Au Royaume-Uni, une crise “brexistentielle”

Theresa May Lors du dernier sommet européen, le 14 décembre à Bruxelles. © Belgaimage

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sera loin de marquer la fin des ennuis pour le pays, ses dirigeants et ses habitants. John Peet, journaliste, chargé des questions sur le Brexit à ” The Economist “

Le Brexit sera encore un thème central de la politique britannique en 2019. Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne décidé par les électeurs en juin 2016 occulte toutes les autres préoccupations politiques et économiques. Les modalités du Brexit se révèlent extrêmement complexes à négocier et la prépondérance de cet enjeu donne souvent l’impression que le gouvernement conservateur de Theresa May est dépourvu d’idées et ne met en oeuvre aucune autre politique.

Le scénario le plus probable est que l’accord signé le 25 novembre entre la Première ministre britannique et les dirigeants européens sera finalement approuvé par le Parlement britannique, permettant au Royaume-Uni de quitter officiellement l’Union le 29 mars, comme prévu. Theresa May a estimé à plusieurs reprises qu’une absence d’accord valait mieux qu’un mauvais accord, mais elle a toujours su, à l’instar d’autres dirigeants de l’Union, qu’un retrait sans entente serait mauvais pour tout le monde. L’économie européenne a faibli et il serait irresponsable de consentir à un divorce acrimonieux dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes. De plus, les entreprises européennes et britanniques ont toutes exercé de fortes pressions pour éviter un ” no deal “.

L’accord sur le Brexit ne dissipera cependant pas toutes les incertitudes. Il est vrai qu’il inaugurera une période de transition de 21 mois ou plus, pendant laquelle il y aura peu de changements, et cherchera à éviter le rétablissement d’une frontière physique en Irlande. Mais il pourrait aussi présager la mise en oeuvre de contrôles réglementaires dans la mer d’Irlande, contrôles qui seront vraisemblablement impopulaires auprès du Parti unioniste démocrate (DUP), l’allié de Theresa May. Et il pourrait également n’être qu’un prélude à de tortueuses négociations en vue d’un accord de libre-échange entre Londres et Bruxelles. Pendant la majeure partie de 2019, les élections européennes et le choix des nouveaux commissaires européens seront au coeur des préoccupations de Bruxelles. Dans ce contexte, il est impossible que les deux parties parviennent à conclure – et encore moins à ratifier – un futur accord commercial en l’espace de 21 mois. La période de transition devra donc être prolongée.

Etat vassal

Cela ne plaira pas à de nombreux conservateurs pro-Brexit qui estiment qu’en respectant toutes les règles de la transition alors qu’il n’a plus son mot à dire dans leur élaboration, le Royaume-Uni agit comme un Etat vassal. Il se peut malgré tout que les tories se montrent réticents à faire obstruction à l’accord de Theresa May, par crainte de voir le Brexit annulé par un nouveau référendum. Quoi qu’il en soit, l’insubordination des conservateurs risque de donner encore plus de maux de tête à la Première ministre, dont la position à la tête du parti est précaire.

Theresa May a succédé à David Cameron après la démission de celui-ci en juin 2016. Un an plus tard, elle a perdu sa majorité parlementaire après avoir appelé à la tenue d’élections législatives anticipées. Et tout cela pour voir sa victoire éclipsée par la percée des travaillistes de Jeremy Corbyn ! Depuis, elle semble en position de faiblesse en raison de sa dépendance vis-à-vis du Parti unioniste démocrate. Et ses plans pour le Brexit provoquent des dissensions au sein du parti, qui semble éprouvé après ses huit années au pouvoir.

Après le Brexit, la question de la succession de Theresa May deviendra la priorité politique. La Première ministre dira sans doute qu’elle est la mieux placée pour superviser les négociations commerciales post-Brexit. Mais la plupart des députés tories, voire la plupart des ministres de son cabinet, souhaitent la voir démissionner bien avant le prochain scrutin, prévu pour la mi-2022. On peut donc s’attendre à une course au leadership du Parti conservateur en 2019.

Le fils du chauffeur pakistanais

Theresa May pourrait décider de se représenter, comme l’avait fait Margaret Thatcher en 1990. Mais, à l’instar de celle-ci, elle risque de perdre. Pour l’heure, le favori à la succession est Sajid Javid, secrétaire d’Etat à l’Intérieur et fils d’un chauffeur d’autobus pakistanais. Le vent pourrait cependant tourner en faveur d’un autre candidat, comme Jeremy Hunt, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Et des partisans du Brexit comme Michael Gove, le secrétaire d’Etat à l’Environnement, ou (ce qui est moins probable) Boris Johnson, le prédécesseur de Hunt, pourraient rencontrer plus de succès auprès des adhérents du parti, qui devront choisir entre les deux candidats sélectionnés par les parlementaires.

L’heure de Jeremy Corbyn ?

Le futur leader (et Premier ministre), quel qu’il soit, devra ensuite se mesurer à Jeremy Corbyn. La déception entourant le Brexit et l’affaiblissement de l’économie pourraient profiter au Parti travailliste, lui donnant pour la première fois depuis 2005 de bonnes chances de remporter l’élection. A l’inverse, la perspective de voir un gouvernement d’extrême gauche dirigé par Jeremy Corbyn et favorable aux nationalisations et aux hausses d’impôts prendre le pouvoir après le Brexit risque d’alarmer encore davantage les entreprises et les investisseurs. Les Britanniques ne sont pas au bout de leurs peines.

Par John Peet.

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