La logistique, secteur stable mais en pleine mutation

L'entrepôt classique reste le modèle dominant. © pg

Le marché de l’immobilier logistique connaît un boom sans précédent… chez nos voisins. Courtiers et promoteurs pointent du doigt, entre autres, les aléas de la politique belge en matière de permis, “impossible à expliquer à nos clients étrangers”.

Les promoteurs et investisseurs belges actifs dans l’immobilier logistique sont impressionnés par les chiffres réalisés à l’étranger. Outre les usual suspects comme WDP, Montea et VGP, des acteurs tels que Intervest, Heylen Warehouses et MG Real Estate lorgnent de plus en plus les pays voisins. En attendant, le marché belge sous-performe. Comment expliquer cette dichotomie ? Que se passe-il sur le marché de l’immobilier logistique ? Pour le comprendre, cinq constats s’imposent.

1. Résultats en berne

Dans son bilan des trois premiers trimestres, le consultant immobilier JLL cite le chiffre de 396.000 m2, soit 32 % de moins qu’en 2017 pour la même période et 12 % de moins que la moyenne quinquennale. ” Insuffisant, estime Jo De Wolf, CEO de Montea. D’autant plus que l’économie reprend des couleurs. Chez nos voisins, l’immobilier logistique occupe toujours une place aussi importante, confirme Walter Goossens, directeur du département immobilier logistique de JLL. En Allemagne, il représente 4 millions de m2, en France 1,6 million de m2 et aux Pays-Bas près de 2 millions de m2. ”

Jo De Wolf précise par ailleurs que les résultats belges incluent une demande assez importante de remplacement alors que le marché néerlandais est boosté par de nouvelles demandes. ” Les raisons de la stagnation du marché belge sont bien connues, commente-t-il. Problèmes de mobilité, coûts salariaux élevés, réglementation très stricte en matière de travail de nuit, etc. Le gouvernement a bien pris des initiatives positives mais trop peu, et trop tard. ”

Xavier Van Reeth, à la tête du département immobilier logistique de CBRE, n’est pas entièrement d’accord avec cette analyse assez pessimiste. ” Le marché connaît un certain regain d’intérêt, confie-t-il. Nous enregistrons davantage de demandes, nous faisons plus de visites. Sur un marché relativement restreint, une transaction importante fait parfois une sacrée différence. ” Selon Walter Goossens, le nombre de transactions reste stable : ” Nous enregistrons actuellement 38 transactions, soit deux de plus qu’en septembre 2017. Autrement dit, on ne s’ennuie pas. Même si le montant des transactions est nettement moins élevé que les années précédentes. ”

Manutention de fret à Brussels Airport En matière d'immobilier logistique, les aéroports agissent comme des aimants.
Manutention de fret à Brussels Airport En matière d’immobilier logistique, les aéroports agissent comme des aimants.© Photos pg

2. Les grands acteurs délaissent la Belgique

La faible représentativité de la logistique s’explique en grande partie par l’absence de nouveaux acteurs importants sur le marché belge, de l’avis de Xavier Van Reeth. ” Les géants de l’e-commerce ignorent la Belgique, dit-il. Sur les huit deals que j’ai vus passer ces cinq dernières années, la Belgique était en concurrence avec les Pays-Bas. Tous ont fini par se concrétiser chez nos voisins du nord. ” La Belgique mord la poussière pour différentes raisons, dont celles évoquées par Jo De Wolf : mobilité, coûts salariaux et travail de nuit. Xavier Van Reeth cite un autre handicap : l’insécurité juridique. ” Les choses ne s’améliorent pas, déplore-t-il. Le bourgmestre, l’administration, le comité de quartier, etc. : il y a toujours quelqu’un pour freiner le dossier. Les objections sont tantôt fondées, tantôt farfelues du genre la couleur de la façade… Impossible à expliquer à nos clients étrangers. ” Confirmation de Walter Goossens : ” Nos hommes politiques poussent des hauts cris quand un acteur important choisit les Pays-Bas mais ils ne font rien pour que cela change. Le principal problème est l’absence de grands espaces logistiques en Belgique. Aux Pays-Bas, il existe des zones délimitées dévolues à ce type d’activités. L’obtention du permis y est quasi assurée si les règles en matière d’urbanisme sont respectées. Ce n’est pas le cas en Belgique. ”

Jo De Wolf pondère, se demandant pour sa part si les grands acteurs présentent un réel intérêt pour la Belgique. ” L’habitat est tellement dispersé chez nous qu’il est quasiment impossible de répondre aux demandes de grandes superficies. Supposons qu’Amazon ait besoin d’un entrepôt de 100.000 m2, où le bâtirions-nous ? Sur l’axe Anvers-Bruxelles, la meilleure solution consisterait à développer de petites plateformes régionales. Reste la périphérie de Liège et de Genk, où de plus grandes implantations sont possibles. ”

