“Une bonne discussion est toujours bénéfique”

© Dieter Telemans

En tant que CFO, Luc Popelier a joué un rôle prépondérant dans le remaniement de KBC et regagné la confiance des clients et des investisseurs grâce à une communication transparente.

L’Anversois de 52 ans a été désigné CFO de l’Année en ce début de semaine par un jury composé de professionnels en la matière et de journalistes des rédactions de Trends et Trends-Tendances. Luc Popelier a mené de main de maître la réorganisation financière de l’institution. Le groupe banquier a pu ainsi renforcer son assise financière de 5 milliards d’euros en l’espace d’un an et demi. Cerise sur le gâteau : KBC a intégralement remboursé, cinq ans plus tôt que prévu, l’aide reçue des autorités flamandes et fédérales lors de la crise financière de 2008.

KBC est aujourd’hui une des banques les mieux dotées et les plus rentables d’Europe. Avec un rendement sur fonds propres de 18 %, la banque fait deux fois mieux que la moyenne du secteur bancaire belge.

LUC POPELIER. C’est en tout cas une reconnaissance des nombreux efforts déployés par KBC. Je me réjouis de voir que, malgré tous les problèmes rencontrés ces dernières années, les performances d’un organisme financier sont à nouveau saluées.

Tous les problèmes des banques sont-ils résolus ?

KBC a modifié sa stratégie, son organisation, sa structure de coûts, sa culture d’entreprise. Ces efforts portent aujourd’hui leurs fruits. Il reste de sérieux défis à relever – la numérisation par exemple – mais les problèmes d’hier ne sont plus d’actualité. Le secteur bancaire européen, par contre, n’est pas encore au bout de ses peines. Plusieurs banques souffrent de leur maigre rentabilité et sont confrontées à des problèmes de normes très strictes en termes de fonds propres et de réglementations. Les faibles taux invitent eux aussi à la prudence.

Je suis un maniaque des chiffres et des mesures.”

Les banques belges se plaignent souvent de la pression fiscale élevée dans notre pays. Le CFO que vous êtes comprend-il la volonté de l’Etat d’équilibrer son budget ?

Lorsque la crise financière a éclaté, l’Etat a volé au secours de KBC et nous lui en sommes infiniment reconnaissants. Ceci dit, l’aide a été monnayée au prix du marché. KBC a reçu 7 milliards et remboursé 13 milliards, cinq ans plus tôt que convenu. C’est le prix à payer pour le risque couru par l’Etat, c’est normal. Je comprends fort bien que les banques doivent indemniser l’Etat pour garantir les comptes d’épargne au prorata de 100.000 euros. Par contre, les taxes bancaires additionnelles imposées au secteur me semblent peu équitables. L’Etat vise et taxe un secteur bien précis, déjà confronté à de grosses difficultés, afin de colmater les brèches de son budget.

Profil

– Né à Wilrijk en 1964

– Père de trois fils et d’une fille

– Loisirs : voyages en famille, cyclisme, ski

– Diplômé en Sciences économiques appliquées de l’Université d’Anvers (Ufsia)

Commence à travailler en 1988 comme banquier d’entreprise pour l’ancienne Kredietbank

S’installe en 1995 à Londres où il travaille cinq ans pour la banque d’affaires SBC Warburg

Revient fin 1999 en Belgique où il oeuvre pour KBC Securities

Devient directeur général de l’équipe Stratégie & Expansion de KBC Group en 2002

Nommé membre du comité de direction de KBC Group et responsable de toutes les activités banque de marché et d’affaires en 2009

Désigné group chief financial officer de KBC Group en 2011

• Depuis le 5 mai 2017, il endosse la casquette de CEO de la division international markets de KBC (activités de KBC en Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, Irlande, ainsi que la salle de marchés, KBC Securities, financements spécialisés et KBC Asset Management). Rik Scheerlinck lui succède au poste de CFO.

Vous dites que le secteur bancaire belge est en difficulté mais KBC a réalisé l’an dernier 2,4 milliards d’euros de bénéfices. Les autres banques sont-elles aussi florissantes ?

