Mobilité: Octa+ entame sa révolution vers l’électrique

L'OCTA+ HYBRIDCARD, bientôt disponible, permettra de s'approvisionner à la fois dans les stations-service d'Octa+ et de ses réseaux partenaires, ainsi que dans près de 500 points de recharge électrique. © PG

Les dirigeants d’Octa+ entrevoient le déclin des stations-services et prennent les devants. Le groupe a ainsi racheté un réseau de bornes de recharge pour voitures électriques, Blue Corner, et vient de lancer une carte pour gérer un budget mobilité, Modalizy.

Les réseaux de distribution d’essence se font plutôt timides dans le créneau de la recharge de voitures électriques. Le belge Octa+ fait toutefois exception à la règle. L’été dernier, il a pris le contrôle du premier réseau de recharges publiques, Blue Corner, et sort dans les semaines qui viennent une carte de carburant mixte, l’Octa+ Hybridcard. Celle-ci permettra de s’approvisionner à la fois dans 1.700 stations-services (d’Octa+ et des réseaux partenaires), ainsi que dans près de 500 points de recharge électrique.

Octa+, numéro un des distributeurs de carburant indépendants en Belgique, aborde bien à temps le marché de la motorisation électrique. En Belgique, le parc de ce type de véhicules ne compte guère que 4.000 à 5.000 unités sur un total de 5,6 millions d’automobiles en circulation. Cet intérêt d’Octa+ pour l’électrique est le signe d’une lente reconversion. Etienne Rigo et son alter ego Thierry Van Coppenolle, à la tête d’Octa+, sont persuadés que les stations-services n’ont pas beaucoup d’avenir. ” Cela fait déjà quelques années que le marché stagne en Belgique “, relève Etienne Rigo. Le parking du siège d’Octa+, à Vilvorde, est résolument tourné vers l’avenir : il est couvert de bornes Blue Corner, notamment pour les voitures électriques mises en pool.

Toujours moins de stations-service

” Malgré un élargissement du parc automobile, la consommation s’est stabilisée car les nouvelles voitures consomment moins”, explique Etienne Rigo. C’est la conséquence des mesures de réduction d’émissions de CO2 pour les nouvelles voitures. Moins un moteur émet de CO2, moins ils consomme. ” Si l’on ajoute à cela que la concurrence s’est exacerbée, avec les pompes bon marché, on constate que les marges fondent comme neige au soleil”, poursuit le CEO.

Octa+ reste encore surtout un distributeur de carburant et vendeur de mazout de chauffage. Mais son réseau de stations-services se réduit. Il avait atteint 215 points de vente mais n’en compte actuellement plus que 170. Il représente environ 5 % du marché des pompes et 3,5 % du marché du carburant.

“Il faut tuer père et mère… “

Étienne Rigo.
Étienne Rigo.© PG

Etienne Rigo et Thierry Van Coppenolle ont cherché à diversifier les activités en entrant, en 2010, dans le marché de l’énergie pour le grand public. ” Nous touchons 125.000 compteurs de gaz et d’électricité “, précise Etienne Rigo. La stratégie marketing d’Octa+ joue sur le prix et propose un système de points qui permet aux clients gaz/électricité d’obtenir un rabais sur l’essence ou le diesel.

Les associés sont satisfaits de leur position, mais se sont aperçus qu’ils arrivent déjà à un plafond. ” Il faut tuer père et mère pour attirer de nouveaux clients “, constate Etienne Rigo. Les parts de marché supplémentaires sont chères. La maison joue sur sa petite structure à bas coûts pour fidéliser les clients existants. ” Notre force par rapport à nos concurrents repose sur l’efficacité de la gestion, car la vente d’énergie implique beaucoup de travail administratif, un call center, etc. ” Les parts de marché sont modérées, 3 % au mieux à Bruxelles.

