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Les USA et la fable de la vache, la chèvre, la brebis et le lion

Les États-Unis abusent-ils de leur puissance, de leur hégémonie? Il est temps de relire le fabuliste latin Phèdre…

L’amende de 4.9 milliards de dollars infligée à la banque britannique Royal Bank of Scotland il y a quelques jours n’a pas fait la Une des médias économiques. Il faut dire qu’elle a été éclipsée par l’annonce de Donald Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. Pourtant les deux informations ont un lien fort. Très fort même. Dans le premier cas, c’est la justice américaine qui décide de pénaliser une banque européenne qui s’est mal comportée en 2007 et 2008 pour des histoires de prêts immobiliers pas très orthodoxes aux États-Unis. Dans le deuxième cas, c’est le président de la première puissance économique mondiale qui décide – tout seul – de déchirer un accord signé par son prédécesseur Barack Obama après 12 ans de négociation. Pire encore, c’est Donald Trump qui déchire le contrat, mais c’est lui aussi qui impose à ses alliés de ne plus commercer avec l’Iran alors qu’ils n’ont pas dénoncé cet accord.

Dans les deux cas, c’est un signe de la suprématie américaine sur le monde. J’en parle car certains médias voient à travers ces deux exemples récents (ne parlons même pas de l’accord sur le climat) la marque – oubliée – de l’hégémonie des États-Unis. Reprenons le cas de la Royal Bank of Scotland: certes, elle a payé une amende de presque 5 milliards de dollars parce qu’elle a mal agi. Et c’est vrai que par le passé, une autre banque, BNP Paribas, a aussi subi les foudres de la justice américaine avec une amende de presque 9 milliards de dollars. Dans le cas de BNP Paribas, c’est parce qu’indirectement, cette banque européenne avait fait du commerce avec des ennemis des États-Unis (le Soudan, Cuba et l’Iran). Mais ce que nos amis américains oublient ou feignent d’oublier, c’est que ces amendes vont uniquement dans un sens et pas dans l’autre.

L’asymétrie des sanctions est flagrante. Après tout, comme le rappelle le journal Le Figaro, les Européens auraient pu aussi punir la banque américaine Goldman Sachs pour avoir aidé la Grèce à trafiquer ses comptes publics. Mais en matière de justice extraterritoriale, ce sont les Américains qui décident et les autres sont priés de suivre.

En fait, ces amendes en série de la justice américaine et ce président américain qui agit seul, n’écoute pas les arguments de ses alliés, doit juste nous rappeler qu’il n’y a qu’une seule puissance au monde: les États-Unis. D’abord, ils ont le droit de veto à l’ONU. Ensuite, ils ont de loin l’armée la plus puissante au monde. Un seul exemple: c’est le seul pays à avoir 12 porte-avions alors que les autres puissances militaires n’en ont que deux au maximum. C’est d’ailleurs ce qui permet aux Américains de contrôler la plupart des grandes voies maritimes comme l’ont fait les Britanniques avant eux. Les États-Unis sont aussi la première puissance intellectuelle, car ils arrivent à prendre les 17 premières places dans le classement des 20 meilleures universités au monde. Quant au dollar, c’est par définition la monnaie internationale.

Les États-Unis peuvent tout faire, exporter leur droit, l’imposer aux autres, ruiner ou appauvrir ceux qui veulent lutter contre l’hégémonie américaine.

Bien entendu, les médias se font parfois le relais d’une éventuelle mauvaise humeur de certains pays qui caresseraient l’idée de vendre leurs actifs libellés en dollar pour faire pression sur les États-Unis. En réalité, l’idée ne se concrétise jamais. La raison? C’est oublier que des pays riches comme la Corée du Sud, le Japon ou l’Arabie Saoudite dépendent du parapluie militaire américain. Sans que cela soit dit, ces pays et d’autres encore sont donc priés d’acheter de la dette publique américaine. En résumé, c’est le prix de leur sécurité.

Bref, comme le rappelle finement Le Figaro; pour bien comprendre l’hégémonie américaine, il faut relire le fabuliste latin Phèdre. Dans sa fable La Vache, la chèvre, la brebis et le lion, il raconte qu’après avoir capturé un cerf, les quatre animaux s’apprêtent à se partager la dépouille, mais au final, c’est le plus fort d’entre eux qui s’attribue les quatre parts avec pour seul argument: “parce que je m’appelle Lion”. La moralité de cette fable, nous dit Phèdre, c’est qu’il n’y a “jamais de sécurité dans l’association avec le puissant”. Et donc, oui, Phèdre, bien que né il y a plus de deux mille ans, a tout compris: le lion d’aujourd’hui, ce sont les États-Unis. Ils peuvent tout faire, exporter leur droit, l’imposer aux autres, ruiner ou appauvrir ceux qui veulent lutter contre l’hégémonie américaine. Et comme l’a fait remarquer le prospectiviste Hervé Juvin dans l’Agefi, l’Europe redécouvre qu’elle est une province des États-Unis, “une province qui s’est prise pour le monde”.

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