Comment se préparer au Brexit? Nos conseils pour affronter le 29 mars en toute sérénité

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A l’heure actuelle, on ne connaît toujours pas les contours du Brexit. Pour les entreprises, il est pourtant plus que temps de s’adapter. Les conséquences pourraient être atténuées à court terme par un accord, mais ses bienfaits pourraient n’être que temporaires.

Voilà plus de deux ans et demi que les Britanniques ont exprimé le souhait de quitter l’Union européenne, réclamant le Brexit. En janvier, les députés du Royaume-Uni ont rejeté l’accord négocié par la Première ministre Theresa May. Depuis, ils ont posé leurs conditions : ne pas quitter l’UE sans accord et renégocier une alternative à la clause de sauvegarde censée éviter le rétablissement d’une frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord (clause du “backstop”). Le résultat de ces votes a été accueilli fraîchement par les Européens qui refusent de renégocier. Il n’y a ainsi aucune garantie qu’une issue favorable couronnera ces discussions de dernière minute. A quelques semaines de l’échéance fatidique du 29 mars, l’incertitude prédomine donc.

Quatrième partenaire commercial

Les entreprises n’ont pourtant d’autre choix que de s’adapter à l’inconnu. “Le Royaume-Uni est en effet un acteur majeur, souligne Jean-Jacques Westhof, directeur du département international de l’Union wallonne des entreprises (UWE). Il est le quatrième partenaire commercial de la Belgique, représentant 9% de nos exportations, soit plus de 31 milliards d’euros par an, et 5% des importations. Si on se limite à la Wallonie, sa part dans les exportations est un peu moindre à 6% (2,5 milliards), mais le Royaume-Uni demeure le quatrième partenaire commercial de la Région.” Ce pays est d’autant plus important qu’il importe surtout des produits à haute valeur ajoutée comme la chimie et la pharmacie, les machines, les équipements ou l’optique. Ou très sensibles aux droits de douane et impossibles à stocker comme les produits agro-alimentaires.

L’inverse est également vrai. “La moitié des importations britanniques et 47% de ses exportations dépendent de l’UE.” Les grandes enseignes de supermarchés ont ainsi prévenu que leurs rayons de produits frais risquent d’être moins bien fournis en cas de Brexit sans accord. En mars, selon les distributeurs britanniques, le Royaume-Uni importe ainsi généralement 90% de ses laitues, 80% de ses tomates et 70% de ses fruits hors agrumes.

Perte de 0,9% du PIB

“Au total, on estime que le Royaume-Uni représente 2% de la valeur ajoutée et de l’emploi en Belgique, et 1,6% en Wallonie, poursuit Jean-Jacques Westhof. Selon le Fonds monétaire international (FMI), notre pays serait un des plus touchés en cas de Brexit sans accord avec une perte de 0,9% du produit intérieur brut (PIB), derrière l’Irlande (-3,8%) évidemment. Nous serions globalement au même niveau que les Pays-Bas et le Danemark, autres pays continentaux les plus touchés. D’autant qu’il faut aussi tenir compte des conséquences indirectes. Des entreprises belges exportent, par exemple, des biens en France qui sont ensuite expédiés au Royaume-Uni, ou envoient des composants en Allemagne qui serviront à fabriquer des machines destinées à un client anglais.

Enfin, tout ralentissement de l’économie britannique – certaines études évoquent une perte allant jusqu’à 10% du PIB – aurait inévitablement un impact sur les exportations européennes en direction du Royaume-Uni.

Numéro Eori et statut AEO

On le voit, le Brexit a un impact économique potentiellement dévastateur, surtout en cas de sortie du Royaume-Uni sans accord. Pour les entreprises, tout l’enjeu est de parvenir à s’adapter à un futur canevas qui n’est pas encore défini.

