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Électeurs d’Erdogan en Europe: “L’inquiétude s’est transformée en malaise”

Ce qui devait être une communauté européenne est devenue le reflet des problèmes du monde qui sont importés en Europe, y compris le champ de mines turc, estime Marc De Vos, directeur du think tank Itinera.

Les puissants projecteurs d’une bataille électorale sont parfois nécessaires pour tirer de l’ombre du politiquement correct et de la fadeur de la diplomatie un problème de société fondamental. L’intensité de la lumière est la combinaison d’élections aux Pays-Bas et d’un référendum en Turquie, résultant en un clash concernant un ministre turc dont l’accès à un meeting politique sur le sol des Pays-Bas a été refusé. Le problème sociétal est la position politique des millions d’immigrants turcs en Europe.

Depuis nombre d’années déjà, les gouvernements turcs traitent l’importante diaspora turque comme de simples ‘expats’: des Turcs qui vivent certes ailleurs mais qui, sur le plan politique, sont toujours des Turcs, droit de vote compris. Surtout en Allemagne, mais aussi en Belgique et dans d’autres pays d’Europe occidentale, c’est une pratique courante que des ministres turcs prennent la parole lors de rassemblements de masses afin de récolter des voix pour les campagnes électorales. Au fil des ans, à mesure que le régime du président Erdogan a pris de plus en plus une allure autoritaire, le spectacle de milliers de Turcs immigrés agitant des drapeaux est peu à peu devenu inquiétant.

Cette inquiétude s’est maintenant transformée en malaise. L’Allemagne et l’Autriche d’abord, et maintenant également les Pays-Bas, ont interdit à des hommes politiques turcs de haut niveau de prendre la parole lors de meetings électoraux sur leur territoire. Le motif officiel est la sécurité. Les passions autour des réunions de masse turques risquent en effet quelque peu de s’échauffer. Il y a aussi l’hypersensibilité résultant des élections tant en Allemagne qu’aux Pays-Bas. Mais la raison plus profonde est le schisme politique entre la Turquie et l’Europe. Le référendum turc du 16 avril veut en fait rendre le président Erdogan tout-puissant. Ce référendum vise à réduire la démocratie d’État de droit en Turquie à une mascarade. D’où cette campagne sur le sol européen afin de mobiliser les Turcs d’Europe pour une vision qui va à l’encontre des fondements de la société dans laquelle ils vivent.

Le creuset culturel est devenu une poudrière

Les Turcs qui ont fait de l’Europe leur maison ne sont effectivement pas des expats: ce sont des immigrants. Beaucoup d’entre eux ont aussi acquis la nationalité de leur nouvelle patrie européenne. Tous sont des citoyens d’un pays européen, avec l’ensemble des droits et des obligations y afférant. Ils sont donc des Européens turcs, pas des Turcs européens. Nous pouvons attendre d’eux qu’en tant que concitoyens ils étreignent l’ADN de l’État de droit occidental: c’est le seul ciment de notre société. Nous pouvons attendre d’une puissance étrangère qu’elle ne fasse pas, sur notre territoire, une campagne qui conteste ou perturbe la politique intérieure.

Nous, Européens, nous récoltons ce que nos dirigeants ont semé. Cela fait des décennies que ces derniers jouent avec la Turquie un simulacre de jeu de marionnettes concernant une adhésion à l’Union européenne qui ne se réalisera jamais. Ce jeu ne peut être maintenu que par l’amadouement du gouvernement turc. La crise des réfugiés, nous l’avons honteusement vendue à cette même Turquie, ce qui nous a réduits au statut de vassaux. Rien de plus de normal qu’Erdogan & co estiment pouvoir faire leurs affaires sur le territoire européen.

Cela fait déjà des décennies que l’Europe subit une immigration de masse sans vision notable concernant l’intégration et l’assimilation. Ce qui devrait être une communauté européenne, est devenu le reflet des problèmes du monde qui sont importés en Europe, le champ de mines turc y compris. Le creuset multiculturel est devenu un baril de poudre. Museler les manifestations turques peut quelque peu désamorcer cette poudrière. Mais c’est une mesure d’urgence. Nous devons faire changer les choses en entamant le débat, pas en l’interdisant.

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