Comment le salon Antica Namur dessine les tendances du marché

Nymphe nue allongée d'Etienne Maurice Falconet (18e s.) : 19.000 euros. © Galerie Desmet

Premier rendez-vous de la saison des foires, Antica Namur est un excellent baromètre pour prendre la température du marché belge. L’occasion de rencontrer deux spécialistes pour parler de cette 42 e édition et des nouveaux enjeux qui traversent le commerce de l’art et des antiquités en général.

Etonnant : la décision en 1977 d’organiser ce salon début novembre était surtout liée à l’ouverture de la chasse. Située aux portes de l’Ardenne, Namur apparaissait alors comme un lieu de villégiature privilégié pour les chasseurs et leurs épouses. Que cette réalité soit encore d’actualité ou non, il faut bien reconnaître que la météo automnale incite plus à penser confort et décoration intérieure que barbecues et week-ends à la mer. Quarante ans après, l’intérêt est toujours là, tant au niveau des visiteurs que des exposants. Avec plus de 30.000 entrées pour les cinq dernières éditions, Antica Namur a affiché complet dès le printemps sur un total de 130 galeries, dont une cinquantaine sont étrangères. Un succès qui justifie cette année l’ouverture d’un hall supplémentaire, faisant passer la surface d’exposition de 8.000 à 10.000 m2.

Les raisons d’une telle popularité seraient à chercher du côté de l’éclectisme des pièces proposées et du large éventail des prix affichés. En effet, contrairement à d’autres foires bien connues comme la TEFAF ou la BRAFA, on peut y trouver aussi bien une carafe Val Saint Lambert à quelques centaines d’euros qu’un tableau estimé à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de milliers d’euros. ” Même si le mot est un petit peu galvaudé, c’est une foire conviviale dans laquelle on peut se faire plaisir avec tous les budgets et l’intime conviction de faire une bonne affaire “, vante son directeur, Luc Darte, que nous avons retrouvé dans un café du quartier des Sablons, à Bruxelles. En face de lui, Tobias Desmet, un jeune marchand d’art dont la galerie est un des fidèles piliers d’Antica Namur, approuve en hochant la tête.

” Soleil levant “, d’Emile Claus : 90.000 euros.© Jan Muller

Des profils contrastés

Si comme les Desmet, plus de la moitié des exposants d’Antica Namur sont belges, l’Europe est quand même relativement bien représentée puisqu’on y trouve aussi bien des marchands néerlandais qu’espagnols ou britanniques. Luc Darte précise que beaucoup de professionnels étrangers sont également présents dans les allées dès l’ouverture pour faire leur marché. A ceux-ci, il faut aussi ajouter les décorateurs venus pour dénicher ” le ” lustre qui illuminera la salle à manger de leur client et, bien entendu, les collectionneurs belges. Réputés pour leur sérieux et leur connaissance des oeuvres, ils ne sont pas pour rien dans le rayonnement international des foires qui prospèrent sur le territoire. ” Avec eux, fait remarquer Tobias Desmet, il ne faut pas faire de show, il faut juste parler de l’objet “.

Du côté des simples amateurs, l’attrait d’un salon comme Antica Namur est au contraire de pouvoir promener sa curiosité entre les stands sans avoir à entrer en interaction avec leurs propriétaires. ” Les visiteurs se sentent en général plus libres que dans les galeries où ils ont du mal à entrer spontanément “, commente le galeriste. Moins cosmopolite, le public est essentiellement belge ou issu des régions limitrophes. Il en profite souvent pour se balader dans Namur. En effet, contrairement à la plupart des foires situées à l’extérieur de grosses agglomérations, les halls d’exposition sont à seulement 10 minutes à pied du centre-ville et l’on peut s’y rendre directement de la gare.

Un marché plus centralisé qu’auparavant

Saison de la chasse ou pas, le choix de Namur pour un tel événement reste assez atypique. La capitale de la Région wallonne n’a rien des grandes mégalopoles dans lesquelles se concentre aujourd’hui l’essentiel du business de l’art. ” Il y avait pas mal d’antiquaires avant dans des villes comme Bruges, Gand, Anvers, Liège ou Namur, constate Tobias Desmet. Mais à présent, tout se centralise à Bruxelles. ” L’analyse est partagée par Luc Darte qui remarque que ce phénomène est aussi observable à Paris et à Londres, chacune de ces villes disposant, comme Bruxelles, d’un quartier qui attire la majorité des galeries du pays. ” Aujourd’hui, dit-il, le Thalys et l’Eurostar permettent aux marchands de faire le tour de leurs confrères à l’étranger en une journée “.