JEAN-JACQUES WESTHOF (UWE):
JEAN-JACQUES WESTHOF (UWE): “Le Royaume-Uni risque de devenir un pays tiers, avec toutes les complications que cela induit.”© Dann

“Cela est d’autant plus compliqué que nombre de nos sociétés n’ont pas l’habitude de traiter avec des pays hors UE”, pointe Jean-Jacques Westhof. Pas moins de 75% des exportateurs belges n’exportent en effet que dans l’Union. “Or, en cas de Brexit sans accord, le Royaume-Uni deviendra tout simplement un pays tiers avec les multiples complications que cela induit.”

Première chose à savoir, donc : pour tout échange commercial avec un pays hors UE, une entreprise doit disposer d’un numéro Eori (pour Economic Operator Registration and Identification), sorte de numéro d’identification unique en matière douanière. Dès le 30 mars (sauf report ou annulation du Brexit), ce numéro sera requis pour toute importation, exportation ou opération de transit impliquant le Royaume-Uni.

En outre, l’Administration générale des douanes et accises recommande la demande du statut d’Opérateur économique agréé (Authorised Economic Operator – AEO). Ce statut n’est pas obligatoire mais il offre de nombreuses facilités douanières (déclaration simplifiée, dédouanement centralisé) et des avantages indirects (reconnaissance de la fiabilité du partenaire, meilleure visibilité, plus grande sécurité). La reconnaissance est valable dans toute l’Union européenne ainsi qu’en Suisse, dans la principauté d’Andorre, au Japon, en Norvège, aux Etats-Unis et en Chine. On peut imaginer que le Royaume-Uni signera également un accord de reconnaissance mutuelle, facilitant le commerce après le Brexit.

Compétitivité des entreprises belges

Evidemment, ces formalités administratives ne suffiront pas à éviter tous les problèmes. La perspective d’un Brexit sans accord pose particulièrement question. La première interrogation concerne les contrôles douaniers et droits de douane.

Le rétablissement des barrières douanières provoquerait inévitablement des congestions aux points de contrôle. Le port de Douvres, où transitent 10.000 poids lourds par jour, a chiffré ces encombrements. Si les formalités administratives prennent deux minutes supplémentaires, ce retard créera des files de camions de 27 kilomètres. Des bouchons comparables frapperaient également les ports de Calais et Dunkerque en France.

En sortant de l’UE, le Royaume-Uni quitte également le marché unique. Les importations et exportations seront donc frappées de droits de douane. Les accréditations et certificats de conformité devront être renouvelés. “Sans accord de sortie, les relations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni retomberaient dans le régime de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si les droits de douane sont assez bas pour certains produits (comme les vaccins, par exemple), ils peuvent se révéler très conséquents pour d’autres. Ils pourraient donc remettre la compétitivité de certains exportateurs belges en question. D’autant que ceux-ci devront ainsi tenir compte de coûts de livraison et frais administratifs plus élevés.”

Se prémunir d’une chute de la livre

“La compétitivité des entreprises est également menacée par les taux de change, souligne encore Jean-Jacques Westhof. La livre sterling pourrait chuter assez fortement en cas de sortie sans accord”. Les analystes évoquent globalement une chute de la monnaie britannique sous la parité avec l’euro, soit une dépréciation de plus de 15%.

Porte d'entrée du Royaume-Uni, le port de Douvres pourrait se voir totalement saturé du fait de formalités supplémentaires.
Porte d’entrée du Royaume-Uni, le port de Douvres pourrait se voir totalement saturé du fait de formalités supplémentaires.© Getty Images

Structurellement, cela menacerait évidemment la position des exportateurs belges en concurrence avec des sociétés britanniques. “A brève échéance, les entreprises encourent un risque de pertes sur les contrats existants. Elles ont donc tout intérêt à se prémunir du risque de chute”, pointe le directeur du département international de l’UWE. L’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements (Awex) épingle plusieurs éléments à prendre en considération pour déterminer si une entreprise ferait effectivement mieux de se prémunir des évolutions de la livre : importance de la marge bénéficiaire, volume d’affaires en livres, durée de la phase de l’offre et du contrat, délai de paiement. L’objectif est ainsi de protéger l’entreprise de toute conséquence importante en cas de volatilité sur les taux de change.

