Près de 2.000 emplois menacés chez Proximus: Pourquoi une mesure aussi drastique?

Dominique Leroy © BELGA

L’opérateur historique pourrait supprimer 2.000 emplois. Pourquoi l’entreprise envisage-t-elle une mesure aussi drastique, qui toucherait un travailleur sur six ?

Une commission paritaire extraordinaire est convoquée ce jeudi 10 janvier. La direction de Proximus y expliquera aux représentants syndicaux le contenu de son plan de réorganisation. Celui- pourrait toucher 2.000 emplois au sein de l’entreprise publique, d’après Bart Neyens (CGSP). Ce dernier se base sur des “bruits de couloir” inquiétants pour l’avenir du personnel. Le ministre de l’Economie Kris Peeters évoque quant à lui 1.900 départs.

A cette heure, rien n’est confirmé ni infirmé par l’entreprise. Mais la suspension du cours de bourse de Proximus, le mutisme de l’entreprise sur le sujet, la convocation de la CEO Dominique Leroy par le Premier ministre et l’organisation en toute hâte d’une commission paritaire ad hoc sont autant d’indices qui laissent présager un plan d’économies de grande ampleur.

Quelles raisons pourraient expliquer une telle mesure ?

  • Des coûts salariaux non maîtrisés

En 2014, six mois après sa prise de fonction à la tête de Proximus, Dominique Leroy était interviewée par Trends-Tendances. D’emblée, la nouvelle CEO annonçait son objectif : le retour à la croissance. “Pour y arriver, il faudra rendre la société plus flexible et plus simple, afin d’améliorer l’expérience clients, tout en réduisant la structure de coûts”, nous expliquait Dominique Leroy.

Pas simple, alors que le coût du personnel est quasiment deux fois plus élevé chez Proximus (ex-Belgacom) que chez son grand concurrent Telenet. Réponse de Dominique Leroy : “Ces coûts sont effectivement très importants chez Belgacom et cela provoque un désavantage concurrentiel pour nous. Avec les syndicats, nous devons voir comment réduire ces coûts. Mon objectif, c’est de commencer aujourd’hui, tant qu’on a les moyens de le faire, de manière graduelle et socialement responsable, dans le dialogue. C’est nécessaire pour la survie à long terme de la société.”

A l’époque, en 2014, une autre société belge emblématique traverse des difficultés qui mèneront au départ de 1.800 personnes (2.500 annoncées initialement). Cette société, c’est Delhaize. Et Dominique Leroy n’hésite pas à critiquer la posture jugée attentiste du distributeur : “Si on ne le fait pas (NDLR réduire les coûts salariaux), nous nous retrouverons potentiellement dans la situation de Delhaize. Pendant des années, Delhaize n’a pas pris ce genre de décision. A un moment, le marché les rattrape et ils doivent aller vers un plan social drastique, qui peut faire très mal. Je voudrais éviter que cela arrive chez Belgacom.”

Dominique Leroy dans les couloirs de Proximus.
Dominique Leroy dans les couloirs de Proximus. © Roger Job

Dominique Leroy trace alors sa feuille de route : réduire progressivement la structure de coûts. C’est ainsi que des plans de départs sont négociés avec le personnel. Le plan social et les licenciements secs sont évités, au profit de solutions de départs à la retraite “anticipée”. Malgré des réticences dues à la suppression des régimes “classiques” de prépension, un plan de départ négocié par Proximus est avalisé par le gouvernement en 2016, par ailleurs actionnaire majoritaire de l’opérateur. Ce plan, qui concerne les membres du personnel de 60 ans et plus, arrivera à son terme fin 2018. D’après le représentant syndical Philippe Daxhelet (CSC Transcom), il concerne environ 500 personnes sur la période 2018-2019.

Ce sont essentiellement des membres du personnel statutaires, qui ont un statut comparable aux fonctionnaires de l’ex-RTT (ancêtre de Belgacom et Proximus). Ils représentent encore aujourd’hui un quart du personnel, mais sont majoritaires dans les tranches d’âge supérieures. Ils coûtent plus cher à la société, notamment en raison de leur ancienneté.

En 2014, Dominique Leroy est persuadée que ce type de plan de réduction des coûts salariaux peut se faire en douceur, en bonne entente avec le gouvernement. Avec pour objectif d’éviter à tout prix un plan social radical : “Nous avons du temps pour réduire graduellement notre structure de coûts, parce que l’on a un actionnaire de référence stable et que la société est profitable. Mais il faut absolument démarrer maintenant. L’alternative, c’est de faire dans cinq ans un plan de restructuration drastique.”

Cinq ans plus tard, en 2019, c’est vers cette alternative que la société semble se diriger. Ce serait un fameux constat d’échec pour la CEO de Proximus.