La concentration des salles de vente s’inscrit dans cette logique, comme l’explique Tobias Desmet qui rappelle qu’en Angleterre, il y a 15 ans, on en trouvait quasiment une par village. Actuellement, le marché est détenu en majorité par des poids lourds comme Christies et Sotheby’s mais le processus est loin d’être irréversible. ” Ces institutions d’envergure mondiale sont devenues de grosses machines et sont arrivées au maximum de leur pouvoir “, affirme-t-il. Le plan de restructuration pressenti chez Sotheby’s et la fermeture de Christies South Kensington à Londres en 2017, accompagnée d’une réduction des effectifs de 12 %, n’est pas anodine à ses yeux. Selon lui, ces enseignes prestigieuses se focalisent sur les départements où il y a le plus d’argent, c’est-à-dire l’art contemporain et l’art moderne, en abandonnant progressivement la part du marché que constituent les vieux maîtres et les antiquités en général. ” Le vide laissé n’a pas encore été rempli et il y a beaucoup de nouvelles opportunités, aussi bien pour les collectionneurs que pour les marchands “, assure-t-il avec optimisme.

Chanson inachevée et inédite de Serge Gainsbourg : 9.000 euros.
Chanson inachevée et inédite de Serge Gainsbourg : 9.000 euros.© Autographes Manuscripta

Les limites du marché numérisé

La digitalisation du marché de l’art est à cet égard une véritable aubaine pour faire des affaires. ” Ce qui est génial avec Internet, c’est que l’on peut trouver des oeuvres dans un mauvais contexte à des prix très bas “, s’enthousiasme Tobias Desmet, qui définit son métier de marchand comme un travail de recontextualisation et qui refuse de se laisser gagner par le catastrophisme de l’ancienne génération. Le seul problème, selon lui, c’est que ” les prix indiqués en ligne ne racontent pas toute l’histoire “. Ils ne sont pas toujours synonymes de transparence et peuvent même nuire aux transactions ultérieures.

” Le montant auquel un tableau a été vendu un an plus tôt ne reflète pas toujours sa valeur réelle ni la situation du marché “, indique Tobias Desmet qui doit sans doute faire preuve de pédagogie face à certains clients. Ce flux de données accessibles à tous a, selon lui, rendu paradoxalement le marché plus complexe à comprendre et à suivre. ” Même moi qui le surveille de façon professionnelle, il me faudrait 50 heures par jour pour regarder tout ce qui est à vendre “.

Les objets douteux sont écartés

De l’autre côté de la table, Luc Darte acquiesce. Tous les deux sont d’accord sur un point : Internet n’a pas entièrement supplanté les anciennes structures du marché. Aux yeux du directeur d’Antica, la fréquentation grandissante des foires d’art le démontre assez bien. Rien ne remplace, selon lui, le fait de pouvoir toucher et regarder de près les oeuvres. ” Sans compter que dans la plupart des cas, les visiteurs peuvent rentrer chez eux avec leur acquisition sous le bras “, précise le jeune galeriste, qui recommande d’ailleurs de ne pas passer à côté de l’opportunité d’inspecter l’objet pour vérifier, entre autres, s’il n’a pas été trop restauré.

Question confiance, la foire de Namur offre cependant quelques gages de sécurité. Outre le comité de sélection (composé de quatre experts internationaux et des organisateurs) qui opère un tri parmi les exposants, une visite des stands par 25 experts est prévue chaque année avant l’ouverture de la foire. Appelée ” le vetting “, cette journée permet d’écarter d’éventuels objets douteux en raison, par exemple, de problèmes d’attribution. Par ailleurs, un trio d’experts est présent pendant toute la durée du salon pour répondre aux questions des clients. Un environnement rassurant qui semble porter ses fruits, comme le souligne Luc Darte qui affirme qu’environ 25 % des 30.000 visiteurs repartent en ayant acheté une pièce. Les résultats, en termes de chiffre d’affaires, sont néanmoins difficiles à établir. D’une part à cause de la discrétion habituelle du secteur et d’autre part, parce que les exposants eux-mêmes ont souvent du mal à chiffrer réellement leurs gains. ” Le deal avec un client rencontré sur une foire peut parfois prendre du temps “, admet Tobias Desmet.

