Roumanie: un boum économique qui inquiète

Viorica Dancila, première ministre roumaine © Reuters

On peut être premier de la classe et récolter des avertissements: la Roumanie, vedette européenne de la croissance grâce à une consommation vigoureuse, néglige les investissements et se prépare à des lendemains difficiles, craignent les analystes.

“Croissance économique n’est pas toujours synonyme de développement. L’économie roumaine a progressé en s’endettant, sans qu’aucun nouveau kilomètre d’autoroute ne soit réalisé”, cite à titre d’exemple Cristian Paun, professeur de finances internationales à Bucarest.

L’estimation du PIB pour 2017 sera connue mercredi. Une spectaculaire poussée de 6 à 7% est attendue, après une progression de 8,6% au cours des trois premiers trimestres, qui devrait faire de la Roumanie le champion européen de la croissance.

Loin de féliciter ce pays au niveau de vie le plus faible de l’UE, après la Bulgarie, les institutions internationales ont multiplié les mises en garde.

“Le principal moteur de la croissance a été la consommation des ménages, stimulée par les baisses de taxes et les majorations salariales. L’investissement public est en baisse pour la deuxième année consécutive”, a souligné la Commission européenne.

Or les besoins de ce pays de 20 millions d’habitants sont énormes en terme d’équipements de santé, d’éducation, de transports. La Roumanie compte à peine 550 km d’autoroutes et le réseau ferroviaire se dégrade, les trains circulant à 44km/h en moyenne, contre 78 km/h en 1990.

“Aucun sou n’a été dépensé en 2017 pour acheter du matériel roulant, tandis que les voies ferrées n’ont été modernisées que sur de très courtes distances”, affirme à l’AFP Viorel Istrate, responsable d’un syndicat des cheminots.

“La situation sera encore plus dramatique en 2018, les budgets ont été encore amputés”, déplore-t-il.

La Première ministre sociale-démocrate Viorica Dancila, installée fin janvier, a promis la construction de 350 nouveaux km d’autoroutes d’ici 2020.

Mais Doina et son mari Matei, grands amateurs de randonnées en montagne, n’y croient plus.

“Cela fait plus de dix ans qu’on nous promet 50 kilomètres d’autoroute entre Comarnic et Brasov (centre) mais le projet n’a même pas démarré”, dit Doina, médecin âgée de 39 ans, déplorant les énormes embouteillages tous les week-ends sur la route reliant Bucarest aux stations touristiques des Carpates.

Après son retour au pouvoir, en décembre 2016, la majorité de gauche a fait voter des augmentations de salaire dans la fonction publique et la hausse de plusieurs prestations sociales.

– Volatilité –

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) déplore un creusement des déficits suite à cette hausse des dépenses, agitant le spectre d’une “surchauffe” de l’économie.

L’inflation a atteint 3,3% sur un an en décembre, son plus haut niveau depuis plus de quatre ans.

“La tendance devrait se maintenir en 2018,” a indiqué à l’AFP Matteo Patrone, directeur régional de la Berd pour la Roumanie et la Bulgarie

Amalia Ionescu, ingénieur à la retraite, le constate tous les jours au marché: “Les prix ont carrément explosé”. Les oeufs ont augmenté de 43%, le beurre de 22% et les fruits de 11%.

“Le gouvernement s’est trompé en pensant que la production locale irait de pair avec la demande”, souligne M. Paun : les Roumains ont notamment acheté des biens importés. Le déficit commercial a ainsi augmenté d’un tiers en 2017, s’élevant à près de 13 milliards d’euros.

Malgré les fortes disparités entre villes et campagnes, les Roumains peuvent se réjouir du doublement du salaire minimum entre 2013 et 2017, passé de 700 à 1.450 lei (de 157 à 319 euros). Mais l’évolution de la productivité n’a pas suivi, dégradant la compétitivité des entreprises, déplorent les employeurs.

La Roumanie avait connu une euphorie similaire en 2007-2008, avant de sombrer dans une profonde récession. Une cure d’austérité avait suivi, assortie de coupes salariales de 25% et d’une aide d’urgence du FMI et de l’UE.

“Si nous regardons la croissance économique des 25 dernières années, nous voyons une très grande volatilité: des périodes d’expansion soutenue ont été suivies d’effondrements tout aussi spectaculaires”, note M. Paun.

C’est la démonstration, selon lui, que la Roumanie n’a pas su profiter de son intégration dans l’UE et “transformer le projet européen en bien-être pour ses citoyens”.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content