Dominique Leroy en 2014 : “Proximus doit réduire ses coûts, pour éviter un plan social dans cinq ans”

Proximus CEO Dominique Leroy © BELGA

Déjà en 2014, la CEO de l’ex-Belgacom tirait la sonnette d’alarme. Elle nous confiait que pour revenir à la croissance en 2016, l’opérateur devait réduire ses coûts et que des licenciements étaient à craindre. A l’époque, Dominique Leroy déclarait vouloir à tout prix éviter un plan social destructeur.

Quand Dominique Leroy nous reçoit au sommet des tours Belgacom, la Belgique célèbre sa victoire face à l’Algérie. La veille, la CEO a vibré pour l’équipe nationale depuis son bureau panoramique, en compagnie du comité de direction de l’entreprise. “Vous avez vu le rôle de l’entraîneur ? Ses deux changements ont été payants”, nous glisse-t-elle. L’entraîneur de Belgacom aussi a prévu quelques changements au sein de son entreprise. Son objectif numéro un : ramener l’opérateur sur le chemin de la croissance. Dans un style moins cassant mais tout aussi direct que son prédécesseur Didier Bellens, la patronne détaille sa feuille de route, qui passera par le développement de nouveaux business et une politique soutenue de réduction des coûts salariaux. En exclusivité pour Trends-Tendances, Dominique Leroy évoque les défis de Belgacom et dresse un premier bilan de son action après six mois passés à la tête de l’opérateur.

TRENDS-TENDANCES. Depuis votre arrivée, quel est votre impact sur la société ? Y a-t-il eu un effet Dominique Leroy ?

DOMINIQUE LEROY. Mon style de leadership est différent de celui de mon prédécesseur : j’ai une personnalité plus accessible, j’aime aller sur le terrain et j’en retire pas mal d’énergie. Du coup, cela change la manière dont la société est gérée. Une nouvelle dynamique se met en place, plus collaborative. Pour y parvenir, je gère moins la société d’un point de vue strictement financier, mais plus d’un point de vue commercial. Si nous développons nos réseaux et que nous proposons de bons services, les clients seront satisfaits et le business suivra, ce qui nous donnera les moyens d’investir, de rémunérer nos actionnaires et de créer de l’emploi. Pour moi, le financier est une résultante de la stratégie, pas l’inverse.

Quels sont vos plus gros défis ?

Retrouver la croissance dès 2016. Pour y arriver, il faudra rendre la société plus flexible et plus simple, afin d’améliorer l’expérience clients, tout en réduisant la structure de coûts.

Le coût du personnel est quasiment deux fois plus important chez Belgacom que chez Telenet. Est-ce une difficulté ?

Ces coûts sont effectivement très importants chez Belgacom et cela provoque un désavantage concurrentiel pour nous. Avec les syndicats, nous devons voir comment réduire ces coûts. Mon objectif, c’est de commencer aujourd’hui, tant qu’on a les moyens de le faire, de manière graduelle et socialement responsable, dans le dialogue. C’est nécessaire pour la survie à long terme de la société. Si on ne le fait pas, nous nous retrouverons potentiellement dans la situation de Delhaize. Pendant des années, Delhaize n’a pas pris ce genre de décision. A un moment, le marché les rattrape et ils doivent aller vers un plan social drastique, qui peut faire très mal. Je voudrais éviter que cela arrive chez Belgacom.

Comment allez-vous procéder ?

Nous avons du temps pour réduire graduellement notre structure de coûts, parce que l’on a un actionnaire de référence stable et que la société est profitable. Mais il faut absolument démarrer maintenant. L’alternative, c’est de faire dans cinq ans un plan de restructuration drastique. Aujourd’hui, nous essayons de simplifier la société, d’investir dans des processus et des systèmes IT pour réduire la masse de travail et donc les coûts. En commençant par réduire les coûts de la sous-traitance. Si je peux reprendre en interne une série de choses faites en externe, c’est une façon responsable de diminuer les coûts. Ce qui est important, c’est que les partenaires sociaux m’aident à introduire plus de flexibilité et de mobilité afin de maintenir l’emploi. Si l’on conserve les contraintes et les règles actuelles, ce ne sera pas possible.

Est-ce dû au fait que les statutaires (qui étaient auparavant fonctionnaires de la RTT)constituent encore une part importante des effectifs de Belgacom ?

Nous avons encore 42 % de statutaires. Mais on a parfois une image erronée des statutaires. Par exemple, leur absentéisme n’est pas plus élevé que celui des contractuels. C’est vrai que les statutaires coûtent plus cher en raison des augmentations barémiques et du fait qu’ils sont en moyenne plus âgés. Mais ce qui est important, c’est de pouvoir réaffecter le personnel dans les métiers du futur, où l’on a besoin de ressources.

