Fons Van Dyck, le pape belge du marketing, fait tomber quelques mythes

Steve Job et Steve Wozniak en 1976 Le mythe selon lequel Apple serait né dans le garage des parents de Steve Jobs en prend aussi un coup. © BELGA IMAGE

L’ouvrage de l’expert en marketing fourmille de cas concrets, de témoignages de capitaines d’industrie et, surtout, tord le cou à pas mal d’idées reçues sur les chances de survie à long terme d’une entreprise.

Dans son essai, Fons Van Dyck contrecarre bon nombre d’enseignements d’experts et de concepts enseignés dans les écoles de marketing ou de management. Non, les entreprises qui réussissent ne sont pas toujours disruptives. Non, le client n’est pas toujours ignorant de ses désirs. Non, la course à la part de marché n’est pas un must si l’on veut réussir. Non, les entreprises stars de la high-tech ne sont pas toutes nées dans un garage… Voici quelques morceaux choisis.

Faut-il être le premier ?

” Dans le milieu de la technologie, mais aussi dans celui des chefs d’entreprise et des consultants en gestion, sans parler des médias, il est largement admis depuis très longtemps, voire même depuis des décennies, que les entreprises qui sont les premières à commercialiser une nouvelle technologie auront un avantage concurrentiel pendant de longues années (dans les ouvrages de management, on parle parfois du first-mover effect, c’est-à-dire l’effet du pionnier).

Mais un certain nombre d’études scientifiques montrent clairement que cette théorie n’est pas exacte. Par exemple, les chercheurs Tellis et Gordon ont mené une étude à grande échelle dans laquelle ils ont examiné plus de 650 produits de 66 catégories différentes. Plus précisément, ils comparent les leaders des différentes branches en 1923 avec ceux de l’an 2000. La conclusion est sans équivoque : jusqu’à 64 % de ceux qui entrent sur le marché ont d’abord échoué… Et ceux qui n’échouent pas ont à peine 6 % de part de marché. Les pionniers initiaux ne sont restés en tête que dans 9 des 66 catégories et, ces dernières années, le score a diminué (1 sur 16 depuis 1974).

En moyenne, un pionnier conserve sa position de leader pendant cinq ans. De plus, les leaders actuels sont arrivés sur le marché en moyenne 19 ans ( ! ) après le pionnier.

Tellis et Golder ont démontré que de nombreuses entreprises qui sont aujourd’hui leaders du marché sont également considérées comme pionnières. Mais en réalité, il s’agit surtout d’entreprises qui ont rapidement suivi le pionnier initial qui, lui, a depuis longtemps quitté le marché. ”

Faut-il être disruptif ?

“Si l’on considère les caractéristiques d’une entreprise disruptive, Apple ne l’est manifestement pas, contrairement à ce que l’on présume souvent. En effet, d’un point de vue technologique, les produits d’Apple n’étaient pas plus simples, moins chers ou de moindre qualité. De plus, c’est lorsqu’elle a lancé des produits de très haute qualité à un prix élevé, avec une marge bénéficiaire élevée, qu’Apple a connu le plus de succès. Apple ne voulait pas non plus attirer de nouveaux clients en promettant des prix plus avantageux (sauf au milieu des années 1990 où l’entreprise a changé de stratégie pendant un certain temps, mais a vite dû faire machine arrière). Et si l’on considère le troisième critère, qui veut que le produit soit lancé sur un marché émergent ou peu significatif, Apple n’a pas vraiment sa place dans le groupe des entreprises disruptives. En effet, Apple n’était pas le pionnier sur le marché des ordinateurs personnels au milieu des années 1970. (…) Il en va de même pour tous les autres produits lancés par Apple. Quand Apple a commercialisé son iPhone, les téléphones existaient depuis plus de 100 ans. Apple n’a pas inventé le téléphone, mais elle l’a hissé au niveau supérieur. (…)

Peter Thiel, fondateur de PayPal et l’un des premiers investis- seurs de Facebook, Space X et LinkedIn, éprouve peu d’estime pour ceux qui aiment agiter le drapeau de la disruption. Cela semble être devenu une obsession dans la Silicon Valley, note-t-il d’un ton critique. Pour lui, il s’agit d’une sorte de mot à la mode à la limite du narcissisme utilisé pour tout ce qui respire la mode et la nouveauté. Il snobe également le prétendu first-mover effect mentionné plus haut. ” C’est encore mieux d’être le last-mover”, fait-il remarquer avec provocation. Il vaut mieux être le dernier à se lancer dans un développement majeur sur un marché spécifique, afin de bénéficier de profits monopolistiques pendant de nombreuses années, voire des décennies.

