Le musée du Chat de Geluck se dessine

© ATELIER D'ARCHITECTURE PIERRE HEBBELINCK - PIERRE DE WIT

Si tout va bien, Bruxelles verra un flot de touristes rendre hommage au Chat de Philippe Geluck en l’an 2020. Les premières esquisses du musée prennent forme et la Région bruxelloise va investir 4,5 millions d’euros dans le projet. Il reste à trouver 4,5 autres millions pour boucler le budget. Volontaire, le dessinateur a pris son bâton de pèlerin pour séduire mécènes et sponsors. Mais la tâche est un petit peu plus compliquée que prévu…

“L’ouverture probable et espérée se fera dans un peu moins de trois ans “, dixit l’intéressé. En décembre 2019, Philippe Geluck aura 65 ans et sera donc l’un des très rares artistes à voir, de son vivant, l’inauguration d’un temple muséal à sa gloire. ” S’il est toujours par minou “, ajouterait volontiers sa créature fétiche, dans une bulle assassine, avec le flegme qui la caractérise…

Certes, l’endroit s’appellera Le Musée du Chat et du dessin d’humour, mais c’est bel et bien en l’honneur du dessinateur belge que l’édifice, situé tout près de la place Royale à Bruxelles, sera inauguré. ” Ce sera surtout un musée joyeux qui provoquera le rire et la réflexion, tempère Philippe Geluck qui refuse de se mettre trop en avant. Comme la plupart des musées, il sera conçu le plus sérieusement du monde, mais avec un côté franchement déconnant car Bruxelles en a bien besoin. Car ce que je voudrais surtout faire, à travers le Musée du Chat, c’est rendre au plus grand nombre tout le bonheur que j’ai rencontré dans mon parcours artistique. ”

Un chat glorifié

Dessiné par le bureau d’architectes liégeois Pierre Hebbelinck – Pierre de Wit qui vient de remporter l’appel à projets, ce futur musée bruxellois fera évidemment la part belle au célèbre Chat de Geluck à travers ses aventures et son univers graphique : archives, ébauches, planches originales, objets, peintures, sculptures, etc. Mais pas seulement. Une section sera réservée à la race féline dans l’histoire de l’art (depuis l’Egypte ancienne jusqu’à la bande dessinée) et toute une aile du musée rendra hommage au dessin d’humour ” en général ” par le biais d’expositions temporaires dédiées à des ” cartoonistes ” tels que Sempé, Topor, Chaval, Siné, Reiser ou encore Kroll, ainsi qu’à de jeunes talents prometteurs.

Le musée fera la part belle aux aventures et à l'univers graphique du Chat de Philippe Geluck.
Le musée fera la part belle aux aventures et à l’univers graphique du Chat de Philippe Geluck.© AMÉLIE DEBRAY

Au total, près de 1.500 m2 seront dédiés aux espaces d’exposition proprement dits, tandis que 1.000 autres m2 seront répartis entre les bureaux, le restaurant situé au sommet de l’édifice et l’inévitable boutique où le visiteur retrouvera les albums, catalogues et autres souvenirs à l’effigie du Chat.

Un budget de 9 millions

Le Musée du Chat et du dessin d’humour est censé doper l’offre touristique de la Région Bruxelles-Capitale.

Concernée par ce projet ambitieux qui va naître sur son territoire, la Région de Bruxelles-Capitale a décidé d’investir 4,5 millions d’euros dans la première phase des travaux du musée. Le ” bâtiment 1930 ” – c’est son appellation officielle – qui longe le Bruxelles Info Place (BIP) appartient en effet à la Société d’aménagement urbain (SAU) de la Région bruxelloise et sera complètement reconstruit pour épouser au mieux le projet des architectes. Le nouvel édifice revu et adapté aux normes actuelles restera la propriété des autorités régionales qui mettront alors le bâtiment ” casco ” – c’est-à-dire en gros oeuvre fermé – à disposition de l’équipe du Musée du Chat pour entamer ensuite la deuxième phase des travaux. Evaluée à 4,5 autres millions d’euros, cette nouvelle étape sera consacrée à l’aménagement des lieux et à la scénographie dont les sources de financement viendront du privé à travers le mécénat et le sponsoring, sources qui sont encore au stade des négociations.