La taille des activités logistiques des géants de l’e-commerce ne joue en effet pas en faveur de la petite Belgique densément peuplée. ” Un hypermarché classique propose généralement 70.000 produits, rappelle Xavier Van Reeth. Amazon en offre 350 millions. ” Pas question de jeter l’éponge pour autant, insiste-t-il. ” Certains de ces grands centres de distribution créent plus d’emplois que les sites de haute technologie et de production automatisée. Qui plus est, le marché néerlandais montre des signes de surchauffe : congestion croissante, étroitesse du marché de l’emploi, prix en hausse. Cela pourrait jouer en notre faveur. ”

3. Les aéroports agissent comme des aimants

Un des géants de l’e-commerce, pourtant, s’intéresse à la Belgique. Au moins de juin, le chinois Alibaba a annoncé la possible création d’un centre de distribution à Liège. Un projet en bonne voie de concrétisation depuis que 4PX, filiale et sous-traitant d’Alibaba, y occupe 15.000 m2. La transaction pourrait être le premier signe tangible de l’implantation d’Alibaba dans notre royaume.

Ce n’est pas un hasard si un géant de l’e-commerce comme Alibaba a jeté son dévolu sur Liège. Avec son aéroport cargo, la Cité ardente a une longueur d’avance sur ses concurrentes. Xavier Van Reeth explique : ” La vitesse est déterminante pour l’e-commerce. Le transport par camion et par bateau est généralement trop lent. Liège présente en outre l’avantage d’autoriser les vols de nuit. Et les embouteillages y sont encore assez limités. ” La proximité des Pays-Bas et de l’Allemagne, deux débouchés importants, constitue un atout supplémentaire.

Brucargo a également le vent en poupe et Brussels Airport Company (BAC) vient d’annoncer un ambitieux programme d’investissement d’activités d’immobilier logistique ( lire l’encadré ” Un nouveau look pour Brucargo “). ” La vitesse a toujours été capitale pour la logistique, encore plus depuis l’arrivée de l’e-commerce “, ajoute Jeroen Govers, responsable du département immobilier de BAC.

EXEMPLE D'ENTREPÔT
EXEMPLE D’ENTREPÔT “CROSSDOCK ” Fourni cette année par Alinso pour Mainfreight à Gand, ce type de bâtiment convient pour la distribution capillaire : portes de chaque côté, nombreuses places de parking, situation au croisement de deux autoroutes.

4. Logistique et retail, même combat

” Sous l’influence de l’e-commerce, la logistique et le retail évoluent de plus en plus dans le même sens, constate Xavier Van Reeth. Les deux secteurs font exactement la même chose : travailler de telle manière que les produits soient disponibles pour les consommateurs. Mais grâce à l’évolution technologique et à l’e-commerce, la logistique représente une part toujours plus importante de la chaîne. ” Ce changement de rapport de forces a pour effet de booster l’immobilier logistique. Mais pour surfer sur cette vague, les promoteurs belges spécialisés dans ce secteur n’ont d’autre choix que de s’expatrier. D’autant que la médaille a son revers : les nombreuses difficultés rencontrées par l’immobilier commercial. ” L’impact se ressent surtout au niveau du shopping ‘fonctionnel’, précise Xavier Van Reeth, là où le shopping ‘expérience’ dans les grandes villes et les centres commerciaux est moins affecté. ” Et puis l’évolution technologique ne joue pas toujours en faveur de l’immobilier logistique. ” Bon nombre de nos clients expérimentent le predictive ordering, à savoir l’évaluation extrêmement précise des stocks nécessaires sur base des big data, poursuit Xavier Van Reeth. Ce qui leur permet de réduire les stocks et par conséquent, les espaces d’entreposage. ”

5. Nouveaux bâtiments en vogue

Il n’y a pas si longtemps, le mot d’ordre pour le développement de l’immobilier logistique était ” standardisation “. Sur base de quelques critères (minimums) relatifs à la superficie, la profondeur, la hauteur disponible, la portance des sols et le nombre de quais de chargement, les développeurs immobiliers construisaient des bâtiments très polyvalents mais aussi très uniformes. ” Du fait de l’automatisation croissante dans le segment logistique, les bâtiments deviennent très spécifiques “, constate Walter Goossens, qui cite l’exemple du nouvel entrepôt construit par Nike à Laakdal, entre Louvain et Turnhout, haut de 48 mètres. Même son de cloche chez Jean-Paul Sols, CEO d’Intervest : ” Le concept du bâtiment n’a plus rien à voir avec un entrepôt classique. Nike procède de manière inverse : il part du processus et le bâtiment n’est plus qu’une coquille. ” Et dans la distribution dite ‘capillaire’, pour le fameux dernier kilomètre, on constate aussi pas mal de changements. ” Chaque distributeur de colis – DHL, FedEx, DPD, GLS, PostNL, etc. – a sa propre typologie de construction “, note Xavier Van Reeth.