Quel est alors le chemin à suivre ? Il faut d’abord devenir domi- nant dans un petit créneau du marché et de là, ” escalader “, avec une vision à long terme. ”

Faut-il lutter pour les parts de marché ?

“La lutte pour une plus grande part de marché est encore considérée comme une valeur absolue dans de nombreux plans d’entreprise et de marketing.

Jusqu’à la fin des années 1980, la croissance des parts et le leadership sur le marché étaient les principaux objectifs d’une entreprise et les conditions préalables à la rentabilité et au succès. (…)

Toutefois, depuis lors, les recherches scientifiques ont démontré que la rentabilité n’est pas une conséquence directe de la part de marché. Des chercheurs de la Wharton School (University of Pennsylvania, Etats-Unis) ont examiné dans quelle mesure les entreprises prenaient des initiatives pour voler des parts de marché à leurs concurrents. Les résultats ont été comparés au ROI ( return-on-investment, c’est-à-dire le retour sur investissement, après impôts) de ces entreprises sur cinq périodes de neuf ans entre 1938 et 1982.

La corrélation s’est avérée négative. Les entreprises dont l’objectif premier est la maximisation des profits ont cependant enregistré un meilleur ROI. En d’autres termes, les entreprises qui se soucient uniquement de la concurrence et essaient d’occuper une position privilégiée sur le marché risquent de mettre en péril leur rentabilité. ”

Faut-il commencer dans un garage ?

“L’un des mythes les plus tenaces qui circulent au sujet des entrepreneurs dans le monde de la technologie est que presque tous ont commencé dans un petit garage. Ce mythe a commencé avec le garage des fondateurs de Hewlett-Packard à Palo Alto dans les années 1940. Le garage symbolise le rêve américain et la société méritocratique, dans laquelle des individus créatifs et entreprenants peuvent accomplir de grandes choses.

Dans la lignée de ce mythe, on raconte souvent qu’Apple a été fondée dans un garage au 2066 Crist Drive à Los Altos, Californie (ville natale de Steve Jobs), où les premiers ordinateurs personnels ont été développés et construits. Une histoire entretemps réfutée par Steve Wozniak. ” Le garage n’avait pas vraiment de but, on s’y sentait juste chez nous. Nous n’avions pas d’argent. Raison pour laquelle nous devions travailler à la maison. ”

Deux chercheurs de la Haas School of Business à Berkeley, Pino Audia et Chris Rider, ont également nuancé le mythe du garage. Ils soutiennent que ce mythe évoque l’image de l’Einzelgänger, du personnage solitaire qui développe des produits uniquement sur la base de ses efforts et talents extraordinaires.

Rien de moins vrai, selon les chercheurs : la plupart des développeurs de technologie sont eux-mêmes des produits d’autres organisations. C’est aussi le cas de Steve Wozniak, qui travaillait chez Hewlett-Packard quand il a développé l’Apple I, tandis que Steve Jobs travaillait chez Atari. Cette thèse est confirmée par une étude sur les entreprises financées par du capital-risque : 91 % de ces entreprises travaillaient sur des projets qui étaient assez proches de ceux de l’ancienne boîte dans laquelle leur fondateur avait travaillé par le passé. La recherche montre que le succès des entrepreneurs n’est généralement pas dû au travail iconoclaste d’un individu, mais à son environnement social. (…)

Le mythe du garage – bien que réfuté par la recherche académique – symbolise encore aujourd’hui la classe créative des jeunes start-up qui veulent devenir les prochains Apple, Google ou Facebook. Dans le cas d’Apple, ce mythe les a aidés à créer une aura d’innovation, de créativité et d’esprit d’entreprise autour d’elle. Bien que cela ne corresponde pas à la réalité de la pratique quotidienne, il s’agit d’une métaphore puissante de la culture – souhaitée – d’Apple. ”

Quand Christian Van Thillo a adopté la culture start-up

Christian Van Thillo
Christian Van Thillo© BELGAIMAGE

Interrogé par Fons Van Dyck, Christian Van Thillo, le patron de Medialaan- De Persgroep, explique comment son groupe s’est adapté au nouvel environnement numérique qui a bousculé les entreprises de médias.

” Nous avons vu en 2010 le monde autour de nous changer et se numériser à la vitesse grand V. Nous devions nous adapter. Un choix s’offrait à nous. Soit nous changions notre fusil d’épaule pour faire quelque chose de complètement nouveau, comme certains groupes de presse l’ont fait avant nous. Soit nous nous en tenions à notre ‘coeur de métier’ – informer, inspirer, divertir les gens – tout en cherchant à nous réinventer. Et c’est ce que nous avons fait.