Lorsqu’il sera opérationnel à l’aube de l’année 2020, le Musée du Chat et du dessin d’humour ne sollicitera aucun subside et devrait fonctionner sur le principe de l’autofinancement. Le business plan prévoit la création de 25 emplois équivalents temps plein et mentionne d’autres charges importantes (chauffage, éclairage, assurances, matériel, entretien, etc.) dont la somme cumulée avec les salaires devrait flirter avec les 2,5 millions d’euros annuels. Pour parer à ces frais de fonctionnement, le musée mise sur des revenus qui devraient atteindre au moins cette somme grâce aux recettes générées par le restaurant, les ventes en boutique, la location des lieux pour des événements et surtout les billets d’entrée dont le nombre a été évalué pour l’instant à 150.000 tickets par an (un objectif tout à fait modeste quand on sait que le Musée Magritte voisin attire chaque année près de 350.000 visiteurs). Selon l’importance du flux de touristes enregistré, la nouvelle attraction culturelle de la Région bruxelloise pourrait donc être, à terme, bénéficiaire et chaque euro dégagé sera donc intégralement réinvesti dans le projet.

Objectif sponsors

Le musée du Chat de Geluck se dessine
© TT

En attendant la concrétisation de ce rêve, le plus dur reste à faire, à savoir le financement de la deuxième phase des travaux. ” Je savais que ce ne serait pas simple, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si compliqué, confie le papa du Chat. Bien sûr, je suis confiant et je suis persuadé que l’on aura bouclé le budget de 4,5 millions d’euros pour cet été, mais de nombreuses réunions seront encore nécessaires pour persuader des partenaires privés de rejoindre l’aventure. ”

LES SPONSORS du musée bénéficieront d’une belle visibilité, tant à l’intérieur du musée que sur les réseaux sociaux, les affiches et le matériel déployé pour la communication.

Depuis quelques mois, Philippe Geluck a en effet pris son bâton de pèlerin pour partir à la rencontre de grandes entreprises actives dans le monde de la finance, de l’énergie ou de l’automobile. Objectif : les convaincre de devenir sponsor du musée en échange d’une série d’avantages (entrées gratuites, catalogues personnalisés, mise à disposition de salles pour des soirées-événements, etc.) et, surtout, d’une belle visibilité, tant à l’intérieur du musée que sur les réseaux sociaux, les affiches et tout le matériel déployé pour la communication. Dans sa brochure de présentation destinée aux sponsors, le dessinateur promet notamment aux futurs partenaires du ” modèle or ” (soit 1 million d’euros d’investissement pour une visibilité estimée à 1,6 million) ” une salle du musée au nom du sponsor ” avec des oeuvres hommages inédites ” qui constitueront un support promotionnel inédit où votre marque sera présentée de façon humoristique et valorisante “.

Idéalement, Philippe Geluck aurait aimé trouver un sponsor unique à l’instar du Groupe GDF Suez qui, en 2009, avait investi plus de 6,5 millions d’euros dans le cadre d’un partenariat privé-public pour le Musée Magritte à Bruxelles. Mais par les temps qui courent, il semble difficile de convaincre une entreprise de débourser à elle seule les 4,5 millions d’euros nécessaires pour la deuxième phase de travaux du Musée du Chat.

La raison du ” blocage ”

” En fait, ma notoriété en Belgique francophone et en France permet évidemment d’ouvrir des portes, reconnaît l’auteur du Chat qui fut jadis chroniqueur chez Michel Drucker, mais je n’ai pas cette dimension-là en Flandre, ce qui peut représenter un frein auprès de certains interlocuteurs. Bien sûr, j’ai publié des dessins pendant 10 ans dans des journaux flamands comme Het Belang van Limburg ou De Gazet van Antwerpen, mes albums sont traduits en néerlandais et celui qu’on appelle De Kat est donc connu au nord du pays, mais moi, l’auteur Philippe Geluck, je ne le suis pas de l’autre côté de la frontière linguistique. ”

Le musée du Chat de Geluck se dessine
© Philippe Geluck

Ennuyeux, ce déficit de célébrité en Flandre a quelque peu handicapé l’auteur du Chat dans son parcours du combattant pour trouver du sponsoring auprès des banques – il a déjà approché Belfius, ING, CBC, mais pas encore BNP Paribas Fortis – et de quelques grandes entreprises (un opérateur télécom l’a gentiment remercié à cause de cet aspect trop ” francophone “). Mais Philippe Geluck ne désespère pas et il vient d’ailleurs de décrocher un premier partenariat privé en la personne d’un puissant homme d’affaires anversois, l’armateur Nicolas Saverys, qui a décidé de consacrer une somme très importante au projet. ” C’est une très bonne nouvelle et j’espère maintenant attirer d’autres sponsors et, pourquoi pas, des mécènes dans l’aventure, se réjouit le dessinateur. Le Chat commence à faire partie du patrimoine belge. C’est une figure de notre inconscient collectif et elle assure un capital-sympathie aux marques qui s’y associent. Mais ce que je veux surtout, c’est donner aux patrons l’envie de se joindre à un projet positif, humaniste, ouvert et généreux qui participera aussi à la reconstruction du moral des Bruxellois. Avec ce musée, j’espère vraiment créer un pôle d’attraction. ”