Les ambitions dans la recharge électrique

Il faudra encore attendre deux ou trois ans avant de dire que c’est gagné.” Etienne Rigo, co-CEO d’Octa+

Puisque l’énergie n’offre plus de grandes perspectives de croissance, Octa+ parie sur les motorisations du futur et leur approvisionnement. Ses finances le lui permettent car l’entreprise, réputée pour sa gestion disciplinée, a les moyens d’investir. Elle a donc investi l’été dernier dans Blue Corner. Fondée en 2011, elle commercialise et installe des bornes de recharge pour voitures, vélos et scooters électriques. L’opération ne vise pas à garnir les stations-services Octa+ de bornes. ” Les voitures se rechargent au bureau, à la maison, sur un parking, explique Etienne Rigo. Les stations-services sont moins indiquées car il n’y a pas l’espace pour recevoir beaucoup de voitures. Ce ne sont pas des endroits où l’on a envie de rester, un plein de carburant dure deux à trois minutes. ” Si les bornes d’une station sont occupées, les autres automobilistes ne vont pas attendre 30 minutes ou une heure pour pouvoir recharger leur véhicule. Le rythme de recharge est aussi spécifique. Sur un mois, un automobiliste fait le plein deux fois en moyenne, une voiture électrique va se brancher 50 fois à une borne.

Blue Corner est le premier acteur du marché de la recharge publique, avec plus de 50 % des bornes en Belgique (surtout en Flandre). L’investissement reste un pari car le futur est incertain, le rythme d’adoption des voitures électriques reste un point d’interrogation. ” Il faudra encore attendre deux ou trois ans avant de dire que c’est gagné “, reconnaît Etienne Rigo. Blue Corner a fait des tas d’hypothèses. ” Mais si ça marche, on aura fait une très belle opération “, ajoute l’administrateur. Il est encouragé par les annonces importantes du groupe VW ou de Daimler dans de nouvelles générations de voitures électriques à grande autonomie, qui pourraient faire décoller le secteur du véhicule électrique dans la décennie à venir.

Professionnel de la carte de carburant, Etienne Rigo réfléchit moins en termes de bornes que de service. D’où la carte Octa+ Hybrydcard, qui permettra de gérer les flottes de voitures mixtes, en ouvrant l’accès à la fois aux pompes à carburant et aux bornes publiques. Il songe aussi à adapter le service de carte à la recharge à domicile. Pour le moment, c’est un souci pour les voitures de société où la carte de carburant fait partie du service, mais ne couvre pas les recharges électriques à domicile. ” On doit pouvoir arriver à mettre sur la même facture les pleins de carburant, les recharges sur bornes publiques et les recharges à domicile, par split billing, sans devoir être obligatoirement client d’Octa+ pour le gaz/électricité “, poursuit Etienne Rigo.

Entrer dans le marché du budget mobilité

Cette évolution vers les services se manifeste aussi avec la dernière diversification d’Octa+ : la carte de mobilité Modalizy, lancée en janvier dernier. Il s’agit d’une carte gérant les paiements de différents services de mobilité : transports en commun, taxis, vélos partagés, parking. Elle anticipe le cadre légal et fiscal du budget mobilité promis par le gouvernement, qui permettra aux entreprises de financer différents modes de déplacement sans se cantonner à la voiture de société. Plusieurs prestataires ont déjà signé un accord avec Modalizy, à savoir eCab (Taxi Vert), De Lijn, Villo !, Interparking et bientôt la SNCB. La liste devrait s’allonger. Le service prévoit une application pour smartphone permettant de localiser les services de mobilité à proximité. Octa+ mise sur la flexibilité pour séduire les entreprises, avec des formules de budgets à la carte. Il est possible de prévoir pour certains salariés un budget global incluant carburant et services de mobilité, et pour d’autres des budgets séparés. Octa+ a logé l’activité Modalizy dans une société distincte afin de laisser la porte ouverte à des partenaires, comme des sociétés de leasing automobile.

Modalizy n’est pas le premier sur ce marché, mais tout doit encore y être construit. La SNCB a fondé l’an passé une spin-off, Olympus, avec des loueurs (ALD, Belfius Lease et KBC Lease), qui propose de combiner leasing auto et transports en commun. Il y a aussi XXImo, de Sodexo. ” J’avais songé faire une carte Octa+ Mobility Wallet, mais utiliser la marque Octa+ aurait été réducteur, donc nous avons choisi un nom distinct, et comme beaucoup de noms débutant par ‘mobile’ étaient pris, on a trouvé que Modalizy, ça sonnait bien “, indique Etienne Rigo.

