Les intérimaires du droit se multiplient

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Le legal interim a le vent en poupe. Attirés par la flexibilité de la formule, les grandes entreprises, les PME et même les cabinets d’avocats font de plus en plus appel à ces “juristes volants”.

Dix ans qu’il est intérimaire. Et il est loin de s’en plaindre. Si Pierre Van Scherpenzeel enchaîne les missions comme legal interim manager, c’est d’abord par choix. ” J’ai besoin de bouger régulièrement et je ne suis pas fan des règles hiérarchiques trop rigides. J’apprécie mon rôle d’électron libre “, explique le juriste. Avocat dans un cabinet bruxellois pendant sept ans, il se retrouve comme beaucoup d’autres confronté au fameux plafond de verre : sans possibilité de progresser dans l’association, il préfère quitter la structure et se présente chez Vialegis, un bureau spécialisé en placement de juristes. Il preste une première mission de trois semaines… qui en amènera beaucoup d’autres. Rapidement, les propositions se succèdent. ” En 10 ans, j’ai peut-être eu deux semaines de flottement “, souligne-t-il. Aujourd’hui, Pierre Van Scherpenzeel partage son temps entre ses clients personnels, dont il s’occupe via son propre cabinet d’avocat, et ses missions de legal interim dans de grandes entreprises qui ont besoin d’une expertise ponctuelle en droit bancaire ou en droit de l’énergie, ses deux spécialités.

Plusieurs centaines de juristes et d’avocats travaillent ainsi en entreprise via un statut d’intérimaire ou de free-lance. Philippe Jadoul, CEO de Vialegis, la société pionnière en Belgique sur le créneau du legal interim, estime que ces ” juristes volants ” sont environ 400. Et les effectifs ne cessent de grimper, poussés par une demande croissante de la part des clients. ” Notre volume d’affaires a doublé sur les deux dernières années “, se réjouit Philippe Jadoul.

Finies, les carrières planes

Si les entreprises font appel à des juristes intérimaires, c’est pour bénéficier d’une certaine flexibilité que n’offrent pas les contrats de travail traditionnels. C’est une tendance générale sur le marché du travail. Les statuts de free-lances, d’indépendants et d’intérimaires en tous genres se multiplient. Les carrières planes au service d’une seule et même entreprise deviennent de plus en plus rares. Les travailleurs changent aujourd’hui beaucoup plus souvent d’employeur et de statut au cours de leur parcours professionnel. Cela se marque aussi dans le monde du droit.

Les legal interim managers peuvent être sollicités pour remplacer un juriste absent pour cause de maladie ou de congé de maternité. Ils permettent aussi de pallier rapidement un départ, en attendant l’issue d’une procédure de recrutement qui peut prendre plusieurs mois. Ils sont également appelés pour servir de ” renfort caisse ” à l’occasion de grands projets menés au sein de l’entreprise (une acquisition importante, par exemple). Ils prestent généralement de trois à six mois et sont régulièrement invités à prolonger leur mission jusqu’à un an, voire plus dans certains cas. ” Ce que les entreprises apprécient, c’est que nous pouvons leur proposer très rapidement quelqu’un d’expérimenté qui sera capable de leur prêter main forte pendant le temps nécessaire “, pointe Harold Dulait, fondateur de la société de recrutement Legalia, qui a vu le nombre de ses consultants juridiques doubler en 2017.

C’est une caractéristique du legal interim : les profils demandés par les entreprises sont généralement des juristes affichant une certaine expérience dans leur spécialité. Ce sont souvent d’anciens membres de grands cabinets d’avocats ou d’anciens juristes d’entreprise qui souhaitent trouver une plus forte autonomie professionnelle. Tous ont plusieurs années d’expérience au compteur. Ils doivent en effet être aptes à reprendre au pied levé des dossiers en cours. Ils peuvent être amenés à remplacer un juriste, voire un manager ou même, dans certains cas exceptionnels, le patron du département juridique de l’entreprise. ” C’est arrivé récemment, confie Céline Chomé, responsable du legal interim chez USG Professionals. Il faut alors trouver un juriste qui a de l’expérience dans le management et qui sait gérer une équipe. ”

– Philippe Jadoul (Vialegis) : “Notre volume d’affaires a doublé sur les deux dernières années .”