Meubles régionaux et art japonais

Réputée pour son éclectisme, Antica Namur nous donne l’opportunité de sonder les tendances du marché. ” Une grande particularité de la Belgique, c’est d’être un des premiers pays où les gens ont mixé les périodes et les styles, notamment grâce à l’influence de personnes comme Axel Vervoodt “, lance Luc Darte à ce sujet. Pourtant, nos deux spécialistes sont d’accord pour reconnaître l’engouement persistant du public pour les pièces d’archéologie ou d’art tribal, faciles à combiner avec les intérieurs design contemporains, et les tableaux du 20e siècle parce qu'” ils sont signés, datés et qu’il y a moins de doute “, reconnaît Tobias Desmet.

Toutefois, l’expert nuance l’existence d’une segmentation marquée du marché. Aujourd’hui, selon lui, toutes les niches trouvent des amateurs dès qu’il s’agit d’un objet sortant de l’ordinaire. Beaucoup de collectionneurs en ont d’ailleurs fait leur spécialité. Un attrait pour le rare qui n’empêche cependant pas une désaffection générale à l’égard du mobilier régional. ” On trouve des meubles sculptés magnifiques vendus au même prix qu’une armoire Ikea “, déplore Luc Darte. Pour son interlocuteur, il s’agit d’une simple réaction au goût des parents qui se corrigera dans les prochaines années.

Même chose pour l’art japonais, que Tobias Desmet considère totalement sous-estimé au regard de sa qualité technique et esthétique. ” Il faut vraiment ouvrir l’oeil, nous conseille-t-il, car on peut acheter des choses fantastiques dans ces niches pour des prix très raisonnables “.

Du 10 au 18 novembre 2018 à Namur Expo, 2 avenue Sergent Vrithoff, 5000 Namur, 20 euros l’entrée en prévente. www.antica.be

Luc Darte

Comment le salon Antica Namur dessine les tendances du marché
© Fabrice Debatty

Après une décennie chez AB InBev comme responsable de l’image des différentes marques du groupe en Europe, Luc Darte n’a pas refusé la proposition d’Eric Evrard, CEO d’Artexis, de rejoindre il y a 25 ans sa société spécialisée dans l’organisation de foires commerciales. ” Outre l’opportunité de changer de secteur, j’ai tout de suite été séduit par la perspective de travailler dans un monde que j’aime, celui de l’art et de la culture en général “. Aujourd’hui, entouré d’une équipe majoritairement féminine de cinq personnes et d’une armée de sous-traitants, il gère la préparation de deux foires : Antica Namur en automne et Eurantica à Bruxelles en mars. Son planning est rempli toute l’année. ” En octobre, on prépare déjà mars “, nous confie-t-il avec un sourire serein.

Tobias Desmet

Comment le salon Antica Namur dessine les tendances du marché
© pg

Autre parcours pour Tobias Desmet qui a mêlé il y a six ans son destin à celui de la galerie d’antiquités que son père a fondée en 1980. Enfant, Tobias aidait à porter des sculptures lors de foires comme Antica. Contaminé par le virus, il a étudié l’égyptologie et l’art du Proche-Orient à la KU Leuven. Tom Desmet, qui a appris son métier sur le tas comme restaurateur, a été clair avec son fils : pas question de rejoindre l’entreprise familiale sans avoir acquis de l’expérience ailleurs. Après un stage de quelques mois à New York et de quelques années à Londres, le jeune expert est revenu travailler, non sans plaisir, avec ses parents à la galerie Desmet, rue des Minimes, à Bruxelles. ” Mon père et moi n’avons pas le même regard sur les objets, analyse Tobias, mais nous apprenons beaucoup l’un de l’autre. ”

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