Bruno Colmant

En Grèce, une révolution balaiera tout

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

En Grèce, les astres s’alignent parfaitement pour déclencher la fureur d’une révolution.

En Grèce, les astres s’alignent parfaitement pour déclencher la fureur d’une révolution.

Certains croient naïvement que le problème grec est réglé, mais c’est l’euro, et non la Grèce, qui est temporairement sauvé, au terme d’un ahurissant drame politique qui a mis à vif, comme une écorce arrachée d’un arbre, les blessures de la monnaie unique. En effet, le compromis grec révéla les dissensions entre l’Allemagne et la France, dont l’euro était pourtant censé sceller les destins, après quatre guerres en deux siècles.

L’accord politique grec ressemble au traité de Versailles qui vit, en 1919, les vainqueur de la Première Guerre mondiale accabler l’Allemagne de dommages de guerre tellement déraisonnables que ce pays fut traversé, en moins de 15 ans, par des troubles marxistes (emmenés par les révolutionnaires spartakistes avant l’instauration de la fragile République de Weimar), par l’hyperinflation de 1923 qui ruina toute l’économie et par l’avènement du pire régime génocidaire d’Europe occidentale au 20ème siècle.

Mais le compromis grec ressemble aussi au Traité de Munich qui réunit, en 1938, les quatre principales puissances européennes (la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie) afin de décider du sort des Sudètes, ces allemands de Tchécoslovaquie qui exigèrent leur rattachement à l’Allemagne, quelques mois après l’annexion de l’Autriche.

En 1919, les grecs auraient été les allemands. En 1938, ils auraient été les tchécoslovaques.

Et, tant en 1919 qu’en 1938, cela s’est mal terminé parce que la gestion politique s’est fondée sur la force plutôt que le compromis social. Comme affirmait Napoléon III, “Gouverner, c’est bien, mais il fait encore administrer”.

En 2017 ou plus tôt, je suis convaincu que la Grèce versera dans un régime plus autoritaire qui sera le résultat d’une révolution ou d’insurrections liées aux fondements désastreux de son appartenance à l’euro.

L’euro ne fut jamais une monnaie adaptée à la Grèce, dont les paramètres économiques, trop éloignés du coeur industriel de l’Europe, exigent une monnaie structurellement faible pour maintenir sa compétitivité. Après des années de mensonges au cours desquels la Grèce ne tira pas profit de taux d’intérêt bas afin de reformer ses finances publiques, l’inadéquation de la monnaie apparut au grand jour. Il s’en suivi plusieurs plans de sauvetage, impliquant un gigantesque abattement de dettes et un moratoire sur l’endettement public. Cela n’a pas suffi parce que l’économie grecque s’est écroulée sous une monnaie trop forte et des plans d’austérité incompatibles avec une logique keynésienne de relance budgétaire. Au contraire, la contraction des dépenses publiques, dans un pays au sein duquel l’Etat brasse plus de 60 % du PIB, a démultiplié les effets de la crise.

Aujourd’hui, la Grèce bénéficie d’un nouveau plan d’aide moyennant des restrictions budgétaires encore plus drastiques que celles qui avaient été écartées par le précédent gouvernement de droite. Après avoir voté pour la gauche radicale censée réfuter les mesures d’austérité, le gouvernement grec a dû accepter des contraintes dont un référendum avait pourtant confirmé le refus. En même temps, la dette publique grecque continuera inexorablement à s’élever pour atteindre bientôt deux fois le PIB, c’est-à-dire un multiple qui serait insoutenable pour un pays riche alors que les créanciers publics de la Grèce écartent un rééchelonnement malgré les revendications du FMI et de la BCE.

Les développements politiques grecs portent donc en eux leurs propres contradictions, puisque la Grèce sera soumise à un programme d’appauvrissement qui conduira immanquablement à aggraver la récession d’un pays qui a déjà perdu 25 % de son PIB en cinq ans.

Dans tous les cas de figure, un vent de révolte soufflera sur la Grèce. En effet, si la gauche a dû plier sous l’Europe, on a peine à imaginer qu’un gouvernement de droite soit plus à même d’imposer l’austérité. La question du Grexit c’est-à-dire de la sortie de la Grèce de la zone euro, ne sera, à mes yeux, qu’un élément accessoire, ou plutôt subséquent, aux troubles sociaux qui vont frapper ce pays. Que la Grèce s’appauvrisse sous l’euro ou qu’elle en sorte, l’issue sociale sera la même : une insurrection.

Bien sûr, un “Grexit” entraînerait un défaut étatique immédiat, puisqu’il est illusoire que la Grèce honore sa dette publique en euros. L’abandon de l’euro entraînerait une ruée instantanée sur les dépôts bancaires. Immédiatement, les autorités publiques fermeraient les banques avant d’imposer un contrôle des capitaux destiné à préparer le basculement vers une nouvelle monnaie, une “nouvelle” drachme, probablement non convertible. Dès l’introduction de cette dernière, le gouvernement grec imposerait que les grecs rapportent les euros retirés des comptes bancaires afin de les convertir en drachmes selon une parité dépréciée. L’euro ne pourrait donc plus avoir cours pour les transactions domestiques. Cela pousserait bien sûr de nombreux grecs à conserver leurs euros sous forme physique. Cela entrainera l’émergence d’un marché noir des devises, comme l’Argentine ou la Russie l’ont expérimenté. Des contrôles aux frontières seront évidemment déployés.

Les possibilités de refinancement auprès de la BCE s’effondreraient, en même temps que son accès au marché des capitaux. Dès lors, le gouvernement solliciterait la Banque Centrale grecque afin d’alimenter la masse monétaire en nouvelles drachmes qui se déprécieraient au rythme de leur impression, exactement comme l’Argentine l’expérimente actuellement. Le taux d’inflation grimperait autour de 20 %, tandis que le prix des importations atteindrait des niveaux prohibitifs. Il s’en serait de même pour les taux d’intérêt qui grimperaient au même rythme de l’inflation, ruinant une seconde fois les épargnants tout en rendant l’investissement impossible.

Politiquement, la Grèce réalisera que son choix politique a mené à l’impensable, c’est-à-dire la ruine. La Grèce deviendrait ingouvernable. C’est à ce moment qu’une expression autoritaire se manifestera L’armée pourrait prendre le pouvoir. Est-ce impensable ? Aucunement. Les pays qui traversent des tempêtes monétaires s’échouent toujours dans des géométries moins démocratiques.

Nier la pertinence de la représentation démocratique opposée à l’ordre monétaire du Nord européen relève d’une méconnaissance inquiétante de l’histoire des peuples et des monnaies. Car, derrière ces questionnements, c’est probablement la survie de l’euro qui est en jeu. Croire que des symboles régaliens, comme les dettes publiques et la monnaie, disciplinent une économie réelle est une réfutation des réalités socio-économiques. Ceux qui ont créé l’euro porte une responsabilité écrasante devant l’histoire. En étendant l’euro trop loin de son centre de gravité naturel, c’est-à-dire l’axe franco- allemand, ils ont conduit à faire imploser le projet européen. De Gaulle avait coutume de dire que les peuples, comme les oliviers, durent mille ans. Je ne connais pas de monnaie ou de dette publique qui a démontré cette pérennité.

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