Transfer, la “p’tite régie” publicitaire qui monte, va ouvrir une antenne à Bruxelles

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Il y a quelques mois, elle a ravi le client TF1 au nez et à la barbe des grandes régies publicitaires belges. Basée à Anvers, la modeste Transfer s’apprête aujourd’hui à ouvrir une antenne à Bruxelles pour séduire davantage les grands annonceurs du pays. Portrait d’une régie flamande qui devient de plus en plus francophone.

Dans quelques jours, Transfer inaugurera des bureaux flambant neufs à Bruxelles. Au-delà de l’anecdote immobilière, c’est surtout le signe que le centre décisionnel de cette régie publicitaire – historiquement flamande – se déplace tout doucement vers le sud du pays. Fondée à Anvers il y a six ans à peine, Transfer a été mise sous les projecteurs médiatiques pour avoir empoché en un an deux contrats à forte valeur francophone : le réseau publicitaire des télévisions locales en Fédération Wallonie-Bruxelles et surtout la commercialisation des espaces pub de TF1 en Belgique qui la rapproche encore un peu plus des grands annonceurs nationaux. Chez nous, la chaîne française occupe en effet la deuxième place des audiences télévisées avec quasi 20 % de parts de marché sur la cible stratégique des 18-54 ans et cette nouvelle offre commerciale redistribue aujourd’hui les cartes du paysage audiovisuel belge.

Déjà spécialisée dans les décrochages publicitaires de plusieurs chaînes thématiques étrangères en Belgique (Cartoon Network, MTV, National Geographic, Viceland, etc.), Transfer a déjoué tous les pronostics des experts qui voyaient TF1 atterrir dans l’escarcelle de l’une des grandes régies du pays, à savoir IP (RTL Belgique), Medialaan (VTM), RMB (RTBF) ou SBS (Vier et Vijf). Après un scénario à multiples rebondissements, l’outsider a donc gagné la course d’obstacles et décroché la timbale, ce qui aiguise aujourd’hui les susceptibilités commerciales de ses concurrents directs. Attaqués frontalement sur leur coeur de cible publicitaire, RTL-TVI et sa régie IP sont ainsi montés aux barricades et ont envoyé, ces dernières semaines, plusieurs tirs nourris pour minimiser l’impact du nouvel arrivant, soulignant ici ” l’amateurisme de Transfer “, là ” le démarrage poussif de TF1 en Belgique “…

Objectif atteint

” Nous avons été un peu surpris par le style ‘guérilla’ d’IP, commente Koenraad Deridder, managing partner de Transfer. La régie IP, c’est le groupe RTL, c’est la grande armée. Ils n’ont pas besoin de faire ça. Le marché a, lui aussi, été surpris et il n’a pas bien accueilli cette façon de procéder. ”

” C’est d’autant plus regrettable de leur part que nous sommes déjà au-dessus de nos objectifs, ajoute Birgitta De Smet, CEO et managing partner de Transfer. Après quatre mois d’activité, nous avons ouvert une douzaine d’écrans par jour, soit un tiers de l’offre publicitaire disponible sur TF1. Le but est d’ouvrir de 30 à 40 écrans par jour et il sera certainement atteint au cours de cette année. Aujourd’hui, 10 grosses agences médias nous font confiance et 36 annonceurs sont déjà présents sur la chaîne française en Belgique. ”

Nous sommes la seule régie en Belgique qui a une offre véritablement nationale en télévision.

Pour comprendre les tenants et aboutissants de l’enjeu, il convient de replanter brièvement le décor. En Belgique francophone, le groupe RTL et la RTBF détenaient ensemble, jusqu’il y a peu, environ 90 % du marché de la publicité télévisée en Fédération Wallonie-Bruxelles (65 % pour l’entreprise privée et 25 % pour le service public). Flirtant avec les 580 millions d’investissements bruts en 2016 (soit moins de la moitié en recettes nettes après les ristournes et les commissions d’usage), ce pactole publicitaire est désormais convoité par un acteur de poids qui réclame sa part du gâteau, soit un minimum de 20 à 30 millions nets annuels selon le PDG de TF1 Gilles Pélisson. De l’argent qui, inévitablement, ne rentrera plus dans les caisses de la RTBF et, surtout, de RTL Belgique dont les revenus sont exclusivement publicitaires. D’où la tension actuellement palpable dans les coulisses d’un marché qui est de surcroît morose (- 4 % pour les investissements des annonceurs en télévision au cours des neuf premiers mois de 2017 par rapport à la même période en 2016).

