Qu’est-ce que Wallonie-Santé, un nouveau levier public pour investir dans les soins de santé?

Philippe Buelen © RUDY LAMBORAY/ Belgaimage

Le vieillissement et les progrès technologiques nécessitent de lourds investissements dans la santé. Philippe Buelen, patron de Wallonie-Santé, explique pourquoi le privé ne pouvait les assumer seul.

“La Wallonie avait des fonds d’investissement pour la culture et l’audiovisuel (St’art et Wallimage) mais pas pour le secteur de la santé, le plus gros pourvoyeur d’emplois de la région. Ce n’était pas très logique. ” Philippe Buelen, vice-président du comité de direction de la Sogepa, ne cache pas sa satisfaction d’avoir réussi à lancer Wallonie-Santé, un outil de financement dédié aux investissements dans les hôpitaux, maisons de repos et de soins, résidences-services et centres d’accueil de personnes handicapées. Ce fonds est doté de 100 millions d’euros afin d’apporter des prêts aux institutions et pourra, en sus, apporter sa garantie pour 100 autres millions. Wallonie-Santé a été officiellement créée au début de l’été, sa politique d’investissements et son positionnement stratégique viennent d’être validés. Les premiers prêts sont attendus pour 2019.

Philippe Buelen précise d’emblée qu’il ne s’agit pas de créer ” un bidule de plus ” : Wallonie-Santé est une filiale de la Sogepa (bras financier de la Wallonie pour les entreprises en reconversion) avec les mêmes administrateurs et membres du comité de direction, lesquels ne percevront aucune rémunération ou jeton de présence supplémentaire dans l’aventure. Voilà pour la gouvernance.

Wallonie-Santé se profile comme ” un ensemblier “, chargé de réunir de manière cohérente les compétences et outils qui existaient déjà dans ce secteur crucial pour l’économie wallonne. Il est ainsi déjà acquis que le volet “vis au secteur hospitalier” de Geligar, la filiale de la SRIW spécialisée dans l’octroi de garanties aux entreprises, rejoindra le giron de Wallonie-Santé. Le fonds Impulseo (aide à l’installation des médecins en milieu rural), géré par la Sowalfin, pourrait suivre.

Le grand hôpital de Charleroi L'ensemble des activités médicales des différents sites (ci-dessus, celui de Notre Dame) seront réunies en un seul endroit d'ici 2024.
Le grand hôpital de Charleroi L’ensemble des activités médicales des différents sites (ci-dessus, celui de Notre Dame) seront réunies en un seul endroit d’ici 2024.© belgaimage

Un secteur en plein basculement

Tout cela, c’est bien beau mais, dans une Wallonie qui regorge déjà d’outils publics, fallait-il vraiment une structure de plus ? Si le secteur de la santé et de l’action sociale a pu se développer au point de représenter 15 % de l’emploi et 10 % du PIB de la Wallonie sans outil de financement public spécifique, pourquoi en faut-il absolument un aujourd’hui ? Parce que nous vivons ” un momentum ” très particulier, répond Philippe Buelen. Des investissements conséquents sont prévus dans les prochaines années, avec un plan de 1,3 milliard sur cinq ans pour les hôpitaux wallons (hors hôpitaux universitaires qui dépendent, eux, de la Fédération Wallonie-Bruxelles), la construction de 12.000 places en maisons de repos et la mise en oeuvre de l’assurance autonomie qui, à elle seule, devrait conduire à la création de quelque 2.000 emplois dans les différents services ambulatoires. Pour concrétiser pareilles ambitions, il faudra combiner les sources de financement privées. L’arrivée d’un fonds spécifique n’est donc pas à négliger, même si ses moyens restent modestes.

Le secteur privé aurait peut-être pu assumer l’ensemble de ces investissements si de nouvelles règles de financement des institutions hospitalières et des MR/MRS(compétence régionalisée par la sixième réforme de l’Etat) n’étaient pas entrées en vigueur. Elles concernent notamment le prix d’hébergement, c’est-à-dire la part de la facture hospitalière censée couvrir les besoins en matière d’investissements. Au lieu d’être intégralement couverts (en tenant compte des subsides régionaux), les investissements ne seront plus pris en compte qu’à concurrence de 72,5%. Cela augmente de facto le besoin de fonds propres ou de recours à l’emprunt par les institutions. La présence d’un acteur susceptible d’octroyer des prêts et des garanties peut donc s’avérer utile.

100 millions, c’est peu par rapport aux enjeux du secteur. Mais cela permet de conforter des tours de table.