La rentabilité moyenne des banques belges laisse à désirer. Le rendement sur fonds propres est inférieur à 10 %. Bon nombre de petites banques sont sous pression. Tous les rapports de la BCE et du FMI montrent qu’une banque doit réaliser un rendement sur fonds propres de 8 à 10 % minimum pour pouvoir investir, renforcer ses avoirs propres et rémunérer le capital. Qui plus est, les résultats d’aujourd’hui reposent encore et toujours sur les marges et les taux d’intérêts élevés du passé. Cet héritage positif touche tout doucement à sa fin. Voilà plusieurs années que les taux sont vraiment très bas.

Quel serait le pire scénario pour les banques : des taux qui restent quasi nuls ou qui repartent brusquement à la hausse ?

Des taux peu élevés ne sont pas une bonne chose. Il arrive un moment où on risque de devoir réinvestir les dépôts d’épargne à 0 %. Alors que les banques prennent une fois de plus beaucoup plus de risques alors qu’elles cherchent par tous les moyens à l’éviter. Une augmentation des taux entraîne à court terme une dévalorisation des obligations en portefeuille. Si la hausse est progressive, pas de problème. Les banques peuvent compenser les indemnités d’épargne majorées par des revenus d’investissement supérieurs. A long terme, une augmentation des taux d’intérêt peut rendre l’octroi de crédits moins souple, avec comme conséquence des difficultés de refinancement pour les entreprises et les PME.

Je demande souvent à mes collaborateurs de réexpliquer, ce qui les oblige à réfléchir et me permet de participer à la réflexion.”

La BCE se trouve devant un défi de taille. Elle a bien encaissé le choc de la crise financière par une baisse systématique des taux et l’injection d’argent frais dans l’économie mais elle va devoir inverser la vapeur dans les années à venir. Avec le risque de susciter une certaine fébrilité sur les marchés, ce qui provoquera pas mal de remous. Mais la BCE agira vraisemblablement de façon progressive, je pense.

Quelles sont les qualités d’un bon CFO ?

Je ne peux parler que de mon expérience chez KBC, une grande entreprise qui dispose de nombreux experts dans différents domaines. Un luxe pour le CFO mais qui, de ce fait, doit avoir une approche managériale différente qu’au sein d’une PME par exemple.

Un bon CFO doit être un bon leader, avoir une vision claire des choses et être capable de donner des instructions claires et précises. Dans la fonction que j’occupe à KBC, je dois responsabiliser mes collaborateurs, les inciter à faire des choix et à prendre des initiatives, bref à prendre leurs responsabilités. Si je dois m’occuper de tout, je ne dors plus et je fais un burn-out. Mais pour que cela marche, il faut un minimum de confiance mutuelle et de dialogue. A contrario, mes collaborateurs doivent aussi pouvoir coacher leur supérieur et oser lui dire ce qui ne va pas. C’est pourquoi nous organisons des séances de feed-back lors desquelles mes collaborateurs directs sont invités à commenter ma façon de faire. C’est particulièrement édifiant.

© Dieter Telemans

Qu’est-ce qu’on vous reproche essentiellement ?

Certaines personnes trouvent que je ne coache pas assez, que je ne développe pas assez le relationnel. Ce genre de critiques vous fait réfléchir. Comment cela se fait-il ? Que puis-je faire pour m’améliorer ? Quand vos collaborateurs se rendent compte que vous tenez compte de leurs remarques, la confiance s’en trouve grandie et c’est tout bénéfice pour l’organisation.

La fonction de CFO repose sur des faits et des données chiffrées. Est-ce votre dada ?

Tout à fait. Je suis un maniaque des chiffres et des mesures. Ce qui ne peut être mesuré, n’existe pas en quelque sorte. Collecter les données et les commenter pour permettre à l’entreprise de prendre les bonnes décisions, tel est le rôle fondamental du département financier. Un CFO doit aussi avoir suffisamment de compétences techniques pour assumer son rôle de challenger et de caisse de résonance. Il faut aussi oser dire qu’on ne comprend pas. Je demande souvent à mes collaborateurs de réexpliquer, ce qui les oblige à réfléchir et me permet de participer à la réflexion.

Dans quelle mesure une bonne communication est-elle importante ?

