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“Faut-il tirer des élus au sort ?”

Depuis plusieurs années, différentes propositions sont formulées pour que des citoyens, non professionnels de la politique, participent au pouvoir.

On peut ainsi proposer, par exemple, qu’une chambre législative soit composée de personnes tirées au sort, ou qu’une partie d’entre elles soient désignées de cette manière, ou encore qu’il en soit ainsi pour un organe consultatif, voire que l’on constitue des ” panels citoyens ” pour donner un avis aux politiques.

Les objectifs sont divers. L’un d’entre eux est de tenter de faire correspondre les assemblées d’élus avec la réalité sociologique de la population. Ce n’est sans doute pas le meilleur argument : notre régime est celui de la démocratie ” représentative “, et les élus doivent donc représenter la population, et non correspondre à celle-ci. Il est par ailleurs clair que la grande majorité des électeurs serait parfaitement incapable de connaître la raison d’être de modifications législatives qui leur sont proposées, alors qu’elle ignore déjà les règles existantes.

En revanche, il faut concéder que le régime actuel est peu efficace, que les élus ne connaissent en général comme échéance que la prochaine élection et se désintéressent du long terme. Il est également vrai que le système a tendance à former des politiciens professionnels, qui dépendent énormément de leur parti, puisque le système de listes favorise ceux qui ont été choisis par leur parti plutôt que ceux qui ont la faveur des électeurs. Les partisans du tirage au sort espèrent que les personnes choisies ainsi seront plus indépendantes et verront à plus long terme, puisque leur réélection serait quasiment impossible.

Toutefois, le système du tirage au sort risque de provoquer la désignation de personnes qui n’ont aucun intérêt, ni aucune qualification, pour la fonction. Va-t-on obliger des personnes qui n’en ont pas envie à siéger, ou pour qui, souvent, leur élection entraînerait une catastrophe financière ? Un indépendant qui devrait lâcher son activité pourrait être ruiné, en raison de la perte de sa clientèle, et de la difficulté de rembourser des emprunts, et ce même si la fonction d’élu était très bien rémunérée. D’autres renonceraient à l’idée de se former pour être capables d’exercer correctement leur fonction, ou renonceraient à celle-ci, parce que les ” formateurs ” qui leur seraient assignés finiraient, d’une manière ou d’une autre, à dépendre du pouvoir exécutif, que les élus doivent contrôler, ou des partis eux-mêmes, qui en assureraient la récupération.

Il nous semble que le vrai débat ne devrait pas porter tellement sur la correspondance des élus avec le peuple, mais sur la limitation du pouvoir des élus eux-mêmes.

Certes, la qualité en général très médiocre des travaux parlementaires actuels peut inciter à modifier les règles. Mais des élus tirés au sort auront vraisemblablement encore moins de compétence pour le faire que les actuels mandataires qui, à défaut souvent de disposer des qualifications nécessaires, ont au moins la volonté de les assumer.

Ce débat ne porte en réalité pas sur la bonne question, comme c’est souvent le cas en démocratie. Celle-ci repose sur l’idée de l’exercice ” du pouvoir par le peuple ” mais le peuple n’est souvent que l’ensemble des personnes soumises au même maître et on s’abstient bien de déterminer en quoi consiste le ” pouvoir “. Il nous semble que le vrai débat ne devrait pas porter tellement sur la correspondance des élus avec le peuple, mais sur la limitation du pouvoir des élus eux-mêmes.

Même la démocratie directe, telle qu’on la pratique par exemple souvent en Suisse, n’est pas toujours efficace. Elle a tendance à exacerber certaines attitudes populistes, comme l’ont montré les votations suisses sur la limitation des étrangers ou l’interdiction des minarets. Le vrai problème n’est donc pas celui de la représentativité des élus, mais bien celui des pouvoirs qu’on peut leur accorder.

A l’origine, le régime démocratique issu de la Révolution française, et des Constitutions du 19e siècle comme celle de la Belgique, se fondait sur la séparation des pouvoirs et la limitation de ceux-ci. Mais les limitations, telles que conçues à l’époque, n’ont été édictées qu’en raison de la méfiance envers le pouvoir exécutif. On croyait que l’on pouvait se contenter de dire que les décisions devaient être prises ” par la loi ” pour qu’elles soient acceptables. Le problème est qu’aujourd’hui l’exécutif et le législatif sont contrôlés par les partis et que cette garantie est dès lors devenue sans intérêt pratique. Pour éviter les abus et lutter contre la prolifération des normes, les Constitutions devraient prévoir des règles supérieures, que même la loi ne pourrait enfreindre. Par exemple, dans le domaine fiscal, elles pourraient édicter un maximum absolu d’impôt par rapport au PIB, ou encore une proportion maximale d’impôt que chaque individu pourrait être amené à payer, en fonction de ses ressources. Ce seraient là des questions beaucoup plus fécondes.

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