Concrètement, elle peut, par exemple, opter pour un contrat à terme. Elle conclut pour ce faire une convention avec sa banque précisant qu’elle vendra une certaine quantité de livres à une date précise et à un cours déterminé. Il s’agit d’un “contrat d’achat de devises à un cours prédéterminé dont la livraison et le paiement s’effectuent à une date ultérieure, détaille-t-on chez ING. Le cours à terme est fonction du cours (de la devise) au comptant mais est également influencé par le différentiel de taux d’intérêt du couple de devise que vous échangez”

Conséquences fiscales et financières

Outre la couverture du risque de change et les formalités douanières, les entreprises belges actives au Royaume-Uni pourraient également subir d’autres surcoûts. Le Brexit aura ainsi d’importantes conséquences sur la TVA. Comme le rappelle le SPF Finances, les ventes à des clients au Royaume-Uni ne seront plus des livraisons intracommunautaires, mais deviendront de facto des exportations, dans la plupart des cas exemptées de la TVA. A l’inverse, les achats au Royaume-Uni ne seront plus des acquisitions intracommunautaires, mais deviendront des importations. Par ailleurs, “un transport de produits soumis à accise à partir de la Belgique vers le Royaume-Uni sera considéré comme exportation vers un pays tiers et non plus comme un transport sous le régime suspensif de l’accise”.

Le Premier ministre Theresa May l'a confirmé au Parlement britannique : accord ou pas, le Brexit sera effectif le 29 mars prochain.
Le Premier ministre Theresa May l’a confirmé au Parlement britannique : accord ou pas, le Brexit sera effectif le 29 mars prochain.© Xinhua / eyevine

La fin de la libre circulation des capitaux pourrait également avoir des répercussions sur le financement des entreprises. “Il est donc recommandé de vérifier si vos plans d’investissement et de financement seront toujours réalisables après le Brexit”, précise l’Awex.

Risques juridiques

Conséquences de toutes ces modifications : le Brexit risque d’accroître les tensions entre partenaires commerciaux des deux côtés de la Manche, fruits de questions plus ou moins épineuses. Qui doit supporter la perte de change et les droits de douane ? Le montant de l’offre doit-il être adapté ? Quelle entreprise est responsable en cas de retards de livraison dus aux contrôles douaniers ? La société qui s’estimera lésée pourrait vouloir saisir la justice. “Reste à savoir quelle juridiction sera compétente”, épingle Jean-Jacques Westhof. Les entreprises ayant des contrats commerciaux en cours avec des partenaires britanniques doivent donc revoir leurs contrats et éventuellement les adapter. L’Awex souligne également que les contrats avec d’autres partenaires peuvent poser problème s’ils relèvent de la législation britannique.

Dans tous les cas, les entreprises ont donc intérêt à revoir leurs contrats avec leur conseiller juridique. Une adaptation des conditions générales peut parfois suffire à réduire les risques des clauses problématiques.

Circulation des travailleurs et propriété intellectuelle

“Le Brexit marquera aussi la fin de la libre circulation des personnes entre l’UE et le Royaume-Uni, rappelle Jean-Jacques Westhof. A l’avenir, un Britannique voulant travailler sur le continent ou un Européen désirant faire de même au Royaume-Uni devra donc vraisemblablement obtenir un permis de travail.” Par ailleurs, l’Awex souligne que les droits de propriété intellectuelle ne seront plus valables au Royaume-Uni après le Brexit. Les entreprises devraient donc introduire de nouvelles demandes spécifiques pour le territoire britannique. A moins évidemment qu’un accord ne soit trouvé en la matière, à l’image de ceux liant la Norvège, l’Islande ou le Liechtenstein, qui appliquent la législation de l’UE sur la propriété intellectuelle.

