Paul Vacca

“En 2019, soyons solidaires des Gafa”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Le “techlash” fut pour beaucoup l’une des activités favorites de l’année qui vient de s’écouler. Forgé en 2018 par The Economist de la contraction de echnology et de backlash (contrecoup), le terme désigne le retour de bâton du public à l’endroit des grandes entreprises technologiques. Naguère on les adorait, maintenant on adore les détester.

Il faut dire qu’elles y ont mis du leur : Google avec ses scandales sexuels, son acceptation de la censure en Chine ; Amazon avec sa mascarade concernant son deuxième quartier général ; Facebook avec sa saga de scandales à répétition en forme de poupées russes sur les fake news et partages de données personnelles avec d’autres géants… Sans compter les frasques d’Elon Musk, les déboires d’Uber, etc. Au point qu’on a même inventé un autre acronyme rien que pour eux. Haro sur les BAADD, ces Big, Anti-competitive, Addictive, Damaging Democracy !

Est-ce que 2019 se présente sous de meilleurs auspices pour les big techs ? Pas vraiment. Pourtant, pour cette nouvelle année, nous préconisons d’arrêter de dire du mal des Gafa. Mais pour quelle raison ? Par pur pragmatisme. Car à l’évidence cela ne fonctionne pas. Pour plusieurs raisons.

1. Parce que le ” techlash ” s’est banalisé. Rançon de leur succès, les attaques anti-Gafa se sont en quelque sorte lexicalisées en pur élément de langage. Pas un article, un colloque, un sujet de journal télévisé ou de débat qui ne fasse état de la mainmise-des-Gafa-sur-nos-vies-et-l’avenir-de-la-démocratie. Dans une forme de mantra vidé de son sens. L’un des signes évidents étant le nombre de posts anti-Facebook publiés sur Facebook ou de tweets dénigrant Twitter.

Si Facebook perd des utilisateurs, il semble que ce soit plus en raison d’une chute de sa cote auprès des nouvelles générations qu’en raison de sa dangerosité proclamée.

2. Parce que le ” techlash ” est devenu excessif. Donc insignifiant. Après avoir été idolâtrées comme les sauveurs du monde, les big techs sont aujourd’hui présentées comme responsables d’absolument tous les maux. A qui imputer la montée de l’individualisme ? Aux réseaux sociaux. La démocratie en ruine ? Aux Gafa. L’explosion des populismes ? Aux bulles de filtres. La ruine du système éducatif ? Au smartphone… A force de charger la barque, on rate sa cible. Se nourrissant au mythe d’un âge d’or pré-numérique où tout était merveilleux avant Internet – quelle amnésie ! -, le techlash devient cet exutoire confortable, le ” Facebook émissaire ” idéal pour se dédouaner de tous nos maux.

3. Parce que le ” techlash ” est devenu inefficace. On le sait, les imprécations catastrophistes n’engendrent que très rarement des changements de comportement. C’est humain : puisque l’apocalypse nous est promis, à quoi bon changer d’attitude ? Les Gafa nous privent de notre libre arbitre et détruisent notre démocratie ? Foutu pour foutu… Comme pour les grandes causes – les épidémies ou le réchauffement climatique -, on observe que l’alarmisme aurait tendance paradoxalement à inhiber l’action générant un effet de déni ou de défaitisme plutôt que de créer un sursaut salutaire. Et de fait, on a pu constater que les accusations portées contre les Gafa n’influaient que très peu sur le comportement des consommateurs. Si Facebook perd des utilisateurs, il semble que ce soit plus en raison d’une chute de sa cote auprès des nouvelles générations qu’en raison de sa dangerosité proclamée.

4. Parce que le ” techlash ” est contreproductif. Par un effet pervers propre à la nouvelle économie, plus on agite la menace des big techs, plus on les valorise. En effet, les discours alarmistes alimentent presque mécaniquement leur valorisation. Dire que Netflix va croquer Hollywood, c’est conforter ses actionnaires et renforcer la force de frappe du géant de Los Gatos. Dénoncer le fait que Facebook a réussi à changer le cours des élections américaines avec quelques centaines de milliers de dollars, c’est faire une promotion de l’efficacité publicitaire de Facebook telle que Mark Zuckerberg lui-même n’en aurait jamais rêvé.

Alors que faire, puisque le ” techlash ” ne fonctionne pas ? Et si on essayait en 2019 une autre voie, celle de la bienveillance ? Ce serait à notre avis une arme bien plus efficace. Oui, plutôt que d’accabler inutilement les Gafa, volons à leur secours en aidant les BAADDs à devenir meilleurs. Dans un vaste élan de solidarité, aidons-les à devenir moins hégémoniques, moins addictifs, moins intrusifs. Bref, en 2019, soyons solidaires des Gafa en nous détournant d’eux.

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