L’essence, ce délicat carburant fiscal

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La France pourrait être bloquée par un mouvement de protestation contre la hausse du prix des carburants. Et comme souvent, on se demande si la Belgique, médiatiquement tournée vers son grand voisin, ne va pas suivre. Quelques appels en ce sens circulent sur les réseaux sociaux mais, à ce stade, sans guère d’écho politique ou syndical.

Les chiffres sont impressionnants : sur les 12 derniers mois, le prix de l’essence a bondi de 10 % et celui du diesel de 20 %, atteignant un nouveau record historique en ce mois de novembre. De quoi susciter de réelles émotions chez les automobilistes. Encore faut-il comparer ce qui est comparable et replacer les récentes hausses dans leur contexte. L’économiste Philippe Defeyt, de l’Institut pour un développement durable, s’y est attelé, en retournant jusqu’à 1970. Depuis cette date, le prix du diesel a été multiplié par 12,6 et celui de l’essence par 6,8. Nous sommes là clairement dans des rythmes supérieurs à l’inflation. Mais en 50 ans, le prix d’achat des voitures neuves, les coûts d’utilisation (hors carburant et assurances) et le revenu disponible des ménages ont, eux aussi, évolué, tandis que les véhicules devenaient de moins en moins énergivores. L’économiste intègre ces différents éléments et en conclut que ” se déplacer en voiture coûte aujourd’hui proportionnellement moins cher qu’en 1970 “, c’est-à-dire avant le premier choc pétrolier.

Philippe Defeyt en convient lui-même, sa démonstration chiffrée n’est sans doute pas très audible aujourd’hui auprès de l’automobiliste qui doit payer son plein d’essence. Pourquoi ? Evidemment parce que le consommateur est plus sensible aux variations de prix à court terme. Mais aussi en raison d’évolutions structurelles. D’une part, en 50 ans, de nouvelles dépenses sont venues grever nos portefeuilles – abonnement internet, smartphone, taxe sur les immondices (en 1970, on ne payait pas ses sacs poubelles ! ) etc. Et, d’autre part, la politique d’aménagement du territoire a poussé à une multiplication des déplacements en voiture pour rejoindre les parcs d’activités économiques, les centres commerciaux ou les quartiers d’habitation en périphérie des villes. Dans le même ordre d’idée, la flexibilité accrue exigée dans les horaires professionnels ne facilite pas le recours aux alternatives à la voiture individuelle pour les déplacements domicile-travail.

Il faut impérativement veiller à la soutenabilité sociale des objectifs climatiques.

Les hausses de prix des carburants sont dès lors proportionnellement plus sensibles qu’en 1970. D’autant plus que nous savons tous que ces prix sont, pour l’essentiel (60 à 70 % selon les périodes et les types de carburant), la somme de taxes et d’accises. C’est-à-dire des éléments modulables sur simple décision politique. De quoi tenter de mettre la pression sur les gouvernements. Mais depuis 1970, une autre préoccupation s’est développée : la lutte contre les dérèglements climatiques. Elle implique de limiter notre consommation d’énergie, y compris nos déplacements en voiture (ou en avion, mais c’est un autre débat). Et cela se traduit souvent par une taxation de l’énergie.

Les pouvoirs publics voient ainsi monter une double revendication contradictoire à propos des prix de l’énergie et des carburants, qui devraient être à la fois dissuasifs et accessibles. Il faut impérativement veiller à la soutenabilité sociale des objectifs climatiques – faute de quoi, ces objectifs seront balayés dans les urnes. Cela implique sans doute des correctifs sociaux aux mesures environnementales, même si cela alourdit les charges administratives. Mais surtout une affectation plus claire des recettes fiscales au profit de la transition énergétique. Il est difficile de faire accepter des accises sur le carburant au nom de l’environnement quand, dans le même temps, on rabote les moyens des sociétés de transport en commun.

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