Une vraie dimension nationale

Volontiers présenté comme ” le petit Poucet des régies ” par ses adversaires, Transfer ne cesse pourtant de monter en puissance. Ses deux fondateurs ont une solide expérience au compteur- Birgitta De Smet a travaillé une dizaine d’années chez IP et SBS, tandis que Koenraad Deridder fut directeur des programmes chez VT4 (qui deviendra Vier) – et surtout, leur société appartient au groupe américain Fox Networks qui est actuellement dans le viseur du géant Disney pour un rachat imminent.

Méconnu en Belgique francophone, Transfer a débuté en 2011 avec trois petites chaînes thématiques avant de conquérir peu à peu d’autres acteurs du paysage audiovisuel. ” Nous avons créé un nouveau produit sur le marché, raconte Koenraad Deridder. Nous avons rassemblé plusieurs chaînes thématiques dans notre offre pour les vendre comme une seule grande chaîne, ce qui était beaucoup plus efficace pour les campagnes. ”

” Aujourd’hui, nous sommes la seule régie en Belgique qui a une offre véritablement nationale en télévision, enchaîne la CEO Birgitta De Smet. Nous avons 39 chaînes en portefeuille qui touchent 5 millions de personnes par mois. Dans le sud du pays, nous représentons désormais 35 % de l’audience et nous comptons devenir leader sur ce marché “.

L’union fait la force

Parmi ces 39 chaînes commercialisées par Transfer, près du tiers concerne les télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Si la régie flamande ne démarche pas les annonceurs locaux démarchés par chaque chaîne, elle gère en revanche la commercialisation des écrans publicitaires qui concernent, ensemble, les 11 télévisions wallonnes et la bruxelloise BX1 sur des tranches horaires spécifiques communes. L’idée est de séduire évidemment les annonceurs nationaux intéressés par cette audience globale (700.000 téléspectateurs par jour) et certaines grandes marques comme BMW, Danone, Philips, ING ou encore MediaMarkt ont déjà épousé le mouvement. Nouveauté de taille : dans quelques semaines, ces chaînes seront intégrées dans l’audimétrie du CIM, le Centre d’Information sur les Médias, ce qui permettra à Tranfer de mieux définir son offre commerciale sur les écrans publicitaires de la Fédération des télévisions locales (FTL).

” Transfer nous permet d’avoir plus facilement accès aujourd’hui aux grands annonceurs nationaux qui sont généralement basés à Bruxelles ou à à Anvers, et ceci sans interférer avec le travail que font les petites régies de chaque chaîne pour les annonceurs locaux, explique Fabien Bourgies, directeur général de la Fédération des télévisions locales, située à Namur. Grâce à Transfer, nous avons désormais des grandes marques qui achètent de l’espace publicitaire non seulement sur l’ensemble de télévisions locales, mais aussi sur les sites internet des chaînes wallonnes qui, ensemble, touchent un million de visiteurs uniques par mois. Grâce à cette collaboration dont je me réjouis, nous allons doubler le chiffre d’affaires publicitaire annuel de la Fédération des télévisions locales. ”

Ecrans publicitaires TF1 réclame sa part de gâteau, soit de 20 à 30 millions d'euros par an.
Ecrans publicitaires TF1 réclame sa part de gâteau, soit de 20 à 30 millions d’euros par an.© PG