  • L’arrivée d’un quatrième opérateur mobile

L’arrivée d’un quatrième opérateur mobile, c’est une idée de l’ex-ministre des télécoms Alexander De Croo (Open VLD) – qui a depuis le départ de la N-VA été remplacé par son collègue Philippe De Backer. Elargir le marché à quatre opérateurs, c’est une manière de renforcer la concurrence sur le marché avec un objectif simple, tirer les tarifs vers le bas.

Les opérateurs en place, notamment Proximus, sont extrêmement critiques sur cette mesure. Un quatrième opérateur viendrait forcément casser les prix et chiper des parts de marché. Si leurs revenus devaient être entamés, Proximus, Orange et Telenet évoquent un risque qui pèserait sur les investissements nécessaires dans le réseau… mais aussi une menace sur les emplois. En France, les opérateurs en place (Orange, SFR, Bouygues) ont souffert de l’arrivée de Free, et ont tous réduit leurs effectifs dans la foulée.

En décidant de réduire (drastiquement ?) la voilure, Proximus anticiperait en quelque sorte l’arrivée d’un quatrième opérateur.

L’explication est étonnante.

Premièrement, rien ne dit qu’un quatrième opérateur débarquera en Belgique. Certes, le gouvernement a mis sur la table des conditions favorables à ce nouvel entrant. Mais il devra quand même consentir d’importants investissements pour déployer à terme un nouveau réseau mobile. Et vu la taille limitée du marché belge, la rentabilité d’un quatrième opérateur est sujette à discussions.

Deuxièmement, cela paraît un peu tôt pour prendre de telles mesures. L’arrivée d’un quatrième opérateur n’est pas pour demain. Les nouvelles licences mobiles n’ont pas encore été mises aux enchères. Quant au déploiement technique et commercial d’un nouvel entrant, il pourrait prendre plusieurs années.

En France, l’arrivée de Free a forcé les autres opérateurs à licencier du personnel, en raison d’une réduction de leurs activités, liée à des pertes massives de clients. Du côté de Proximus, on en est loin. Les clients sont toujours là. Et la société ne se porte pas mal. Sur les cinq dernières années, son chiffre d’affaires annuel s’est stabilisé aux alentours de 6 milliards d’euros, avec un EBITDA tournant autour de 1,7 milliard d’euros.

  • Un plan de digitalisation

Proximus entame un chantier baptisé “Shift To Digital”. Pour la CEO Dominique Leroy, interrogée par nos confrères de l’Echo en décembre dernier, il s’agit de devenir une véritable “alternative à Google ou Facebook”. Proximus veut servir de porte d’entrée aux consommateurs de produits et services numériques.

C’est aussi ce que nous expliquait Guillaume Boutin, responsable de la division consommateurs chez Proximus, en juillet dernier : “Tout ce que nous faisons doit être pensé mobile first et digital first. Cela va nous permettre d’être un opérateur centré sur la connectivité, proposant à nos clients une véritable expérience d’usage des contenus, qui va au-delà du simple envoi de SMS ou de la réception d’appels téléphoniques. Les consommateurs ont aujourd’hui accès à des expériences digitales qui sont incarnées par les pure players du Web, le plus souvent américains. Nous devons devancer cette attente et ne pas agir en suiveurs. Depuis trois ans, Proximus est le seul opérateur en Belgique à proposer Netflix sur la télévision. Maintenant, nous devons pouvoir proposer avec les acteurs locaux des offres qui soient, en termes de qualité, du niveau de celle de Netflix.”

Bref, Proximus veut se réinventer. Et chercher de nouveaux relais de croissance dans le digital. Cela nécessitera probablement de nouveaux profils, en remplacement de fonctions plus centrées sur le métier “traditionnel” d’opérateur télécom.

Ce plan de transformation digitale s’accompagne aussi de mesures d’ “optimalisation” des process internes. Comme dans tous les secteurs, Proximus ambitionne d’automatiser un maximum de tâches, afin de réduire les coûts. Comme dans le secteur bancaire, les plans de digitalisation s’accompagnent souvent de pertes d’emploi. C’est sans doute là aussi qu’il faut chercher des explications à ce plan social annoncé et redouté par le personnel.

“Nos délégués syndicaux sont saturés de questions venant des membres du personnel, réagit Laurent Malengreau (CGSP). Nous espérons que Proximus communiquera bientôt sur le sujet, mais nous sommes inquiets. Si c’était faux, ils auraient déjà démenti. Nous espérons qu’il s’agit simplement de prolonger le plan de départ qui se termine en 2019.” Philippe Daxhelet (CSC-Transcom) prévient : “Si des licenciements secs sont prévus, il y aura des actions.”

  • Satisfaire les actionnaires ?

