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“Nos écoles ne sont pas des taudis”

Un profane pourrait presque penser que nos écoles sont des taudis . C’est tout le contraire, d’après Tamara Stojakovic, élue l’an dernier meilleure professeure de néerlandais de Flandre et des Pays-Bas.

Chaque matin, j’ouvre mon journal qui me bombarde régulièrement de informations sinistres à propos de mon métier. Le tonnerre gronde dans le ciel de l’enseignement : résultats décevants à l’enquête PISA, débats autour du port du voile, système de cascade, révision du décret M. La liste des sujets liés à l’enseignement ne cesse de s’allonger et c’est tant mieux : la discussion est le premier pas vers le renouveau.

Mais les résultats associés aux termes “enseignement” et “diversité” apportent hélas leur lot encore plus important de mauvaises nouvelles. Un profane pourrait presque penser que nos écoles sont des taudis. C’est tout le contraire. Nous, enseignants, exerçons le métier le plus passionnant du monde. Je reconnais qu’il n’est pas facile, mais je peux affirmer honnêtement que je ne m’ennuie jamais au travail. Armée de mon journal, je m’en vais donner cours à grand renfort de matériel pédagogique tout frais.

J’enseigne le néerlandais dans le dernier degré du secondaire à un public très hétéroclite. À mes yeux, c’est la norme, car je n’ai jamais connu rien d’autre. Quand je suis arrivée en Belgique à l’âge de 11 ans, je n’avais aucune notion de multiculturalisme et j’ai même longtemps cru que les Marocains, les Turcs et les Polonais étaient des Flamands autochtones. J’ai dû revoir ma copie quand, à un moment donné, un nombre croissant d’enfants africains sont arrivés en classe.

Polarisation

Vingt-cinq ans plus tard, c’est moi qui donne cours et la population d’élèves est encore plus hétérogène. Notre société est le théâtre d’une polarisation toujours plus forte, surtout autour de l’ethnicité et de la religion. Ce constat est perceptible partout, y compris dans nos écoles. Ces dernières années, j’ai remarqué que le cadre de référence des jeunes rétrécit. Pour éviter toute ambiguïté, j’évoque ici le cadre de référence de tous les jeunes, indépendamment de leur origine ethnique.

De nombreuses discussions et malentendus sont alimentés par des opinions auxquelles les jeunes sont confrontés dans leur environnement direct. Il peut s’agir des avis de leurs parents ou de leurs amis, mais l’influence des réseaux sociaux ne doit certainement pas être sous-estimée. Si les jeunes n’ont pas accès à différentes sources, ils campent sur leurs positions. Un fil d’actualité qui conforte en permanence une conviction ne fait qu’entretenir ce clivage.

Autre sujet récurrent en dernière année : les études supérieures. Tout a débuté un jour par un exercice de recherche sur les différentes formations. Au cours de cette leçon, j’ai rapidement flairé le danger : les élèves ont commencé à poser des questions épineuses auxquelles je n’avais pas toujours la réponse. “Madame, combien d’allochtones font des études supérieures ?” “Vous êtes sûre que je peux m’inscrire ?” “Comment se fait-il que si peu d’immigrés réussissent ?” Malgré mes efforts acharnés, l’ambiance s’est vite détériorée.

On continue à apprendre tous les jours

Quelques mois plus tard, j’ai remplacé le traditionnel examen oral de néerlandais par un entretien d’évaluation à coups de questions sur leur parcours scolaire, situation familiale et bien-être. La dernière question portait sur leurs talents et leur orientation future. La réponse était souvent surprenante : “Je ne sais pas. En réalité, je ne suis bon en rien.” Dans ces moments-là, j’avais les larmes aux yeux en rentrant chez moi.

Ce qui est beau quand on travaille dans l’enseignement, c’est qu’on continue à apprendre tous les jours. Depuis cette leçon il y a plusieurs années, l’importance d’un diplôme et le développement des compétences sont devenues mon fil conducteur. L’actualité n’est qu’un élément de cet ensemble. J’insiste sans cesse sur la persévérance et l’attitude. Tout le monde a des talents, mais il incombe à chacun de les déployer.

Étudier n’est pas toujours amusant, alors que renoncer est la portée de tous. Ce message est souvent difficile à entendre, mais au fur et à mesure que l’année scolaire avance, les opinions se font moins tranchées. Depuis cette année, nous visitons des hautes écoles, ce qui permet de franchir le seuil ensemble. Récemment, mes élèves ont ainsi pu y suivre un cours.

Le hasard a voulu que le professeur soit également issu de l’immigration. Ils en sont restés bouche bée, au propre comme au figuré : “C’est donc possible, madame ! Je crois que je vais quand même m’inscrire.” Mes élèves ont également été agréablement surpris par la diversité sur le campus. C’est génial, non ?

L’ironie veut que j’aie moi aussi des origines étrangères. Je crois sincèrement que mes élèves ne le “voient” plus. Les modèles sont sans aucun doute importants dans tous les secteurs, mais j’ai un sentiment ambivalent par rapport à cette notion. En effet, je ne me considère pas comme un modèle du seul fait que je suis par hasard issue de l’immigration. En revanche, je me vois comme un modèle quand il est question de persévérance et de travail acharné. Mais il s’agit là d’une optique totalement différente.

Je ne suis pas partisane des quotas

Si les salles des profs ne reflètent pas la société, il est également avéré que relativement peu d’étudiants d’origine étrangère vont au bout de la formation d’enseignant. Comme souvent, il s’agit d’une combinaison de plusieurs facteurs. Personnellement, je ne suis pas partisane des quotas. Je ne voudrais d’ailleurs jamais être engagée en raison de mes origines. Pire, je trouverais ça carrément insultant.

Indépendamment de ce débat, il est indéniable que les enfants et les jeunes ont besoin de modèles. Et la seule manière de leur en donner est de souligner l’importance des études et de leur inculquer des attitudes : découvrir ses talents, travailler dur, ne pas baisser les bras, ne pas se placer dans un rôle de victime.

Par expérience, je sais qu’il n’est pas aisé de grandir entre deux cultures et de ne se sentir chez soi nulle part. Bien entendu, il est important de pouvoir exprimer cette frustration, mais à un moment donné, il faut trouver une manière de gérer cette situation. Si je ne devais donner qu’un conseil à mes élèves, ce serait celui-là.

Des milliers de personnes s’emploient au quotidien à motiver, aider, instruire et soutenir les jeunes. Le personnel enseignant, certes, mais aussi des bénévoles, des animateurs de quartier ou de maison de jeune et des organisations en tout genre. C’est pour cette raison que je suis très heureuse de participer à des initiatives positives qui motivent les jeunes. Un travail de titan est abattu sur de nombreux fronts pour offrir des chances meilleures à tous les enfants et à tous les jeunes. Ce serait bien de lire plus souvent ce genre d’informations dans le journal.

Tamara Stojakovic

Traduction : virginie·dupont·sprl

Tamara Stojakovic était l’une des invités du salon des talents Talentenbeurs Grinta qui a eu lieu le 10 mai 2018. Une initiative de Curieus et City Pirates. Plus d’infos sur www.grinta2018.be.

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