Des packages originaux

Indice révélateur de la stratégie offensive de Transfer sur le marché francophone, la régie publicitaire propose aujourd’hui des ” packages ” originaux aux annonceurs nationaux, histoire de mieux valoriser son portefeuille. Ainsi, une grande marque qui voudra toucher un maximum de téléspectateurs au sud du pays pourra souscrire à une offre ” TF1 + FTL ” avec, au passage, une réduction de 5 % sur les tarifs habituellement appliqués sur la chaîne française et sur les 12 télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Autre produit novateur : Transfer a également lancé, il y a quelques semaines à peine, une offre ” cross-média ” qui combine des écrans publicitaires sur TF1 et une campagne print dans plusieurs magazines de l’éditeur Sanoma comme Flair, Gaël ou Femmes d’Aujourd’hui. L’objectif ? Toucher un large public féminin qui lit ce type de magazines et qui aime aussi des émissions comme Danse avec les stars, Koh Lanta ou encore 4 mariages pour une lune de miel diffusées sur la chaîne française.

Une guerre des prix, vraiment ?

En jouant la carte de l’audace, Transfer veut s’imposer aujourd’hui dans la cour des grands, au risque de bousculer les forces de présence et d’être suspectée de vouloir casser les prix pour se faire une place au soleil. Une crainte justifiée ? ” Je ne crois pas que les prix réels vont baisser de façon drastique sur le marché francophone, analyse Bernard Cools, chief intelligence officer à l’agence média Space. Cela fait longtemps que le duopole RMB et IP fait pression sur les prix, en s’accusant l’un et l’autre de dumping, mais je ne pense pas que l’arrivée d’un troisième acteur va changer la donne. Transfer ne semble d’ailleurs pas vouloir casser les tarifs en vigueur et je ne pense donc pas qu’il y aura plus de guerre des prix qu’avant. En revanche, on assiste à une guerre verbale qui fatigue un peu le marché : pendant que les régies se tapent dessus par presse interposée, elles ignorent les vrais enjeux du secteur, à commencer par le numérique. ”

Si, pour l’instant, TF1 n’est pas encore le rouleau-compresseur annoncé, il se pourrait bien que les choses changent avec cette nouvelle année 2018. Lorsque Transfer a lancé la commercialisation des espaces pub de la chaîne française en septembre dernier, les plans médias des annonceurs étaient en effet arrêtés et la régie flamande n’a donc pu hériter que de quelques ” queues de budgets ” en fin d’année. Le démarrage d’un nouveau cycle suppose des stratégies adaptées où TF1 fait partie désormais de l’offre publicitaire.

Gâteau à géométrie variable

Dans ce nouveau paysage commercial, les chaînes belges du groupe RTL et de la RTBF risquent donc de perdre quelques recettes publicitaires, à moins que les dépenses totales des annonceurs n’augmentent légèrement. A ce sujet, deux théories s’affrontent aujourd’hui. La première défend l’idée selon laquelle le gâteau publicitaire n’est pas extensible et que les acteurs traditionnels comme RTL-TVI et La Une (RTBF) gagneront forcément moins d’argent. En revanche, la seconde théorie soutient l’hypothèse que le gâteau publicitaire pourrait gonfler raisonnablement en Fédération Wallonie-Bruxelles – à l’instar de ce qui s’est passé en Suisse avec l’arrivée de TF1 il y a quelques années déjà – étant donné qu’il y a actuellement un sous-investissement publicitaire en Belgique francophone par rapport à la Flandre. ” Il n’est pas impossible qu’il y ait effectivement de l’argent qui ruisselle du Nord vers le Sud, confirme Bernard Cools de l’agence média Space, et cela inquiète d’ailleurs des acteurs flamands comme Medialaan, la régie de VTM, qui craint de voir partir des budgets. ”

Rendez-vous dans quelques mois pour voir quelle théorie l’emportera, même si, pour Birgitta De Smet, CEO de Transfer, il ne fait aucun doute que le gâteau est d’ores et déjà en train de grossir en Wallonie…

Transfer, c’est…

27 employés

39 chaînes de télévision en portefeuille (les télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de nombreuses chaînes thématiques comme Cartoon Network, MTV, National Geographic, Viceland, etc.) qui touchent ensemble 5 millions de téléspectateurs belges par mois.

89 millions d’euros de chiffre d’affaires publicitaire brut en 2016 et une estimation de 105 à 110 millions de recettes brutes en 2017.

Un objectif de 150 millions de recettes brutes pour l’année 2018.

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