Pour réduire la masse salariale, faudra-t-il passer par des licenciements secs ?

Dans certains départements, il faudra discuter avec les syndicats de plans de départ. Dans certains cas, il pourrait y avoir des licenciements spécifiques, je ne l’exclus pas. Mais je ne veux pas faire de plan social.

Combien de temps vous faudra-t-il pour mener ce plan à bien ?

Notre objectif est de stabiliser le coût des salaires, ce qui nécessite d’économiser environ 50 millions d’euros par an. En parallèle, nous économiserons 100 millions d’euros supplémentaires d’ici 2018. Il y aura peu de départs à la pension dans les trois années qui viennent, parce que des plans de départs anticipés ont déjà eu lieu et parce que l’âge de la retraite a augmenté. Après 2018, il y aura plus de départs à la retraite, ce qui nous donnera une meilleure flexibilité pour adapter notre structure de coûts. Et si nous parvenons à renouer avec la croissance, nous devrons faire moins d’économies.

Y a-t-il un plan spécifique pour les TGR (top group resources), les hauts cadres de Belgacom ? Y en a-t-il trop ?

Nous essayons de réduire le nombre de niveaux hiérarchiques dans la société. La notion de TGR sera abandonnée pour avoir une meilleure dynamique dans la prise de décision. Il y a actuellement 170 TGR. Demain, le comité de direction travaillera avec une leadership team composée de 60 à 65 personnes.

Vous avez décidé d’abandonner la marque Belgacom, au profit de Proximus. L’image de Belgacom était-elle trop liée à l’Etat belge, votre premier actionnaire ?

Belgacom avait de grands atouts, notamment un certain capital de confiance, et en même temps c’était une marque plutôt liée à l’institutionnel, à la Belgique. Mais ce n’est pas ce qui a déterminé le choix. Cela s’est fait de manière positive en faveur de Proximus, parce que c’est une marque fantastique, avec beaucoup de potentiel, qui exprime parfaitement notre ambition de proximité avec le client.

Quelles sont vos relations avec l’Etat belge, sachant que ce sont précisément de mauvaises relations qui ont précipité la chute de Didier Bellens ?

J’ai eu pas mal de relations avec les différents actionnaires au début de mon mandat, pour avoir leur accord sur le repositionnement de la société, sur la vision stratégique et sur les dividendes. Les politiques ont vite donné leur accord parce qu’il y avait une vraie vision de l’entreprise : mon projet n’est pas de réduire les investissements pour augmenter la rentabilité, c’est un projet à long terme. Depuis les élections, j’ai un peu moins de contacts avec le politique. En attendant de voir comment les majorités vont se constituer, nous avons rédigé un mémorandum reprenant les éléments sur lesquels le gouvernement devrait se pencher : infrastructure, fiscalité, relations sociales, régulation. Nous avons aujourd’hui aux niveaux belge et européen des législations très différentes pour les opérateurs télécoms d’un côté, les câblo-opérateurs de l’autre.

C’est en train d’évoluer avec l’ouverture du câble à la concurrence.

Oui, mais nous attirons l’attention des politiques sur ces différences. Les politiques peuvent choisir : soit ils dérégulent tout le monde, soit ils régulent tout le monde. Comme nous sommes sur les mêmes marchés avec les mêmes produits et les mêmes clients, il faudrait que nous puissions jouer avec les mêmes règles du jeu. Aujourd’hui, le câble peut être installé en aérien, pas nos fils de cuivre. Le câble a accès à notre infrastructure, nous n’avons pas accès au câble. En termes de réciprocité, ce n’est pas un exemple.

La taxe wallonne sur les pylônes GSM vous a aussi fait réagir : vous venez d’introduire un recours à la Cour constitutionnelle à ce sujet.

Plus on taxe l’infrastructure, plus nous aurons du mal à la déployer. Or, le tissu économique des régions en dépend. Les autorités veulent que l’on ait l’accès à la téléphonie et à l’Internet mobile partout, puis elles taxent les pylônes GSM. Cette taxe double les coûts d’entretien et de maintenance du réseau. C’est énorme.

VOO, un de vos concurrents, travaille à perte depuis plusieurs années. Est-ce une difficulté pour l’équilibre du marché belge des télécoms ?

La Région wallonne et surtout les communes ont du mal à boucler leurs budgets — la preuve, elles taxent les pylônes GSM. A côté de ça, les communes sont actionnaires de Tecteo, qui est très rentable dans le secteur de l’énergie et qui, au lieu de distribuer des dividendes aux communes, investit dans un câblo-opérateur faisant des pertes annuelles de 60 à 70 millions d’euros. A long terme, il n’est pas acceptable d’avoir un opérateur qui produit des bénéfices et rémunère ses actionnaires (Belgacom, Ndlr), et un autre qui est subsidié sur ses pertes par la Région wallonne pour concurrencer Belgacom avec des stratégies de prix très agressives. Ce n’est pas une situation saine.