De Becquevort à Octa+

1881. Création de Becquevort. C’est le premier élément constitutif du groupe Octa+, actif à l’origine dans la collecte d’immondices, avant de passer à la distribution de charbon.

1945. Rachat par la famille Rigo. Becquevort est rachetée par Gérad Rigo, père d’Etienne Rigo, actuel co-CEO. Il la lance rapidement dans un nouveau business : le distribution de mazout.

1986. Lancement des stations-services. La seconde génération Rigo entre en piste en 1976, avec Etienne qui a obtenu un diplôme de gestion à la Louvain School of Management (UCL). Il devient CEO en 1985 et lance une activité de stations-services et une carte de carburant.

1995. Becquevort devient Octa+. Le nom, plus simple, colle mieux à la description des activités qui évoluent vers la distribution de carburant.

1999. Fusion avec Brouw. L’opération permet d’agrandir l’activité de stations-services. La famille Rigo reste majoritaire, mais le patron de Brouw, Thierry Van Coppenolle, devient co-CEO d’Octa+, en charge des stations-services, de la logistique, des RH, tandis qu’Etienne Rigo gère les cartes de carburant, les finances, l’informatique, Modalizy. Les deux associés s’occupent ensemble de Blue Corner. Un fils d’Etienne Rigo, Xavier, a depuis lors rejoint le tandem pour gérer la vente de mazout de chauffage et d’électricité/gaz.

2010. Lancement de la distribution de gaz et d’électricité. Octa+ cherche à surfer sur la libéralisation de ces marchés.

2016. Prise de contrôle de Blue Corner. Octa+ rachète la majorité des parts du numéro un de la borne de recharge de voiture électrique en Belgique.

2017. Lancement de la carte mobilité Modalizy. Il s’agit d’une carte de paiement réservée aux services de mobilité (transports en commun, vélos partagés, taxis, etc.).

2017. Lancement de la carte hybride carburant/électricité.

Des finances solides
Mobilité: Octa+ entame sa révolution vers l'électrique
© DR

Octa+ a les moyens de sa reconversion. C’est l’avis de Pascal Flisch, research and business developement manager de Roularta Business Information (1), qui a analysé pour Trends-Tendances les derniers comptes disponibles, à savoir ceux de 2015. “C’est un beau groupe, bien solide”, explique-t-il.

Bonne solvabilité. Les fonds propres, de près de 25 millions d’euros, représentent environ 30 % du total du bilan (84 millions d’euros), ce qui est correct. C’est encore mieux si l’on tient compte du fait que les dettes à long terme seront remboursées en 2017.

Rentabilité correcte pour le secteur. Le résultat net de 2015 (13,7 millions d’euros) est augmenté par une vente d’actifs. “Il y a bien sûr un revenu exceptionnel de 10,3 millions d’euros, mais le résultat opérationnel est en net redressement : 4,4 millions d’euros contre 3,2 millions en 2014, note Pascal Flisch. Et ce, dans un contexte assez difficile pour les distributeurs d’énergie. C’est une belle performance.”

Les fournisseurs financent Octa+. Comme d’autres distributeurs dans d’autres domaines (les chaînes de supermarchés, par exemple), les clients paient avant que les fournisseurs ne soient réglés. “En d’autres termes, ils financent complètement (et même bien plus) le cycle commercial du groupe”, explique l’expert.

Les finances permettent des acquisitions. La santé financière saine et le financement par les fournisseurs constituent “une opportunité pour de nouveaux investissements”. “Au prix actuel du crédit, il y a une base solide pour lancer un nouveau projet”, conclut Pascal Flisch.

C’est du reste ce qui est arrivé l’été dernier avec la prise de contrôle de Blue Corner, active dans les bornes de recharge électrique. Opération qui, au plan financier, reste un pari, car elle est encore déficitaire (-445.675 euros en 2015), et toujours en phase d’investissement dans un marché en plein démarrage. Le risque pris sur l’entreprise (achats d’actions et prêts à long terme) représente environ 2 millions d’euros sur cinq ans.

(1) Roularta Business Information est un département de Roularta Media Group, éditeur de “Trends- Tendances”. Il commercialise des services d’information pour gérer les risques sur les partenaires commerciaux.

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