Les conséquences furent de taille : changement radical, différenciation, intégration, expansion. Ce dernier point est particulièrement important si vous voulez passer au numérique. Nous avons étendu nos activités à l’étranger. Nous nous sommes diversifiés. Désormais, nous ne nous concentrons plus uniquement sur le lecteur, mais aussi sur le spectateur et l’auditeur. Puis vint le tour des internautes, les utilisateurs de nos services en ligne. Cela signifie que nous avons opté pour le digital first dans nos rédactions et nos ventes, ainsi que pour le marketing et l’optimisation des moteurs de recherche. (…)

Nous voulons une culture d’entreprise agile, souple. La culture d’une start-up numérique. Avoir une image qui pousse les jeunes à se dire : ‘C’est ici que ça se passe, je ne veux pas travailler pour Spotify, mais pour Medialaan-De Persgroep’. Cela signifie que nous optons pour un management horizontal, du bas vers le haut, et pour le travail en équipe. Cela concerne aussi nos concepteurs, qui s’en inquiétaient. Je leur réponds : ” La télévision sera toujours la télévision et la radio sera toujours la radio, mais la numérisation converge tout. ” Nous devrons travailler ensemble. D’où l’idée de réunir tout le monde à News City. Nous avons rassemblé nos collaborateurs de VTM, des vidéastes-nés, et les rédacteurs de Het Laatste Nieuws. Quand un incendie se déclare quelque part, les gens ne veulent pas le lire, ils veulent d’abord le voir. La collaboration : voilà notre nouvelle culture. “

Jef Colruyt, ou comment préserver ses valeurs

Jef Colruyt
Jef Colruyt© BELGAIMAGE

Comment assurer l’intégration au sein de l’entreprise ? Et comment préserver ses valeurs et son identité ? Jef Colruyt livre son expérience.

” Nous y travaillons depuis des années. Cela a commencé en 2007 : j’ai pensé qu’il était plus que nécessaire de réfléchir à notre propre identité. Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que nous représentons ? Quelles sont nos valeurs ? Nous savions que nous étions une entreprise durable, que nous portions les gens dans nos coeurs, mais tout ça restait assez vague. Ce n’était pas couché sur le papier. Je voulais à tout prix préserver notre authenticité, parce que je sentais qu’elle devenait toujours plus importante dans un monde en mutation rapide où de plus en plus de structures étaient remises en question, voire réécrites. Les tours jumelles de New York étaient tombées, l’Eglise faisait l’objet de révélations sur les abus d’enfants, la crise bancaire, la crise financière… C’était une sorte de période de restructuration, où les valeurs et l’authenticité gagnaient en importance. (…)

Nous avons pris notre temps. (…) Chez nous, chaque nouveau projet, chaque initiative part de quatre points d’attention : la qualité de nos produits et de nos services, l’efficience et l’efficacité du travail, les individus qui utilisent au mieux leurs talents et, enfin et surtout, le travail d’équipe.

Michel Moortgat : se diversifier ou mourir

Michel Moortgat
Michel Moortgat© PG – AMY ELLEBOOG

Michel Moortgat, le patron de la brasserie Duvel Moortgat, s’est retrouvé très jeune à la tête de l’entreprise après le décès de son père et, moins d’un an plus tard, de celui de son oncle qui lui avait succédé. La nouvelle génération de la famille Moortgat veut lancer la société dans de nouveaux développements. Michel Moortgat explique à Fons Van Dyck comment le management s’est fixé ses nouveaux objectifs.

” Nous avions un produit à succès, la Duvel (en plus de la Belpils et de la Maredsous), qui représentait 95 % des ventes. Et nous avions un beau territoire commercial : la Belgique. Mais cela comportait des risques, car si Duvel perdait les faveurs du consommateur belge – et le marché de la bière est un marché cyclique, donc ce n’était pas impensable – nous n’étions présents nulle part ailleurs. Nous avons dû nous diversifier, tant sur le plan géographique qu’en termes d’exportations et d’acquisitions. (…)

Nous nous sommes principalement concentrés sur les marchés de la bière mature. Des marchés où le volume n’augmentait plus, mais où les gens se tournaient de plus en plus vers les bières spéciales. C’était notre domaine. Nous ne voulions pas être en concurrence avec les gros joueurs sur le prix et le volume. Nous visions la qualité, un volume moindre, des marges plus élevées. Les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont devenus nos marchés prioritaires. Et il s’est avéré plus tard que nous avons eu raison. “

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