En Europe, tous les opérateurs télécoms voient leurs revenus baisser. Comment comptez-vous remettre Belgacom sur le chemin de la croissance ?

Nous devons nous réinventer. Le grand challenge est de redonner de l’élan aux business en déclin, comme celui de la téléphonie fixe, tout en développant de nouveaux pôles de croissance. Cette année, nous avons investi 15 millions d’euros dans la cyber-sécurité. Il y a aussi des opportunités dans la sécurisation des réseaux et des données, dans le big data, le machine to machine, l’Internet des objets… Sur le marché de la télévision, nous essayons de faire en sorte que les consommateurs aient accès plus facilement au contenu, via la vidéo à la demande, la télévision de rattrapage, etc.

Pour retourner à la croissance, malgré tout ce que vous venez de dire, il faut soit avoir plus de clients, soit les faire payer plus cher.

On peut aussi leur proposer plus de services. Le consommateur veut pouvoir stocker ses données, sécuriser son habitation, visionner ses photos sur sa télévision… Belgacom doit évoluer vers une société qui gère bien sûr la connectivité, mais qui offre aussi une facilité d’usage de tout ce qui est lié à ses réseaux : contenu internet, vidéos, photos… Notre rôle est de gérer et d’organiser ces contenus. Mais pas d’en créer, contrairement à ce que font certains concurrents.

Vous évoquez Telenet, qui est devenu copropriétaire des chaînes flamandes Vier et Vijf. Ce n’est pas le modèle à suivre ?

C’est un autre modèle. Les spécialistes du contenu, ce sont les boîtes de production et les chaînes de télévision. Ce n’est pas mon métier. Chacun ses choix, mais le contexte concurrentiel doit rester correct. Il y a un conflit d’intérêts potentiel lorsque l’on intègre la production à la distribution. Jusqu’à présent, Telenet a toujours dit qu’il ne réserverait pas l’exclusivité de Vier et Vijf à sa propre offre TV. S’il change de position, nous saisirons les autorités de la concurrence, parce que Telenet deviendrait un acteur ultra-dominant sur le marché de la TV.

La situation de VOO, qui est propriétaire de BeTV, vous gêne moins.

La plupart des opérateurs européens ont une chaîne payante, qui propose essentiellement du contenu international. Avec Telenet, la situation est différente et peut-être plus problématique : un distributeur de télévision, qui possède un peu moins de 80 % de parts de marché en Flandre, investit dans des chaînes locales ouvertes et dans des sociétés de production.

Votre prise de fonction s’est faite rapidement, suite au départ précipité de Didier Bellens. Quel regard portez-vous sur cet épisode, rétrospectivement ?

Une décision politique a été prise, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Puis, le choix s’est porté sur un manager professionnel plutôt que sur quelqu’un qui a une couleur politique. Je ne connaissais personne au niveau politique. Maintenant, j’ai eu la chance de les rencontrer (rires). C’était une période assez bouleversée, mais à un moment donné il faut saisir les opportunités qui se présentent.

Peu de temps après votre entrée en fonction, vous avez annoncé une baisse du dividende. Une décision difficile.

Une décision nécessaire. Le dividende que nous payions ne pouvait pas être maintenu : il était trop élevé par rapport à notre free cash-flow. Tout le monde avait peur que le cours de Bourse ne s’écroule. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Pourquoi ? Parce que nous offrons toujours un très bon rendement sur un marché où les marges se réduisent.

La diminution du dividende a-t-elle fait évoluer la position des politiques au sujet de la participation majoritaire de l’Etat dans Belgacom ?

La N-VA a été la plus claire : tant que Belgacom donne un dividende supérieur au coût de la dette, il n’y a pas de raison de vendre. D’un point de vue économique, ils ont raison. Il y a peut-être aussi d’autres raisons, plus politiques. Les libéraux estiment qu’être en même temps régulateur et actionnaire, c’est une position difficile. Le PS estime que lorsque l’on vend des participations, le centre de décision quitte la Belgique, et l’emploi en subit les conséquences. En tant que manager de la société, je ne peux pas influencer ce choix politique. Ce qui est important, c’est que l’on garde un actionnaire de référence belge, afin de garder le centre de décision en Belgique et de continuer à investir dans l’infrastructure et l’emploi en Belgique.

Propos recueillis par GILLES QUOISTIAUX ET BRUNO LEIJNSE

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