erreurs. Sans parler des problèmes de communication qui sont légion sur un chantier. Des problématiques résolues par le BIM. ” Il permet une meilleure organisation du processus de construction et une collaboration basée sur l’utilisation de maquettes numériques qui peuvent être échangées entre partenaires, relève Olivier Vandooren. Cette maquette, qui est la représentation virtuelle d’un ouvrage, intègre des vues géométriques et diverses informations. Elle est aussi constituée d’objets tels que des fenêtres, des murs ou des portes, auxquels sont associés des informations concernant leurs caractéristiques techniques et leur relation avec d’autres objets. ” Si bien qu’un entrepreneur qui souhaite retrouver la couleur d’une peinture, le type de porte installée voire le diamètre d’une canalisation peut le faire aisément en utilisant cette maquette qui référence tous les éléments. Un outil qui permet également de résoudre la moindre erreur en amont. ” Si tout le monde (architecte, entrepreneur, ingénieur, maître d’ouvrage, etc.) utilise le même document et y intègre ses informations, le gain de temps est énorme, précise Véronique Vanderbruggen, de la Confédération Construction, qui coordonne le forum Parlons digital qui se déroulera le 16 février à Batibouw. Le partage d’informations doit permettre d’éviter les saisies multiples qui sont sources d’erreurs et d’inefficacité, de manière à mieux planifier et anticiper pour ne plus avoir de surprises sur le chantier. ” C’en est donc fini de l’architecte qui envoie le métré au maître d’ouvrage avant que l’entrepreneur ne reprenne les mêmes mesures. Les concepteurs estiment que le BIM permet de diviser par sept le nombre de saisies d’informations. Et, par conséquent, le nombre d’erreurs qui en découlent.

L’idée du BIM est de proposer une modélisation numérique du bâtiment, non plus composée de lignes mais d’objets numériques.

Un exemple ? Dans le cadre de la construction du grand musée du Caire, l’utilisation du BIM a permis à Besix d’éviter le recours à plus de 5.000 dessins au profit d’une maquette numérique. Et a permis aussi de relever 29.631 conflits. Soit le nombre d’erreurs potentielles que l’on aurait pu retrouver sur un chantier. Comme par exemple la fixation d’une porte qui perçait une gaine électrique. ” Et dans des projets qui comptent 500 portes, cela fait 500 conflits potentiels ! , fait remarquer Robert de Mûelenaere. Résoudre cela en amont facilite nettement la vie sur un chantier. Le temps de conception est plus long mais c’est parce que tout le chantier est préparé au préalable. Toutes ces erreurs ne seront plus présentes sur le terrain. ”

Contrer le dumping social

Les avantages du BIM sont donc nombreux : il permet d’augmenter la compétitivité de 20 %, de diminuer le nombre d’erreurs de 80 % et de réduire l’utilisation de papier de 50 %. De quoi réduire sérieusement les coûts de construction et les délais d’exécution. Ce qui signifie que le chiffre d’affaires s’en verra inévitablement amélioré. ” Il s’agit, de plus, d’un moyen particulièrement efficace pour lutter contre le dumping social, fait remarquer Francis Carnoy. Il est très difficile pour nos entreprises de lutter à armes égales avec des entreprises de l’Est. Par contre, cette mutation numérique nous redonne une longueur d’avance. Améliorer l’efficacité réduit les coûts en diminuant la durée du chantier. Lors d’un appel d’offres, l’entreprise numérique sera inévitablement avantagée et choisie.”

Pour l’heure, seules quelques grandes entreprises utilisent le BIM dans le cadre de projets tels que Docks Bruxsel, Tivoli Green ou encore l’immense paquebot de l’Otan à Evere. De même que quelques grands bureaux d’architectes tels qu’Art&Build et Assar Architects. Avec des constats plus que positifs. ” Les potentialités sont énormes, explique Olivier Vandooren. Les entreprises clés sur porte comprennent déjà très bien les avantages que peuvent lui apporter cet outil collaboratif. Elles veulent s’y mettre très rapidement. Pourquoi ? Car en diminuant les erreurs de chantiers, les pertes de temps et donc les délais d’exécution, leurs marges augmentent d’environ 2 à 3 %. Ce qui est énorme pour eux. A terme, d’ici cinq ans, toute la chaîne de construction utilisera le BIM. On sera alors en plein dans la révolution numérique de la construction. ”

“Le projet est ficelé virtuellement avant d’aller sur le chantier”

Thomas Vandenbergh
Thomas Vandenbergh© PG

Thomas Vandenbergh est l’une des pointures belges en matière de numérique dans la construction. Il est responsable de l’implémentation, de la coordination et de la gestion du BIM chez Besix, l’un des premiers promoteurs belges à avoir fait usage de ce procédé.

TRENDS-TENDANCES. Besix semble avoir une longueur d’avance en matière d’intégration du numérique dans la construction. En quoi cela se traduit-il ?

THOMAS VANDENBERGH. Tout a démarré en 2010 aux Pays-Bas. Pour emporter un marché lancé par la Régie des eaux, nous étions obligés de travailler avec le BIM. Ce que nous avons fait avec des acteurs locaux. Depuis lors, nous n’avons fait qu’améliorer nos connaissances sur le sujet, notamment par le biais de notre bureau d’études. Pour le reste, nous utilisons aussi aujourd’hui des drones pour des repérages. Mais, a terme, un drone permettra de déplacer du matériel et d’effectuer des missions trop risquées pour les ouvriers. Il remplacera donc dans certains cas les mains et les jambes d’un ouvrier !

Quels sont les avantages du BIM ?

Les maquettes numériques nous permettent de produire des plans plus rapidement et de meilleure qualité. La manière d’y arriver a totalement changé. Le travail de conception est beaucoup plus approfondi mais il permet d’éviter les contretemps sur le terrain. Notre devise est d’ailleurs “Trompez-vous virtuellement pour ne pas vous tromper sur le chantier”. Tout est ficelé en amont. Enfin, le BIM permet de gérer les flux d’informations sur un projet. L’efficacité s’en voit nettement améliorée. Que ce soit sur le plan de la logistique ou des quantités à maîtriser.

Avec des économies à la clé ?

Nos experts estiment que solutionner un problème revient à économiser environ 80 euros. Or, il y en a des centaines sur un chantier… Aux Etats-Unis, une étude relève que solutionner entièrement un problème coûte 1.000 dollars. Je préfère de mon côté dire que pour un même prix de chantier, nous pouvons désormais offrir beaucoup plus à notre client.

Quelles perspectives de développement voyez-vous en la matière pour Besix ?

La prochaine étape est de tenter de faire le lien entre toutes les technologies émergentes et le BIM. Pouvons-nous utiliser cette maquette dans le cadre de l’utilisation d’un drone, d’une simulation sur un chantier ou d’aider un acheteur potentiel à configurer son appartement ? L’objectif sera d’utiliser toutes ces données numériques à bon escient.

Par Xavier Attout.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content