Où investir en 2019? L’incertitude plane…

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L’incertitude atteint des niveaux records, ce qui n’est jamais bon pour les marchés. Taux, croissance, pétrole, Italie, Brexit, Trump, etc. : personne ne sait où cela va nous mener.

Rarement les stratégistes, les analystes et les gestionnaires de fonds n’ont été aussi désarçonnés que ces dernières semaines. ” La prévision est un art difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir “, avait dit un jour Mark Twain. Cette profonde vérité n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui.

Les marchés financiers vivent de l’anticipation. Mais aujourd’hui, les incertitudes se sont tellement accumulées qu’il est presque vain d’essayer de prévoir quoi que ce soit : le Brexit, la politique de Donald Trump, celle du gouvernement italien, la croissance chinoise, la poursuite de la hausse des bénéfices des grandes entreprises américaines et, plus spécialement, des géants technologiques comme Facebook ou Apple, l’évolution des taux d’intérêt, la soutenabilité de l’endettement de certains pays ou de certaines entreprises, la lutte contre le changement climatique, etc. : tout est sujet à caution.

” Une grande partie des effets les plus négatifs que l’on aperçoit aujourd’hui passe par le climat d’incertitude, abonde Anton Brender, économiste en chef du gestionnaire d’actifs Candriam. Et malheureusement, la montée du populisme dans plusieurs pays européens ou la poursuite à l’infini de négociations entre la Chine et les Etats-Unis ne sont clairement pas bonnes pour le business. Le risque qui pèse en raison de ce climat particulier est qu’il faille revoir les prévisions à la baisse. ” En résumé : l’indécision déclenche la morosité, laquelle accroît encore un peu plus la perplexité des acteurs économiques. Un cercle vicieux qui peut devenir très dangereux.

Il y a un élément neuf qui a enclenché la machine diabolique. C’est l’effritement de certains grands principes que l’on pensait gravés dans le marbre.

” L’aversion pour le risque est aujourd’hui très forte sur les marchés financiers et les causes de cette aversion – Brexit, ralentissement de la croissance, tensions géopolitiques, crise italienne, etc. – vont se prolonger “, affirme Patrick Artus, l’économiste en chef de la banque française Natixis. Or, une grande aversion pour le risque sur les marchés financiers est un danger pour la croissance économique mondiale, dit-il. Un tel climat provoque en effet des tumultes boursiers, qui plongent ceux qui possèdent des actions dans la morosité (c’est l’effet de richesse). Il chahute le marché des changes, ralentit les flux de capitaux et renchérit finalement les coûts de financement pour les entreprises (qui voudrait encore introduire une société en Bourse ?).

Certes, le hasard et l’inattendu ont toujours été présents et c’est d’ailleurs pourquoi les économistes sérieux rechignent souvent à prédire l’évolution d’une tendance financière. Il y a trop d’impondérables. Mais il y a un élément neuf qui a enclenché la machine diabolique. C’est l’effritement de certains grands principes que l’on pensait gravés dans le marbre.

Le grand désordre économique mondial

Peter Vanden Houte (ING Belgique)
Peter Vanden Houte (ING Belgique) ” Aux Etats-Unis, même si la Fed ne remonte plus beaucoup son taux, un affaiblissement de la croissance pour la fin de l’année 2019 apparaît de plus en plus probable. “© Photo News

Parmi ces certitudes que l’on pensait éternelles, la première à vaciller est la globalisation. Le président américain Donald Trump, en déclenchant une guerre commerciale tous azimuts, a fait surgir un grand désordre économique mondial. Ces derniers jours en ont donné une excellente illustration. Alors que les négociations entre Pékin et Washington reprenaient, le Canada, sur commission rogatoire américaine, arrêtait la fille du fondateur du géant chinois des télécoms Huawei, provoquant une tempête sur les Bourses mondiales déjà bien malmenées depuis le moins d’octobre.