“Je ne recherche pas l’enrichissement personnel avec ce projet. Le musée sera autonome et je ne toucherai rien sur ses recettes.”© STUDIOFIFTYFIFTY/THOMAS VANDEN DRIESSCHE

Si Philippe Geluck reconnaît ne pas encore avoir contacté de grandes fortunes comme Albert Frère ou Bernard Arnault (LVMH), il avoue en revanche avoir approché Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre français de la Culture et actuel conseiller de François Pinault, fondateur de PPR devenu Kering. Mais ce dernier a, semble-t-il, vécu une mauvaise expérience en Belgique au point de ne plus vouloir y investir…

La “mauvaise bonne idée” du “crowdfunding”

Philippe Geluck vient de décrocher un premier partenariat privé en la personne d’un puissant homme d’affaires anversois, l’armateur Nicolas Saverys.

Confronté au défi de trouver de l’argent, Philippe Geluck a même pensé, à un moment donné, s’élancer sur la piste du crowdfunding – le financement participatif via un organisme spécialisé – mais il a très vite enterré l’idée, craignant un bad buzz sur les réseaux sociaux. En effet, le terrain est miné et les internautes grincheux l’auraient sans doute pris à partie, estimant que le dessinateur – fort de ses 13 millions d’albums vendus depuis la création du Chat – ferait mieux de mettre lui-même la main à la poche plutôt que de mendier de l’argent auprès des foules. Soucieux de mettre les points sur les i, Philippe Geluck rétorque qu’il a déjà investi, précisément, beaucoup de temps et d’argent dans le projet et qu’il ne peut pas complètement se déplumer : ” Ce que j’ai mis dans ce musée est déjà énorme, à la fois dans l’énergie que je fournis et que je fournirai, mais aussi dans le financement de l’atelier qui va réaliser tout le travail préparatoire, confie- t-il. De plus, je ferai don au musée d’un grand nombre de mes oeuvres en échange de la confiance que m’accorde la Région de Bruxelles-Capitale. ”

Philippe Geluck se veut d’ailleurs très clair : le Musée du Chat ne lui appartient pas et ne lui appartiendra jamais. L’endroit sera géré par une ASBL indépendante de sa société, en collaboration avec une fondation dont la mission sera de recueillir et d’assurer la conservation des planches, dessins, tableaux et autres sculptures de l’artiste. ” Je ne recherche pas l’enrichissement personnel avec ce projet, insiste Philippe Geluck. Le musée sera autonome et je ne toucherai rien sur ses recettes. Mais si un jour le musée est en souffrance, je suis prêt à intervenir personnellement. ”

Une menace pour le Centre de la BD ?

Le musée du Chat de Geluck se dessine
© Philippe Geluck

Tout comme le futur ” Musée Citroën ” dédié à l’art contemporain et qui devrait, lui aussi, ouvrir ses portes en l’an 2020, le Musée du Chat et du dessin d’humour est censé doper l’offre touristique de la Région Bruxelles-Capitale qui veut de plus en plus se positionner comme une destination culturelle forte sur la scène européenne. Mais l’avènement de ce nouveau temple dédié au cartoon ne risque-t-il pas de faire de l’ombre au Centre belge de la bande dessinée, inauguré il y a plus de 25 ans déjà et qui attire chaque année quelque 200.000 visiteurs ? ” L’idée n’est certainement pas de nous substituer au Centre de la BD qui fait un travail formidable, conclut Philippe Geluck. Notre musée sera consacré au dessin d’humour qui, par sa brièveté et son impact, a une tout autre dimension. Je pense que les deux musées seront complémentaires et l’on va d’ailleurs essayer de créer des synergies pour travailler ensemble. Personnellement, je suis convaincu que plus l’offre est large, mieux c’est pour Bruxelles. Plus on a de théâtres dans une ville, plus les gens vont au théâtre. ” Et, ” plus il y a de fous, plus on mangera de souris “, aurait sans doute ajouté l’ineffable félin.

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