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“Oui, trop d’impôt tue l’impôt”

Un beau jour de 1974, l’économiste américain Arthur Laffer se retrouve à Washington au restaurant Two Continents autour d’un bon steak en compagnie d’un responsable du Wall Street Journal et de deux conseillers du président Gerald Ford, Donald Rumsfeld et Dick Cheney. La conversation finit par tomber sur la fiscalité…

Laffer arrache alors un coin de la nappe en papier et dessine une courbe en cloche pour expliquer le rendement de l’impôt. La première partie de la cloche montre que lorsque l’impôt progresse, les montants récoltés par le trésor public progressent aussi. Et puis, arrivé à un taux de taxation d’environ 50 %, le phénomène s’inverse : plus le taux progresse, plus les recettes fiscales diminuent, au point d’être inexistantes lorsque le taux d’imposition est de 100 %. Finalement, que le taux d’imposition soit de 0 % ou de 100 %, le résultat pour les recettes de l’Etat est similaire.

La recherche de l’optimum fiscal, c’est-à-dire du meilleur rendement possible de l’impôt, devient impérative.

Cette ” courbe de Laffer ” est devenue célèbre et l’on a beaucoup glosé sur sa pertinence, voire sur sa forme. Certains économistes à l’imagination débridée ont imaginé des courbes à plusieurs sommets ou dessiné une courbe avec des traits discontinus. Mais nous sentons tous qu’il y a un fond de vrai dans cette intuition : il doit exister un optimum fiscal, un meilleur rapport entre les recettes et le taux au-delà duquel il est dangereux pour le fisc de s’aventurer.

Pourtant, notre pays a tendance à flirter avec la ligne rouge. L’éphémère taxe de spéculation de 33 %, qui ponctionnait les plus-values réalisées sur certains instruments financiers lorsqu’ils étaient revendus moins de six mois après leur date d’achat, en a été un exemple cuisant. Instaurée en 2016, son rendement a été anecdotique (un peu plus de 32 millions d’euros). En revanche, comme les investisseurs cherchaient à éluder la taxe, ils ont restreint leur activité en Bourse de Bruxelles, ce qui a eu un fort impact sur le rendement de la taxe sur opération de Bourse (qui avait rapporté 288 millions en 2015 et seulement 212 millions en 2016).

De même, les accises sur les cigarettes ne cessent d’augmenter, réduisant les ventes de paquets en Belgique (une diminution de 30 millions de paquets entre 2016 et 2017) et aussi des recettes pour l’Etat (moins 40 millions d’euros). Certes, augmenter les accises sur le tabac ou l’alcool devrait avant tout être une mesure de santé publique et finalement, nous devrions nous réjouir de cette baisse. Mais personne n’oublie qu’il suffit de faire quelques kilomètres pour passer la frontière et aller s’approvisionner en cigarettes meilleur marché dans les pays voisins. Non seulement les recettes diminuent, mais le problème de santé publique n’est pas résolu.

A l’inverse, ce gouvernement a bien senti qu’il fallait quelque peut réduire la pression fiscale sur le travail, qui avait franchi la ligne rouge depuis des années.

La juste perception de l’impôt est un exercice difficile. Mais alors que la plupart de nos pays industrialisés se battent pour restaurer l’équilibre de leurs finances publiques, la recherche de l’optimum fiscal, c’est-à-dire du meilleur rendement possible de l’impôt, devient impérative. A ce titre, on peut se demander si c’est de bonne politique de continuer à rehausser année après année les accises sans avoir conclu d’accord avec nos proches voisins. De même, attend-on vraiment beaucoup de rendement de la taxe sur les comptes-titres qui doit entrer en vigueur cette année ? Cet impôt sur la fortune déguisé ne donne-t-il pas au contraire un signal ambigu propre à décourager l’arrivée de contribuables potentiels (des Belges à l’étranger qui désiraient revenir au pays ou des étrangers désireux de venir s’installer chez nous) ?

Dans notre pays, les recettes fiscales dépassent déjà 44 % du PIB, alors que la moyenne de l’OCDE n’est que de 34 %. Plutôt que de chercher à pousser certains taux d’imposition vers leurs dernières limites, les prochains exercices budgétaires pourraient peut-être travailler à repenser profondément la structure des dépenses de l’Etat…

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