“Tout accord de sortie entre l’UE et le Royaume-Uni devrait permettre d’amortir l’impact du Brexit sur tous les plans”, estime toutefois Jean-Jacques Westhof. Outre l’accord de retrait, d’autres accords sont notamment attendus en matière de réciprocité pour les Européens déjà installés au Royaume-Uni (et inversement), de certificats de conformité, de réglementations commerciales, de barrières douanières ou de propriété intellectuelle. La sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait donc s’avérer moins complexe qu’on peut le redouter. “Mais il ne faut pas perdre de vue l’origine même du Brexit”, avertit le directeur du département international de l’UWE. “Les Britanniques ont notamment voulu sortir de l’UE pour reprendre leur indépendance législative. Il est donc fort probable que les législations britanniques et européennes s’éloigneront à terme.”

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qui dit Brexit dit également fin de la libre circulation des personnes. Et retour des permis de travail…© MAXPPP

A ce titre, l’évolution de la Belgique est un bon exemple. Les matières fraîchement régionalisées y sont souvent strictement identiques dans les différentes entités du pays, avant de lentement dériver. Les limitations de vitesse ne sont désormais plus les mêmes en Flandre et en Wallonie. La déduction du crédit hypothécaire est différente dans chaque Région et a même été supprimée à Bruxelles. Et l’on pourrait multiplier les exemples à l’infini. “Les entreprises actives au Royaume-Uni doivent donc s’habituer à rester attentives à la législation britannique”, prévient Jean-Jacques Westhof.

Que faire dans l’immédiat ?

“Dans l’immédiat, chaque entreprise doit avant tout dresser un bilan des implications du Brexit”, conclut le directeur. Elle peut recourir pour ce faire au Brexit Impact Scan du SPF Economie (brexit-impact-scan.be). Ce programme fait partie des nombreuses initiatives fédérales et régionales destinées à accompagner les entreprises dans le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le tableau “Liens utiles” les récapitule. A consulter d’urgence.

Notre check-list pour préparer le Brexit

• Faire le point sur la situation de l’entreprise, par exemple grâce au Brexit Impact Scan du SPF Economie.

• Demander un numéro Eori.

• Contrôler l’impact d’éventuels droits de douane et contrôles douaniers sur les activités avec le Royaume-Uni.

• Réviser les contrats (avec son conseiller juridique).

• Vérifier notamment la validité des certificats de conformité et droits de propriété intellectuelle.

• S’assurer qu’un permis de travail ne doit pas être demandé pour les expatriés.

• Revoir éventuellement ses financements.

• Suivre les derniers développements dans le Trends-Tendances ou sur www.tendances.be, des accords étant notamment attendus pour les expatriés et les certificats de conformité.

Liens utiles

• Réaliser le Brexit Impact Scan proposé par le SPF Economie : www.brexit-impact-scan.be

• Consulter le guide du Brexit de l’Awex : www.awex-export.be/fr/marches-et-secteurs/royaume-uni/brexit

• Obtenir un numéro Eori : https://finances.belgium.be/fr/douanes_accises/entreprises/finances-eori/eori

• Consulter le guide sur le statut AEO : www.finances.belgium.be/sites/default/files/Customs/FR/Brochures/2016-06-20-AEO-FR.pdf

• Consulter le site de l’Administration générale des douanes et accises, y compris sa check-list Brexit : https://finances.belgium.be/fr/douanes_accises/entreprises/brexit

• Consulter la base (en anglais) de données relative aux tarifs, règles d’origine et documents nécessaires aux échanges commerciaux au départ de l’Union européenne : www.madb.europa.eu

• Appréhender les conséquences du Brexit sur le marché du travail : www.emploi.belgique.be/lebrexit

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