Autre modification de taille : le prix d’hébergement n’est plus fixé une fois pour toutes mais est désormais lié au taux d’occupation réel des lits. Si l’hôpital affiche complet, il gagnera plus qu’avant mais, en revanche, s’il est sur-dimensionné, ses recettes en pâtiront. L’objectif de cette disposition est de responsabiliser les institutions quant à leurs choix d’infrastructures, de les inciter à les calibrer le plus justement possible. Mais cela introduit une dimension aléatoire dans l’évolution de leurs recettes et, par-là, dans leur capacité à rembourser les emprunts. De quoi refroidir les banques, qui pourraient exiger des garanties ou un cofinancement public avant d’accorder un crédit. Un rôle parfait pour Wallonie-Santé, d’autant plus que le gouvernement wallon ne peut plus garantir directement les emprunts des hôpitaux.

Des hôpitaux globalement déficitaires

Enfin, si Philippe Buelen parle de ” momentum “, c’est aussi en raison de la santé financière des hôpitaux. La récente étude Maha (Belfius) indique que 40 % des hôpitaux sont en déficit et que 24 d’entre eux (10 en Wallonie) génèrent un cash-flow insuffisant pour rembourser leurs dettes. Le résultat courant est négatif (-26 millions) pour les hôpitaux wallons dans leur ensemble. On comprend dès lors que les analystes de Belfius jugent la situation ” préoccupante ” et doutent de la capacité d’une partie du parc hospitalier à affronter les défis du futur.

” Le paysage est fragilisé et l’arrivée d’un acteur comme Wallonie-Santé peut contribuer à rassurer, estime son CEO. Je sais bien que 100 millions, c’est peu par rapport aux enjeux du secteur. Mais cela permet de conforter des tours de table. Des banques nous ont déjà sollicités pour cofinancer des prêts dans le secteur de la santé. Nous sommes dans une logique de partenariat avec elles. Nos interventions seront conformes au prix du marché. Nous sommes clairement dans l’action économique, pas dans la subsidiologie. ” A terme, il se pourrait que d’autres acteurs, par exemple la Banque européenne d’investissement (BEI), viennent renforcer les fonds propres de Wallonie-Santé et lui permettent ainsi d’entrer dans des tours de table plus conséquents.

Qu'est-ce que Wallonie-Santé, un nouveau levier public pour investir dans les soins de santé?

Pas que du financement

L’apport de cette nouvelle structure ne s’arrête toutefois pas au strict cadre financier. Les équipes de la Sogepa peuvent mener des missions de conseil au profit des gestionnaires hospitaliers, voire prendre en charge un ” intérim-management ” pour des repositionnements plus conséquents. ” La Sogepa s’est vue récemment confier la mission de tiers-investisseur dans des projets d’économie d’énergie ou de production d’énergie renouvelable, ajoute Philippe Buelen. Nous disposons d’une enveloppe de 20 millions d’euros à cet effet et elle peut évidemment être utilisée pour des investissements durables dans les institutions de soins. Le souhait est vraiment d’intégrer le plus largement possible toutes les facettes de nos activités, au profit du secteur de la santé. ”

Le lancement de Wallonie-Santé intervient alors que le gouvernement wallon vient d’octroyer un financement de 345 millions d’euros pour le Grand hôpital de Charleroi. Un tout nouveau site abritera, d’ici 2024, l’ensemble des activités médicales des hôpitaux Saint-Joseph, Sainte-Thérèse, IMTR, Notre Dame et Reine Fabiola. L’agencement des calendriers n’a pas permis à la nouvelle structure publique de financement de participer à ce qui est le projet phare dans le secteur des hôpitaux wallons pour les prochaines années. Un regret, peut-être, mais il pourrait être partiellement comblé dans un deuxième temps. Wallonie-Santé devrait en effet être sollicitée pour la reconversion en maisons de repos des anciens sites hospitaliers qui seront progressivement abandonnés.

Cela dit, les promoteurs de Wallonie-Santé sont bien conscients que leur outil ne concernera moins les tout gros dossiers, souvent déjà soutenus par la BEI, que les dossiers plus modestes, plutôt du côté des maisons de repos que des hôpitaux. ” La Sogepa, c’est un outil public, financé par les contribuables, commente Philippe Buelen. Cela implique un aspect sociétal dans nos choix d’investissements. Le secteur de la santé est en pleine mutation et notre rôle sera d’accompagner cette mutation vers les réseaux de soins, les logements groupés, etc. Nous serons à l’écoute des projets innovants dans les secteurs de la santé et de l’action sociale. ”

Logements kangourous

L’un des premiers dossiers d’intervention de Wallonie-Santé devrait d’ailleurs répondre à cette préoccupation. Il s’agit de l’aménagement d’une maison multifonction à Ans par le groupe CHC. Le site offrira cette particularité de combiner une maison de repos et un centre résidentiel pour handicapés adultes. ” On apporte ainsi une solution aux familles vieillissantes qui ne peuvent plus prendre en charge seules une personne handicapée. C’est vraiment un projet magnifique “, insiste Philippe Buelen. Il s’agit d’un investissement de 11 millions d’euros, dans lequel Wallonie-Santé apporterait au moins 500.000 euros. Dans le même esprit, le nouveau fonds pourrait participer demain au financement de logements kangourous, de maisons médicales ou de centres de santé mentale.

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