Qu’est-ce qui ne tourne pas rond sur le marché du travail belge ?

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Un million de postes vacants, un taux d’emploi des 20-65 ans inférieur à 68 %, et des employeurs qui éprouvent des difficultés à trouver les bons profils. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond sur le marché du travail en Belgique et que pouvons-nous faire pour y remédier ?

Le marché du travail connaît un essor sans précédent en Belgique. Entre fin 2015 et fin 2017, l’emploi total a progressé de 130.000 unités. À titre de comparaison, 40.000 emplois en moyenne ont été créés par an sur les 20 dernières années. On est donc bien au-dessus de ce chiffre.

Ce n’est pas tout : 90 % de la croissance provient du secteur privé. Ce chiffre tranche avec la période 2011-2014, au cours de laquelle la création d’emplois dans le secteur public et le non-marchand masquait de lourdes pertes dans le privé.

L’économie belge crée plus d’emplois que la croissance économique ne le laisserait penser. Selon les macroéconomistes, une hausse de 65.000 emplois par an suppose une croissance économique de 3 à 3,5 %. Or, la Belgique crée aujourd’hui ces 65.000 unités en affichant une croissance de 1,7 % à peine, notamment grâce à la réduction des charges salariales.

Le nombre de postes vacants est en augmentation. À la fin de l’année dernière, le VDAB avait reçu quelque 260.000 offres d’emplois vacants, un record auquel s’ajoutent les 700.000 postes vacants intérimaires.

Federgon, la fédération des prestataires de services RH, dénombre environ 1 million de postes vacants uniques aujourd’hui. La plupart sont pourvus dans un délai raisonnable mais, par comparaison à d’autres pays, le taux de vacance d’emploi (pourcentage de postes vacants par rapport au nombre total d’emplois occupés et vacants) est très élevé en Belgique.

“Avec 3,25 %, la Belgique est en tête du peloton européen et affiche une tendance à la hausse chaque année”, déclare Bart Buysse, directeur général de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). “Près de 127.000 postes sont vacants. Et il ne s’agit pas seulement de fonctions hautement qualifiées. Un tiers de ces postes ne requièrent ni diplôme ni expérience.”

Si vous cherchez trop longtemps la perle rare, vous risquez de passer à côté de profils intéressants” – (Frédérique Bruggeman, Robert Half Belux)

La tension sur le marché du travail n’est pas nouvelle. On parlait déjà de “guerre des talents” en 2000 et en 2007-2008, comme le montre l’indicateur de tension du VDAB qui reflète le rapport entre le nombre de chercheurs d’emploi et le nombre de jobs disponibles. S’il est élevé, les postes sont pourvus plus facilement. A contrario, un indicateur de tension faible indique une pénurie de main-d’oeuvre sur le marché du travail. À la fin de l’année dernière, il se situait à 5,58 – soit au même niveau qu’au début du siècle – contre 9 pour la période 2014-2015. (Voir le graphique La pénurie de main-d’oeuvre augmente). Et en 2008, juste avant la crise financière, il fluctuait même aux alentours de 4, une valeur plus basse qu’à l’heure actuelle donc.

“Mais la situation est différente aujourd’hui”, déclare Bart Buysse. “La pénurie sur le marché du travail ne cesse de croître sous l’influence du vieillissement de la population, ce qui se traduit par des centaines de milliers d’emplois à pourvoir.” Frédérique Bruggeman, directrice générale de Robert Half Belux, l’un des principaux acteurs mondiaux en recrutement spécialisé, entrevoit une autre explication :

“Il y a plus de mobilité sur le marché du travail. Les travailleurs changent d’emploi plus souvent parce qu’ils trouvent l’herbe plus verte ailleurs, tandis que les entreprises qui voient partir leurs collaborateurs doivent recruter rapidement.”

Jeunes travailleurs : au-delà d’un bon salaire

Les entreprises ressentent actuellement une certaine frustration face à la difficulté de pourvoir leurs postes vacants. Les prestataires de services RH leur prodiguent de nombreux conseils pour les aider à réagir à la pénurie de main-d’oeuvre. “Les entreprises peuvent opter pour une politique de recrutement proactive”, explique Frédérique Bruggeman.

“Lorsqu’elles nous demandent de les accompagner dans leur recherche de collaborateurs, nous leur conseillons avant toute chose d’établir une distinction entre les must-haves et les nice-to-haves. Oui, vous avez besoin d’un comptable, mais celui-ci doit-il impérativement parler quatre langues, avoir un bon sens de la communication et en plus être doué en ressources humaines ? Si vous cherchez trop longtemps la perle rare, vous risquez de passer à côté de profils intéressants.”

Tamara Moonen du groupe RH SThree, spécialisé dans le placement de profils STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), constate que la plupart des postes vacants restent non pourvus pendant une longue période, qui peut durer jusqu’à dix-huit mois. Par ailleurs, elle observe un processus de recrutement plus rapide :

“Nous constatons de plus en plus qu’une proposition salariale est faite à l’issue d’un seul entretien. De nombreuses organisations ont besoin de nouveaux collaborateurs pour se développer. Les services de recrutement doivent s’adapter à la situation actuelle. Auparavant, les candidats postulaient pour un poste au sein d’une entreprise ; aujourd’hui, ce sont les entreprises qui doivent se porter candidates et faire la différence. À cet effet, elles recourent à l’employer branding – ou comment travailler son image en tant qu’employeur – et constituent des réseaux de manière proactive.”