Au lendemain de la crise financière, KBC a fait l’objet de nombreuses critiques assez cyniques. Il était donc essentiel de communiquer correctement, beaucoup et en toute transparence. Johan (Thijs, CEO de KBC Group, Ndlr) et moi y avons consacré énormément de temps. Au début, c’était tout sauf simple. De très nombreux investisseurs refusaient tout simplement de nous rencontrer. Mais nous avons réussi à redresser la barre. D’abord, ce sont les hedge funds qui ont commencé à nous prêter une oreille attentive. KBC était alors considérée comme une ” situation complexe “, avec un lourd héritage du passé et des actifs toxiques comme des CDO et des CLO, des désinvestissements dont personne ne savait si cela allait marcher ou non. Seuls les hedge funds étaient disposés à analyser notre situation. Quand ils se sont rendu compte du potentiel, ils ont investi des sommes importantes. Le tournant décisif a eu lieu fin 2012 avec l’augmentation de capital de 1,25 milliard d’euros. D’autres gestionnaires de fonds et asset managers nous ont rejoints. Les marchés financiers ont à nouveau confiance en nous.

En tant que CFO, j’ai toujours été assez conservateur dans les pourparlers avec les investisseurs. Nous n’avons jamais caché les points faibles ou les difficultés de certains dossiers.”

Comment expliquez-vous le succès de votre offensive de communication ?

Nous n’avons pas cherché à nous ” vendre “, ce qui a été fort apprécié. En tant que CFO, j’ai toujours été assez conservateur dans les pourparlers avec les investisseurs. Nous n’avons jamais caché les points faibles ou les difficultés de certains dossiers. Nous insistions par contre sur notre volonté de les mener à bien. Et quand ce que vous aviez annoncé finit par se réaliser, l’équipe de direction inspire confiance. Ainsi par exemple, le marché était très sceptique quant à la vente de nos activités en Pologne car ce dossier a été contrecarré par la crise de l’euro au deuxième semestre 2012. Il n’y avait finalement plus qu’un seul candidat-acheteur et malgré cela, nous avons réussi à en tirer un bon prix.

Quel genre de relation avez-vous avec votre CEO Johan Thijs ? Un CFO et un CEO doivent pouvoir collaborer mais aussi susciter une certaine émulation mutuelle. Pas toujours évident.

Nous nous entendons bien. Chacun connaît son rôle. Nous sommes de la même trempe : extravertis, directs, ouverts à la discussion et aux divergences d’opinions. Franchement, j’apprécie une bonne discussion et Johan aussi. C’est particulièrement enrichissant. Mais le plus important, c’est de rester de bons amis après la discussion. Un exercice d’équilibre pas facile. Dans certains cas, dans certaines entreprises, ce n’est pas toujours le cas. Il faut aussi s’apprécier mutuellement et ne pas éviter les discussions orageuses. Si vous voulez avoir raison à tout prix, cela ne marchera pas.

Depuis quelques jours, vous n’êtes plus CFO mais CEO de la division ” international markets “. Quelle différence y a-t-il entre une fonction financière et une fonction d’exploitation ?

Dans les affaires, on rencontre plus fréquemment les clients, on mesure immédiatement le résultat de ses décisions. On fait des bénéfices ou on n’en fait pas, ce qui permet de mesurer facilement les retombées de son travail. L’avantage de la fonction de CFO est de développer une vision holistique de l’entreprise. Tout doit être traduit en résultats financiers. On est donc obligé d’être au courant de tout. Le CFO réfléchit aussi plus en termes de création de valeur. Le responsable business se concentre sur le chiffre d’affaires et la croissance des activités tandis que le CFO s’intéresse davantage au résultat final.

Le retour aux affaires vous plaît-il ?

Oui. J’ai été CFO pendant six ans. Jamais je n’avais assumé la même fonction aussi longtemps. C’était très intéressant mais aujourd’hui, j’ai vraiment envie de retourner aux affaires. Au bout de six ans, il est bon de nommer quelqu’un d’autre qui fera souffler un vent nouveau. Mon successeur Rik Scheerlinck est un banquier expérimenté qui adoptera certainement une approche différente et obtiendra de meilleurs résultats. La rotation au niveau des fonctions directoriales est une bonne chose. Avec le temps, on finit par développer certaines habitudes tandis que les nouveaux venus osent remettre les choses en question.

Quelles sont vos ambitions ?

Acquérir de nouvelles expériences, c’est essentiel pour ma carrière. Ma nouvelle mission consiste à développer les activités en Europe centrale. Je devrai me rendre régulièrement en Slovaquie, en Bulgarie, en Hongrie et en Irlande alors que je fréquentais essentiellement les centres financiers de New York, Londres et Francfort ces dernières années. Cette fonction est un défi qui sera sans aucun doute riche en enseignements.

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