“Ligue du LOL”: sur les réseaux sociaux, une violence bien ancrée

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Vagues de harcèlement, insultes sexistes, racistes: l’ambiance toxique des réseaux sociaux, au coeur du scandale en France de la “Ligue du LOL”, s’est installée à la fin des années 2000, au moment même où, paradoxalement, ces réseaux contribuaient à libérer la parole.

“Sur TF1 (chaîne de télévision, ndlr), donc, y’a une fille qui mériterait de se faire violer par un cheval et tabasser par Mike Tyson”, twittait en 2009 le journaliste Alexandre Hervaud, suspendu depuis par son journal, Libération. “Azy j’kiff Hitler, yakwa?”, twittait de son côté Stephen des Aulnois, qui vient de mettre en pause son blog sur le porno.

L’un et l’autre ont été rattrapés ces derniers jours par leur passé de cyberharceleurs au sein de la “Ligue du Lol” qui réunissait une trentaine de journalistes et communicants ayant accablé d’autres journalistes et blogueurs, en particulier des femmes et des militantes féministes, dans le petit milieu du Twitter parisien du début des années 2010.

Les horreurs lancées comme des bons mots renvoient à une “culture du lol” (pour “laughing out loud”, rire à gorge déployée) analysée entre autres par la sociologue Monique Dagnaud. Avec son humour particulier, ses communautés, ses raids contre une victime désignée, ses conversations en continu, cette culture a façonné le ton des conversations sur les réseaux sociaux, toutes générations confondues.

“La lol culture, c’est se présenter avec autodérision, être prêt à se damner pour un bon mot. On crée une communauté de rieurs et l’humour devient un cache-sexe: on tolère alors des propos intolérants”, explique Arnaud Mercier, professeur en communication politique.

Aux débuts de Twitter, “on était dans un contexte de Far West, avec un environnement assez peu régulé”, souligne-t-il. “Chacun poussait les limites de l’objet avec le sentiment de faire partie des ‘happy few'”.

Dérapages en tout genre

Depuis, des tweets ont passé sous les ponts, ponctués de crises qui ont débarqué “IRL” (“in real life”). Aux États-Unis en 2014, un débat sur les liens entre journalistes et créateurs de jeux vidéo s’était transformé en menaces de viol et de meurtre contre une développeuse indépendante (l’affaire du “Gamergate”).

En 2017 en France, un jeune chroniqueur de la radio publique France Inter, Mehdi Meklat, a dû se mettre en retrait après qu’eurent remonté ses milliers de messages antisémites, homophobes, racistes et misogynes, publiés sous pseudo.

Les scandales liés à #MeToo ont occasionné une prise de conscience et une analyse a posteriori des conséquences du harcèlement pour certaines des victimes, sur la construction de leur personnalité, leur carrière.

Selon la journaliste Marie Kirschen, “avec d’autres, la Ligue du LOL a contribué à faire de Twitter un terrain d’entre-soi masculin, hostile aux femmes (a fortiori féministes), aux personnes racisées, aux LGBTQI, aux hommes qui ne sont pas dans la masculinité toxique…”

Cour de récré

“Je n’ai pas vu que nous avions fait taire, avec nos blagues, les premières paroles féministes quand elles sont apparues sur les réseaux en 2011-2012”, a regretté le fondateur du groupe Facebook “Ligue du LOL”, Vincent Glad, dans un message d’excuses.

Dans le secteur des médias français, le site Vice comme le Huffington Post ont licencié des responsables accusés d’avoir importé cet esprit au sein de leur rédaction, excluant et insultant notamment des collègues féminines.

Pour respirer un air moins vicié, de nombreuses personnalités ont décidé de se mettre en retrait des réseaux sociaux, où les joutes se poursuivent sans elles.

Pour ceux qui décident de rester, le gouvernement français prépare pour 2019 une loi consacrée à la lutte contre la haine sur internet, qui pourrait se baser sur un rapport d’une députée de la majorité Laetitia Avia. Parmi les voies envisagées: responsabiliser les plateformes de réseaux sociaux pour qu’elles suppriment plus vite les contenus haineux et faciliter les dépôts de plainte. Certains voudraient aussi mettre fin à l’anonymat sur les réseaux.

L’affaire “Ligue du LOL” sera-t-elle à même de faire évoluer les consciences? “Avant, on pouvait dire qu’on ne savait pas. Qu’on n’imaginait pas qu’un simple commentaire sur un forum puisse mener au tribunal”. C’est ce qu’écrivait Vincent Glad dans Libération fin 2018 en tirant le portrait de Nadia Daam, une des premières victimes à faire condamner des internautes harceleurs.

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