” La guerre commerciale qui s’est engagée menace l’existence-même des chaînes de production globales “, observe Anton Brender. En effet, de l’automobile à l’ordinateur, la plupart des produits sont composés de pièces réalisées aux quatre coins du monde. Et dans ce petit jeu, le pays qui a le plus à perdre, c’est la Chine, ajoute-t-il. Quand les Etats-Unis importent des ordinateurs, des équipements télécoms ou des machines-outils, un cinquième des composants de ces produits provient désormais de Chine. Candriam a calculé l’impact si la guerre commerciale sino-américaine venait à entrer ” en phase trois “, autrement dit si les Etats-Unis levaient un droit de douane général de 25% sur les 267 milliards de dollars d’importations chinoises, et si la Chine répliquait. Dans ce scénario, le PIB chinois devrait accuser une réduction (par rapport à la normale) de près de 1,2% en 2019, contre ” seulement ” 0,3% aux Etats-Unis.

L’Europe, entre intégration et désintégration

Un autre grand principe qui se lézarde : l’intégration européenne, ébranlée par les coups de boutoir du Brexit et de la montée des populismes dans les pays de l’Union. Le dossier du Brexit est loin d’être clos. A l’heure de rédiger ces lignes, Theresa May vient de reporter sine die le vote crucial qui aurait dû avoir lieu au Parlement le 11 décembre, afin de se préparer au pire, c’est-à-dire à un rejet de l’accord par le Parlement britannique et donc à un hard Brexit.

Mais à côté de la situation difficile du Royaume-Uni qui n’a pas encore encaissé les véritables coups du Brexit, d’autres pays européens sont également en souffrance. Le principal d’entre eux est évidemment l’Italie, dont le gouvernement se refuse à appliquer les consignes d’austérité données par les institutions européennes, même si, ces derniers temps, il semblait ne pas vouloir chercher un combat frontal. ” Le fait que les Italiens ne veulent pas du tout sortir de l’euro est une bonne nouvelle, concède Peter Vanden Houte, économiste en chef d’ING Belgique. Mais l’Italie n’en demeure pas moins le talon d’Achille de la zone euro, et d’autant plus si l’économie fait du sur-place dans les prochaines années. ”

La situation italienne pourrait avoir des conséquences sur la politique européenne et, au pire, déclencher une nouvelle crise de la zone euro si le marché commence à douter de la solvabilité du pays. La Banque centrale européenne en est consciente. ” Puisqu’il ne faut pas attendre de fortes avancées en matière d’intégration budgétaire, la BCE devra continuer à jouer les pompiers, poursuit l’économiste en chef d’ING Belgique. ” Un nouveau TLTRO (des lignes de financement de long terme pour le secteur bancaire) paraît à ce titre une option de plus en plus réaliste en 2019, de même qu’une longue période de réinvestissement du portefeuille obligataire de la BCE. Il n’est donc vraiment pas encore question de parler de business as usual pour la politique monétaire “, dit-il.

Les problèmes causés par une faible croissance et des électorats fatigués de voir leurs revenus stagner et rejetant de plus en plus les vieux partis politiques dépassent bien entendu les frontières italiennes, comme on a pu le voir avec le mouvement des gilets jaunes qui secoue la France aujourd’hui.

Du coup, avec ces problèmes intérieurs et la baisse de la tonicité des exportations, les perspectives de croissance restent très mitigées en Europe. Goldman Sachs table sur 2% en 2018 et seulement 1,25% l’an prochain. C’est très peu si l’on considère les attentes pour les Etats-Unis (3% cette année, 2,5% l’an prochain) et cet écart de performance entre le Vieux et le Nouveau Continent explique sans doute la désaffection des grands investisseurs internationaux pour des actions européennes. Des actions qui sont pourtant bien moins chères (en termes de cours/bénéfices) que leurs congénères de Wall Street. Mais comme le soulignait un responsable de la stratégie de Goldman Sachs interrogé récemment par un de nos confrères de L’Echo : ” les valorisations (des actions européennes) sont relativement intéressantes mais nous sommes réticents à investir uniquement sur la base des valorisations. Ce qui est peu cher peut le devenir davantage encore. Les actions peuvent rester bon marché pendant longtemps “.

Le cycle américain mourra-t-il de vieillesse ?

Anton Brender (Candriam)
Anton Brender (Candriam) ” La montée du populisme dans plusieurs pays européens ou la poursuite à l’infini de négociations entre la Chine et les Etats-Unis ne sont pas bonnes pour le climat des affaires. “© PG

Une autre question concerne la longueur exceptionnelle du cycle américain. En mars 2009, on pourrait fêter, si tout va bien, une décennie de croissance, un record. Peter Vanden Houte rappelle une phrase qui avait conclu un jour une étude de la Réserve fédérale américaine (Fed) : ” les cycles de croissance meurent rarement de vieillesse “.

