Paul Vacca

“Faut-il sauver les publicitaires?”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Le publicitaire serait-il une espèce en voie de disparition ? Un article de Ian Leslie du New Statesman, donne clairement la couleur : il s’intitule The Death of Don Draper, en allusion au personnage principal de la série Mad Men qui évoquait l’âge d’or de la publicité (le titre est une contraction de “Ad Men” pour “Advertising Men” et qui officiaient principalement sur Madison Avenue à New York et qui étaient un peu “mad”, fous également).

Ian Leslie montre que les publicitaires traversent une crise d’identité profonde. L’invasion numérique est passée par là. Au point que plus un seul publicitaire ne semble assumer le fait de faire de la publicité, désormais terrorisé à l’idée d’être associé à la ” pub à papa “.

Surfer sur la plus impalpable des tendances est dans l’ADN même de la publicité. Pas étonnant dès lors que les publicitaires aient enfourché gaiement le tsunami numérique reniant au passage tout ce qui avait fait leur grandeur : le jonglage conceptuel. Ils ont troqué leur langage spécifique – dont on moque souvent le ridicule – contre un verbiage truffé de metrics, comptabilisant les clics, parlant de taux d’engagement, d’algorithme, de code, de programmatique, de big data. Les Mad Men sont devenus des Math Men. Avec un effet désastreux. Plus ils se numérisent, plus ils se jettent dans la gueule du grand méchant Gafa, ne faisant que renforcer la position dominante de Google, Facebook ou Amazon qui siphonnent toujours plus les budgets publicitaires. Que peuvent-ils peser face aux ogres numériques et leurs milliards de données ?

Alors peu importe qu’il y ait de la vente de faux clics, une opacité totale de la machinerie de Facebook qui refuse de révéler comment cela fonctionne, que l’on estime qu’au moins un tiers de l’audience des publicités online provienne de robots. Peu importe que l’on nous propose en ligne ce que nous avons déjà acheté ou que l’on nous soumet à chaque balade sur Internet la même paire de pantoufles à 100 euros que nous n’achèterons jamais. De quoi avoir des doutes sur l’efficacité réelle du ciblage pointu, du one to one survendu par les plateformes numériques. Mais pour l’heure, les annonceurs se détournent des concepts ou de belles images pour succomber au charme des courbes et des diagrammes. Les publicitaires devraient s’interroger sur le fait que Procter & Gamble, le plus grand annonceur du monde, ait fait des coupes sévères dans son budget marketing le réduisant de 200 millions de dollars sur Internet préférant les allouer aux autres médias dont les bons vieux spots de télévision, le fameux 30′. Et aussi sur le fait que Google, Amazon ou même Facebook fassent parfois appel aux vecteurs de publicités classiques – en offline – lorsqu’ils en ressentent le besoin.

Plus les publicitaires se numérisent, plus ils se jettent dans la gueule du grand méchant Gafa.

Car le postulat du ciblage intégral vendu par les plateformes numériques souffre d’un vice de forme, il ignore une réalité humaine que la publicité classique connaît : nous ne donnons de la valeur aux choses qu’en fonction de celle que les autres leur donnent. Ce que le philosophe René Girard avait identifié sous le terme de ” désir triangulaire ” ou ” désir mimétique “. Le désir, selon lui, ne naît pas motu proprio, il prend naissance dans le désir des autres. C’est donc une construction collective et sociale.

Ian Leslie illustre d’ailleurs cette dynamique en prenant l’exemple de Christie’s qui, en 2017, voulant vendre une toile de Léonard de Vinci, Salvator Mundi, décida de produire une vidéo très coûteuse. Pourtant la maison de ventes aux enchères connaissait personnellement tous les acheteurs potentiels de ce tableau qui n’étaient pas nombreux comme on peut s’en douter. Elle aurait pu les rencontrer en face à face dans leurs immenses penthouses. Une dépense absurde alors ? Pas du tout, car Christie avait compris que par cette ” socialisation “, le tableau prenait un statut différent. Il devenait ” iconique ” pour reprendre le terme consacré.

Alors faut-il sauver les publicitaires ? Oui, mais pas seulement pour eux. Car la publicité classique malgré tous ses défauts, opère comme son nom l’indique à ciel ouvert, en public. Là où le ciblage numérique plonge toujours plus au coeur de notre vie privée dans une captation effrénée de notre attention dont on perçoit de plus en plus les effets néfastes.

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