– Harold Dulait (Legalia) : “Nous pouvons proposer très rapidement quelqu’un d’expérimenté.”

– Céline Chomé (USG Professionals) : “Le bouche-à-oreille fonctionne très bien.”

– Marc Vereecken (lexius staffing) : “Les besoins augmentent pour les profils de juristes fiscalistes.”

De 500 à 1.000 euros par jour

En fonction de l’expérience professionnelle et du profil du candidat, la facture peut varier du simple au double pour le client. D’après les différents bureaux que nous avons sollicités, nous pouvons estimer que les tarifs débutent aux alentours de 500 euros sur base journalière, et qu’ils peuvent grimper jusque 1.000 euros environ pour certains hauts profils. Pour évaluer le salaire brut d’un intérimaire du droit, il faut ensuite retrancher la commission du bureau de recrutement. Chez Vialegis, seule société qui a accepté de nous le révéler, la commission tourne autour de 25 %. Au final, les rémunérations des legal interim managers s’avèrent relativement intéressantes pour des juristes qui souhaitent travailler ” à la carte ” tout en bénéficiant d’une certaine stabilité financière grâce à une rémunération garantie pendant la durée de leur mission. Les tarifs ne sont cependant pas aussi élevés que dans d’autres professions où le travail en tant que free-lance est devenu très fréquent, comme l’informatique, où il n’est pas rare que les rémunérations des consultants dépassent les 1.000 euros journaliers.

Les tarifs débutent aux alentours de 500 euros sur base journalière et peuvent grimper jusque 1.000 euros environ.

C’est que le marché du droit ne subit pas une tension aussi forte que celui de l’informatique, où il est parfois compliqué de trouver certains profils. D’après les sociétés de recrutement spécialisées, l’offre et la demande ont tendance à s’équilibrer dans le secteur juridique. Ce qui n’empêche pas le marché de poursuivre sa croissance. ” Nous vivons dans un monde de plus en plus juridique. Les particuliers et les entreprises font de plus en plus appel aux tribunaux. Et le risque juridique est devenu une composante importante dans la stratégie de l’entreprise. Résultat : les besoins augmentent pour les profils de juristes, fiscalistes et spécialistes de la compliance “, analyse Marc Vereecken, CEO de Lexius Staffing.

Un marché dynamique

Les entreprises recherchent principalement des professionnels du droit des affaires au sens large. Mais les juristes spécialisés dans d’autres matières sont également très demandés, notamment en droit social, droit fiscal, marchés publics, compliance (respect des réglementations), droit intellectuel, droit immobilier… Cette diversification croissante des profils recherchés contribue à l’augmentation du nombre de candidats au legal interim. ” Le marché est très actif et dynamique. Le bouche-à-oreille fonctionne très bien “, témoigne Céline Chomé (USG Professionals).

Les grandes entreprises, notamment dans le secteur bancaire, l’industrie ou l’énergie, sont les plus gros consommateurs de ces ” juristes volants “. Mais les PME commencent à s’intéresser à cette formule. Peu enclines à engager un juriste à temps plein, elles voient leurs frais d’avocats exploser. Entre les deux solutions, un intérimaire employé à temps partiel peut faire l’affaire. Autre créneau d’avenir : les études de notaires. ” La demande est énorme, pointe Philippe Jadoul (Vialegis). Les études emploient entre cinq et 15 personnes. Si une absence se prolonge, un renfort temporaire peut vite s’avérer nécessaire. ” Même si c’est encore relativement rare, les cabinets d’avocats eux-mêmes font aussi appel aux sociétés de recrutement pour pallier à un départ ou une absence, ou pour renforcer pendant quelques mois une équipe qui travaille sur une grosse opération. L’intérim juridique se décline sous toutes les formes.

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