Selon Jean-Paul Sols, CEO, ces petits points de distribution locaux sont en fait ” l’avenir de l’immobilier logistique en Europe. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, c’est tout sauf un produit évident pour les développeurs. Car il s’agit d’opérations relativement modestes qui demandent beaucoup de temps et d’énergie pour l’acquisition de terrains souvent plus coûteux. C’est pourquoi certains promoteurs s’efforcent de développer un programme au niveau européen, pour que cela vaille la peine de le confier à une équipe. ” Comme le souligne encore Jean-Paul Sols, les projets de nouveaux entrepôts attachent plus d’importance à la partie bureau et à la qualité architecturale. ” Autrefois, les bureaux attachés à l’entrepôt étaient très basiques. Mais vu l’étroitesse actuelle du marché du travail, c’est une réalité que l’employeur ne peut plus se permettre. “

Un nouveau look pour Brucargo

La logistique, secteur stable mais en pleine mutation

Au mois de décembre, Brussels Airport Company (BAC) entamera la construction d’un nouveau bâtiment logistique d’environ 55.000 m2 (50.000 m2 d’entrepôt et 5.000 m2 de bureaux). Le bâtiment sera érigé à Brucargo West, un site en première ligne non encore bâti. Le développement fait partie du programme d’investissement de 100 millions d’euros pour la zone cargo annoncée par BAC au printemps. ” Les investissements s’inscrivent dans la vision stratégique 2040 de l’aéroport, explique Jeroen Govers. Conformément à cette vision, BAC doit poursuivre le développement non seulement de ses activités aéronautiques mais aussi d’autres activités telles que la logistique et l’immobilier commercial. ”

Brucargo est, après le port d’Anvers, le deuxième noeud logistique le plus important de Belgique. Mais une grande partie des bâtiments et de l’infrastructure est vétuste. ” Le plan vise à optimiser l’utilisation de l’espace et la mobilité “, poursuit Jeroen Govers. Les bâtiments les plus anciens seront systématiquement rénovés. Mais contrairement à ce qui se faisait auparavant, nous prendrons en charge le développement des activités cargo, de manière à mieux répondre et avec plus de flexibilité aux demandes et aux besoins de nos clients. Les activités cargo sont très importantes pour l’aéroport. Les entreprises actives dans ce domaine doivent être hébergées de façon optimale. ”

A en croire Jeroen Govers, l’importance des sites aéroportuaires dans les chaînes logistiques ira en grandissant. ” Les abords des aéroports sont très prisés. Nous sommes même en mesure de proposer un site à l’aéroport. Un gain d’efficacité inestimable pour les manutentionnaires de marchandises. ”

La vision stratégique 2040 de BAC attache également beaucoup d’importance au développement de l’aéroport comme centre économique doté d’un hub intermodal, de nouveaux bureaux, d’hôtels pouvant accueillir des congrès et d’autres services annexes. Selon Jeroen Govers, les bureaux ne concurrencent nullement l’immobilier logistique à l’aéroport. ” Ils ont tous deux leur place dans un aéroport international, clame-t-il. Ce sont des zones bien distinctes. Les bureaux seront implantés dans la zone Airport Business District, à l’autre extrémité de l’aéroport. Et il n’est pas prévu d’y organiser des activités cargo. “

L’avenir logistique de Ford Genk prend forme

GENK GREEN LOGISTICS La zone B de l'ancienne usine Ford va devenir un complexe logistique de 250.000 m2.
GENK GREEN LOGISTICS La zone B de l’ancienne usine Ford va devenir un complexe logistique de 250.000 m2.

Le réaménagement de la zone B de l’ancien site Ford à Genk débute ce mois-ci. Baptisée Genk Green Logistics, l’initiative d’Intervest/Groep Machiels et MG Real Estate prévoit la transformation des 42 hectares en un complexe logistique de quelque 250.000 m2.

Pour ce qui est du développement et des travaux d’assainissement, Genk Green Logistics collabore avec MG Real Estate et DEME. La construction du premier entrepôt de 20.000 m2 devrait débuter au premier trimestre 2019. ” Nous commencerons éventuellement à nos risques et périls, confie Jean-Paul Sols, CEO d’Intervest. Mais vu le grand intérêt pour le projet, je pense que la construction se fera sur commande. Le site est vraiment idéal pour l’immobilier logistique. La zone ne connaît pour ainsi dire pas d’embouteillages et l’autoroute permet de desservir l’intérieur du pays sans trop d’inconvénients. Par ailleurs, les prix des terrains sont très intéressants. Ils sont deux fois moins élevés que ceux demandés dans les régions comparables dans le sud des Pays-Bas. Autre atout : sa taille. Un terrain de 42 hectares offre de nombreuses possibilités. Les grandes entreprises logistiques n’ont guère d’autres alternatives. ”

La zone C (50 hectares) de l’ancien site Ford à Genk connaîtra elle aussi une affectation logistique. La société anonyme De Vlaamse Waterweg a conclu pour cette partie du site un contrat de concession avec Haven Genk (auquel participera également Group Michiels) et Essers. Cette zone, le long du canal Albert, est réservée aux utilisateurs finaux dont les activités ont un caractère fluvial. Une obligation qui n’incombe pas à la zone B de Genk Green Logistics. ” Nous comptons effectivement sur les entreprises privilégiant le transport par bateau, dit Jean-Paul Sols. La proximité du canal est un des atouts majeurs du site. ”

La zone A (5 hectares) abritera, elle, des fonctions communes ainsi qu’un domaine public.

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