Yves Labeeu

Budget mobilité: l’entreprise ne s’accommode pas de la lenteur du politique

Yves Labeeu consultant Tax & Legal pour Attentia

Il est sans doute quelque chose qui est davantage à l’arrêt que les voitures dans les embouteillages vers Bruxelles, en l’occurrence, les décisions politiques en matière de budget mobilité.

Les choses avaient pourtant quelque peu bougé en début d’année. La commission Finances a en effet approuvé le budget mobilité qui fut ensuite adoubé également par la commission Affaires sociales. Désormais, le projet de loi doit encore passer en séance plénière à la Chambre afin de pouvoir prendre son envol. Mais la date-butoir du 1er mars sera-t-elle respectée? Cela risque d’être court. Dans l’intervalle, le monde de l’entreprise ne se contente pas d’attendre.

Voici déjà plusieurs années que le budget mobilité a été annoncé. Entre-temps, un autre concept – le “cash for car” – est entré en scène. Les entreprises n’ont toutefois pas attendu cette solution et proposent d’ores et déjà la possibilité à leurs collaborateurs, via une rémunération variable – dans le cadre d’un plan cafétéria -, de consacrer un volet de cette rémunération à la mobilité par le biais de “mobility packs” et autres formules telles que la micro-mobilité.

Toutefois, tous ces systèmes disparates sont source de confusion. Leurs intitulés sont souvent utilisés indifféremment à tort et à travers. Dans le cas du “cash for car”, le collaborateur doit tirer un trait sur son propre véhicule afin de pouvoir bénéficier, en échange, d’un certain montant. Les statistiques démontrent que cette formule ne rencontre pas un grand succès.

Qu’est-ce que le budget mobilité?

Le budget mobilité repose sur un autre principe, structuré en trois piliers. Le collaborateur reçoit un budget virtuel, basé sur la valeur de son véhicule actuel ou du véhicule auquel il ou elle a droit en vertu de ses fonctions. La valeur du véhicule est calculée sur base du “coût total de propriété”: non seulement la valeur catalogue mais aussi toutes les dépenses supplémentaires (taxes, entretien…). Le collaborateur peut répartir ce montant selon trois piliers.

Premier pilier: renoncer à tout véhicule ou “acheter une voiture respectueuse de l’environnement”. Telle est la formulation que l’on retrouve dans le projet de loi. A l’heure actuelle, cela ne concerne qu’une voiture électrique ou une voiture qui n’émet pas plus de 95 grammes de CO2 par kilomètre et qui, de plus, satisfait à la norme Euro 6 (ou ultérieure). Nombreuses sont les voitures actuelles qui ne satisfont pas à ces critères. Des amendements ont donc été introduits afin d’autoriser un échelonnement: autoriser les véhicules émettant 105 grammes de CO2/km afin d’en arriver au seuil des 95 grammes de CO2/km d’ici trois ans.

Si le budget n’est pas totalement épuisé, le collaborateur peut allouer le reste au deuxième pilier. Autrement dit à des moyens de transport alternatifs et durables. Cette mobilité douce concerne par exemple les transports publics, des vélos (électriques) et les voitures partagées. Mais elle concerne aussi une intervention au cas où le collaborateur habite dans un rayon de 5 kilomètres de son lieu de travail.

J’y vois quelques lacunes dans ce genre de scénario. En effet, même si la liste des solutions de mobilité douce est extensible, elle n’inclut pas encore les cartes de crédit mobilité (pour le parking) ou des applis mobilité (pour les voitures partagées). La technologie évolue à un rythme tel que la législation est d’ores et déjà dépassée, avant même d’être entrée en vigueur.

Si le collaborateur dispose encore d’un budget après avoir exploité les piliers un et deux, il peut opter pour un remboursement en cash: c’est ce qu’on appelle le troisième pilier. Ce dernier n’est soumis à aucune participation patronale ou imposition. Le collaborateur doit par contre s’acquitter d’une participation personnelle de 38,07%.

Le budget mobilité s’imposera-t-il?

Je crois que le budget mobilité rencontrera davantage de succès que la formule “cash for car” mais je n’en attends pas beaucoup pour autant. Il est en effet beaucoup trop inflexible. L’intention est bonne mais on ne peut que constater que le projet de loi a été imaginé par des personnes qui sont à mille lieues du monde des entreprises. Tout cela reste trop théorique.

De nombreux politiques et groupements affirment par ailleurs qu’il s’agit là d’une solution pour lutter contre les embouteillages et préserver l’environnement. Mais cela ne changera guère de choses dans la mesure où le problème des embouteillages est bien plus vaste que les aspects qu’aborde le budget mobilité. Par définition, le parc de voitures de société est par ailleurs plus écologique puisqu’il se compose souvent des modèles les plus récents, dotés des moteurs à combustion les plus écologiques. Il est même davantage respectueux de l’environnement qu’un scénario au tout-électrique -mais ceci est un autre débat-, en particulier si l’on prend en considération la totalité de la chaîne, depuis les mines pour l’extraction des matières premières destinées aux batteries jusqu’au rechargement de la voiture électrique, chez soi en soirée (cette énergie est-elle verte, à ce stade?), en passant par le recyclage et la durée de vie des batteries.

Le budget mobilité n’est pas une solution-miracle! La voiture demeure pour de nombreux collaborateurs la seule manière d’arriver sur leur lieu de travail dans des délais acceptables. Les alternatives sont sans doute plus nombreuses en milieu urbain mais la Belgique est un pays de PME, disséminées à travers tout le territoire. Toutes les sociétés ne peuvent pas s’implanter à proximité d’une grande gare.

Un bon entrepreneur ne s’accommode pas des lenteurs des décisions politiques. Voilà pourquoi la plupart des entreprises n’ont d’autre choix que de proposer de la mobilité par le biais de leur propre plan cafétéria, beaucoup plus souple.

Surmonter les obstacles

Plusieurs obstacles doivent encore être surmontés pour que le budget mobilité soit une réussite. Il doit tout d’abord demeurer budgétairement neutre pour les employeurs. Nous procédons déjà depuis trois ou quatre ans à des simulations pour le compte d’employeurs afin de préserver la neutralité budgétaire des différentes formules possibles (par exemple, en calculant le coût d’un surclassement de la deuxième à la première classe pour les navetteurs).

Il faut également s’attaquer à l’inflexibilité des solutions. La liste des voitures éligibles diminue, ce qui réduit une partie du potentiel à néant. Par ailleurs, pour profiter des alternatives que procure la mobilité douce, le collaborateur doit d’abord réussir à accéder au deuxième pilier.

La diversité des régimes fiscaux applicables aux différents types de véhicules complique relativement la vie des employeurs. Sans doute les pouvoirs publics devraient-ils adopter une autre approche de l’imposition des voitures. Elle est en effet à ce point fragmentée, dans l’état actuel des choses, qu’il est difficile de déterminer quel en est le montant si l’on doit tenir compte de toutes les possibilités.

Il est quasi certain que le budget mobilité ne sera pas un succès la première année.

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