Le cours de bourse de l’entreprise est actuellement suspendu, en l’attente d’une communication de Proximus sur le sujet. Un plan d’économies pourrait être accueilli favorablement par les marchés. Si le plan vise à mettre l’entreprise sur de nouveaux rails et la positionner idéalement sur le marché mouvant des télécoms (lire le point suivant, préparer le futur), les actionnaires de Proximus pourraient y trouver leur compte.

Sauf que…

Sauf que l’actionnaire majoritaire (à 53 %) de Proximus, c’est l’Etat belge. Et cet actionnaire particulier n’est pas très heureux de ne pas avoir été sollicité au préalable sur ce plan de départ par la direction de l’entreprise. C’est ce qui explique la convocation sine die de la CEO Dominique Leroy par le premier ministre démissionnaire Charles Michel.

Bien sûr, l’information n’était pas censée fuiter. Mais cet épisode ressemble bien à une bourde majeure de la part de la CEO Dominique Leroy.

L’Etat n’est pas un actionnaire comme les autres. Il souhaite que l’entreprise tourne et génère des profits, afin d’alimenter ses caisses en généreux dividendes. Dans le même temps, il n’hésite pas à prendre des mesures qui flattent l’électeur – consommateur (comme la porte ouverte à un quatrième opérateur)… mais qui arrangent moins les affaires de Proximus.

Enfin, l’Etat actionnaire a passé un contrat “moral” avec l’entreprise : pas de remous sociaux. C’est ce qui explique que le gouvernement a accepté en 2016 que Proximus procède à une certaine forme de prépension, alors même que ce régime était remis en cause. Si ce contrat “moral” est rompu, l’actionnaire majoritaire, même si c’est un gouvernement démissionnaire, risque de ne pas être très heureux.

  • Préparer le futur

Les chiffres de Proximus sont bons. L’opérateur historique maintient sa position de leader sur le marché belge des télécoms : entre 40 % et 50 % de parts de marché selon les dernières estimations de l’IBPT. Si l’on se réfère au marché du fixe pour les clients résidentiels, Proximus occupe également une belle place de leader à Bruxelles et en Wallonie, avec plus de 60 % de parts de marché. Telenet domine la Flandre, où Proximus s’en sort avec environ 35 % de parts de marché.

Mais le futur pourrait être moins rose. Nous avons évoqué plus haut l’arrivée possible d’un quatrième opérateur mobile. Et les concurrents établis n’ont pas dit leur dernier mot. Telenet fourbit ses armes à Bruxelles et espère un jour attaquer le marché wallon. Orange se profile comme un challenger audacieux, dont l’offre convergente commence à séduire les consommateurs belges (déjà plus de 150.000 clients).

“Les concurrents sont assez agressifs, estime Stefaan Genoe, analyste spécialisé en télécoms chez Degroof-Petercam. Et le risque de voir arriver un quatrième opérateur mobile est réel.” Pour se défendre dans cet environnement potentiellement menaçant, il est logique que Proximus cherche à prendre des mesures d’économie, poursuit l’analyste : “Proximus a de bons chiffres aujourd’hui, atteste Stefaan Genoe. Mais l’entreprise doit assurer sa rentabilité sur le long terme. Pour rester compétitif, Proximus peut certainement encore faire des améliorations et simplifier sa structure.”

L’analyste souligne que les autres opérateurs cherchent aussi à “optimiser” leur fonctionnement en interne. Lors de leurs dernières journées d’information aux investisseurs, tant l’opérateur néerlandais KPN que Telenet ont vanté les mérites d’une structure plus “légère” : “Le mot d’ordre de ces deux entreprises est la simplification de leur organisation”, explique Stefaan Genoe.

Chez Proximus, le défi est encore plus grand. L’ex-Belgacom est un paquebot comptant 12.000 collaborateurs. Il y a 25 ans, c’était le double ! Le personnel a donc déjà subi une forte cure d’amaigrissement, mais toujours via des systèmes de reclassement, de réorientation ou de prépension.

La problématique actuelle est complexe. Proximus a une masse salariale beaucoup plus importante que celle de ses concurrents directs, qui redoublent d’effort pour lui grappiller des parts de marché. En même temps, un opérateur télécoms se doit d’investir continuellement dans son infrastructure, pour proposer à ses clients une connectivité sans faille et des débits capables d’aspirer la consommation toujours croissante de services en ligne (vidéos, streaming, messageries, internet des objets, etc.).

Le secteur évolue et les métiers “historiques” des télécommunications perdent en importance au profit des nouveaux métiers orientés vers le numérique. “Les profils IT, orientés notamment sur le logiciel, gagnent en importance, au détriment des profils techniques traditionnels”, pointe Stefaan Genoe.

La direction de Proximus semble vouloir accélérer cette mutation, quitte à faire de la casse sociale.

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