Plus longtemps dure la période d’expansion, plus fort est le risque de voir se creuser des déséquilibres, qui rendent le cycle économique plus fragile, rappelle-t-il. ” Aux Etats-Unis, la forte hausse des dettes, principalement des entreprises, fait que la croissance de l’économie américaine est de plus en plus sensible à des taux d’intérêt élevés. Dans ce cadre, même si la Fed ne remonte plus beaucoup son taux, un affaiblissement de la croissance pour la fin de l’année 2019 apparaît de plus en plus probable. ”

L’économiste en chef d’ING Belgique n’est pas le seul à envisager un essoufflement américain. Florence Pisani et Anton Brender, les économistes de Candriam, tablent aussi sur une croissance américaine qui passerait nettement sous les 2% en 2020 (contre 2,6% encore l’an prochain). Une des raisons invoquées, à côté des perturbations engendrées par la guerre commerciale, est tout simplement le manque de main-d’oeuvre disponible : si les Etats-Unis continuent à créer de l’emploi comme au cours des trimestres passés, il n’y aura tout simplement plus personne à embaucher. La pénurie semble d’ailleurs se traduire déjà dans les chiffres : en novembre, les créations d’emplois ont été bien moindres qu’attendu (155.000 réalisées, contre 198.000 espérées).

Cette décélération a provoqué des réactions plus prudentes de la Réserve fédérale, qui semble moins encline à poursuivre le resserrement de ses taux d’intérêt. Et l’on a vu ces derniers temps s’inverser la courbe des taux – autrement dit, les taux courts rapportent plus que les taux longs. Un mouvement souvent interprété comme précurseur d’une récession… On ne sait pas si ce sera le cas dans les deux années qui viennent, mais ce signe alimente l’incertitude ambiante.

Anticipant une baisse de croissance générale dans le monde, le marché des matières premières est dès lors redevenu très morose. Le baril a chuté, enclenchant un accord des pays de l’Opep pour réduire la production afin de soutenir les cours. Balancée entre les prévisions de croissance et les décisions politiques, la marche des cours pétroliers devient imprévisible.

Patrick Artus (Natixis)
Patrick Artus (Natixis) ” Une grande aversion pour le risque sur les marchés financiers est un danger pour la croissance économique mondiale. “© Belgaimage

La bulle Gafa

Et puis, parallèlement à la mondialisation, à la croissance américaine et à l’intégration européenne, une autre certitude semble s’être également envolée ces derniers mois : c’est le potentiel de croissance des géants technologiques américains, les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple). Tout récemment, la capitalisation boursière de Microsoft a redépassé celle d’Apple, ce qui n’était plus arrivé depuis huit ans. Les ventes du dernier iPhone, un produit qui fait 70% des bénéfices de la marque, ne sont pas extraordinaires. Quant à Facebook, les révélations en cascade sur l’utilisation et la monétisation auprès de partenaires douteux des données récoltées par le plus grand des réseaux sociaux mettent son business model à rude épreuve.

” Pendant la majeure partie de 2018, les Gafa ont tiré les indices actions de Wall Street dans une hausse en trompe l’oeil, où ces géants de la technologie ont pris le pas sur l’ensemble de la cote et ont vu leur capitalisation boursière devenir stratosphérique “, avertissait il y a quelques semaines Nicolas Cheron, responsable de la recherche marchés auprès du groupe Binck. Fin août, précisaient les analystes de Lazard Frères, le poids des quatre Gafa représentait une capitalisation boursière cumulée de plus de 3.400 milliards de dollars, soit presque la moitié de celle des 300 principales valeurs de la zone euro (6.690 milliards). Or en quelques semaines, ces géants ont perdu 1.000 milliards de capitalisation. Et l’on craint que ce dégonflement de la bulle Gafa n’entraîne les autres actions dans la chute.

Les facteurs d’incertitude ont donc rarement été aussi nombreux qu’en cette fin d’année 2018. L’année qui vient risque d’être sportive. Et en l’absence de boussole en état de marche, les gestionnaires qui essaient de mener à bon port les actifs qui leur sont confiés vont sans doute se faire quelques cheveux blancs supplémentaires.

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