Auparavant, les candidats postulaient pour un poste au sein d’une entreprise ; aujourd’hui, ce sont les entreprises qui doivent se porter candidates” – (Tamara Moonen, SThree)

Frédérique Bruggeman relève également un changement de comportement chez le candidat. “Autrefois, l’employeur l’interrogeait sur sa plus-value par rapport à 20 autres prétendants au poste. Aujourd’hui, le candidat lui demande pourquoi il doit accepter son offre au détriment de la concurrence.

Les salaires des jeunes travailleurs ont également augmenté, mais ceux-ci tiennent compte d’autres facteurs, comme l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ensuite vient la politique de rétention. Il faut savoir retenir les bons profils, et offrir à cet effet des possibilités de carrière et de formation.”

Une réserve plus vaste et plus diversifiée

La politique en la matière pourrait également s’accentuer pour permettre aux postes vacants de trouver preneur, surtout si l’on tient compte du paradoxe du marché du travail belge. L’euphorie suscitée par la kyrielle de postes vacants est tempérée par un taux d’emploi moins réjouissant. Dans notre pays, 67,7 % des 20-65 ans sont actifs. Ce chiffre est inférieur à celui de nos pays voisins (Allemagne 78 %, Pays-Bas 77,1%, France 70,2 %) et loin de l’objectif de 73,2 % fixé pour 2020. Des spécialistes du marché du travail comme Stijn Baert (UGent) n’ont de cesse de répéter qu’il n’y aura pas lieu de se réjouir tant que le taux d’emploi n’aura pas augmenté de manière significative.

Toutefois, des mesures ont été prises ces dernières années pour attirer davantage de chômeurs et d’inactifs sur le marché du travail ou pour les maintenir en disponibilité plus longtemps. Les règles relatives à la retraite anticipée et à la prépension ont été renforcées. Ceux qui se réfugient dans un congé maladie font l’objet d’un contrôle plus strict. La période d’allocation d’activation (allocation d’attente anticipée pour les jeunes qui sortent de l’école) est raccourcie. Les allocations de chômage diminuent plus vite.

“La réserve de candidats est plus vaste et plus diversifiée. Le taux d’emploi des plus de 55 ans est passé à 50 %, même s’il reste relativement faible par rapport aux autres pays. Les petites interventions ont également un impact. L’assouplissement du travail étudiant rend nos entreprises plus attrayantes aux yeux des jeunes”, constate Paul Verschueren de Federgon.

Bart Buysse fait référence aux réformes issues de l’accord de l’été 2017. “Cela nous permet de dynamiser le marché du travail. La réintroduction de la période d’essai va entraîner une augmentation des engagements. Les contrats intérimaires à durée indéterminée sont également une bonne chose.”

Si un accord sectoriel est conclu, les agences peuvent proposer à leurs intérimaires un contrat à durée indéterminée afin de fidéliser les bons profils et d’offrir davantage de sécurité à leurs travailleurs.

“Une autre mesure importante consiste à redéfinir la notion d'”emploi convenable”, poursuit Bart Buysse.

“Jusqu’à présent, les chômeurs étaient uniquement tenus d’accepter un travail correspondant à leur formation ou leur job précédent. Désormais, les chercheurs d’emploi font l’objet d’une sélection plus large compte tenu de leurs compétences. Quoi qu’il en soit, il faut plus considérer leur opérationnalité et leur profil que leur diplôme souvent obtenu il y a de nombreuses années et la fonction occupée dans un passé lointain.”

Focus sur la formation professionnelle individuelle

Les employeurs se montrent positifs à l’égard de la politique menée ces dernières années, mais des mesures supplémentaires sont nécessaires pour réduire le taux de vacance et augmenter le taux d’emploi. Le ministre flamand du Travail Philippe Muyters (N-VA) souhaite rencontrer les employeurs pour conclure un pacte du travail qui inclut une activation plus intensive.

Le nombre de formations professionnelles individuelles (FPI) doit également être revu à la hausse. En 2017, 15.000 chercheurs d’emploi flamands ont suivi ce stage ; cette année, l’objectif est de 30.000. Ils suivent une formation pendant plusieurs mois dans une entreprise, qui ne verse pas un salaire mais uniquement une prime de productivité, car l’allocation de chômage est maintenue. Au terme de la formation, les stagiaires se voient offrir un contrat. “À l’origine, il devait s’agir d’un contrat à durée indéterminée, mais les règles ont été assouplies, car c’était un seuil à franchir”, explique Bart Buysse. “Néanmoins, le système reste très complexe d’un point de vue administratif.”

Les spécialistes du marché de l’emploi Jan Denys (Randstad) et Ludo Struyven (HIVA) plaident également en faveur d’une diminution des allocations de chômage dans le temps, une compétence fédérale. La FEB est-elle du même avis ?

Bart Buysse : “Nous devrons nous pencher sur le sujet un jour ou l’autre. Nos allocations diminuent avec la durée du chômage, mais dans une faible mesure. Ceux qui avaient un bas salaire et ont perdu leur emploi remarquent à peine que leur allocation est progressivement revue à la baisse. Ils sont donc difficiles à activer. Le gouvernement actuel n’a pas décidé de limiter l’allocation de chômage. Mais ce sujet sera peut-être mis sur la table lors des prochaines négociations en vue de la formation d’un gouvernement en 2019.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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