Avec sa marque de vêtements, Davy Denduyver permet à chacun d’exprimer son mal-être

© Lost In The World

À la suite du décès de son père, Davy Denduyver a fondé sa marque de vêtements. Ce qui a commencé comme un exutoire créatif lui a finalement appris à parler de ses sentiments. “Je ne serai plus jamais heureux à 100% et je m’y suis résigné.”

Nous rencontrons Davy Denduyver à Bruges. Le jour de notre rendez-vous, la vague de chaleur déferle encore sur les pavés du centre-ville battus par les sabots des chevaux qui promènent des touristes enthousiastes. “Mes proches s’attendaient à ce que j’aille vivre à Gand”, glisse-t-il d’emblée. “Ici à Bruges, on ne sait même pas que je confectionne des vêtements. Cela m’apaise.” Son sourire dévoile une dent en or. “Je choisis délibérément d’aller à contre-courant dans la plupart des choses que je fais.”

J’ai réalisé mes premières créations avec du matériel de sérigraphie en mauvais état et cinq cents euros pour acheter des t-shirts blancs. Du grand professionnalisme.

Davy a lancé sa marque de vêtements Lost In The World il y a un peu plus de six ans. Même s’il a imaginé de nombreux slogans mélancoliques ou déprimants pour ses t-shirts (du genre : I feel perfectly terrible), nous ne pouvons pas lui apposer l’étiquette de styliste. “Que les choses soient claires, je suis tout simplement un type qui a des idées et aime les vêtements”, explique-t-il.

“Un t-shirt, c’est très facile à faire et ça coûte trois fois rien. J’ai réalisé mes premières créations avec du matériel de sérigraphie en mauvais état et cinq cents euros pour acheter des t-shirts blancs. En deux semaines, la collection était bouclée. Nous avons pris les photos du premier lookbook sur le parking de Mediamarkt et j’ai joué au mannequin avec d’autres. Du grand professionnalisme.”

L’accident de son père

Nous ne pouvons pas parler de Lost In The World sans évoquer la mort soudaine de son père il y a six ans. “J’ai toujours du mal à aborder ce sujet, car je ne veux pas faire du mélodrame, mais je me suis effectivement lancé dans Lost In The World à la suite du décès de mon père. Sans cet événement tragique, rien de tout cela ne serait arrivé. Et tout ce que je fais aujourd’hui, je le fais pour lui.” Davy boit une grande gorgée de coca et pose son verre le sourire aux lèvres. “Un jour, lors d’un événement pop-up à Gand, ma mère m’a dit qu’elle ne comprenait pas ce que je faisais, mais que mon père aurait apprécié ma prise de risques. Dans sa bouche, c’est ce qui se rapproche le plus du je suis fière de toi.”

Avec sa marque de vêtements, Davy Denduyver permet à chacun d'exprimer son mal-être
© Daniil Lavrovski

“Quand mon père a perdu la vie en chutant d’une échelle, je faisais une année de spécialisation dans le secondaire. À l’époque, je détestais tout et tout le monde. Aujourd’hui, être bizarre n’étonne plus personne. Autrefois, la différence était mal perçue. Les enfants peuvent être sans pitié. J’étais en classe avec des dealers et certains avaient déjà fait de la prison. C’était complètement dingue.”

Pendant longtemps, Davy ne parvenait pas à parler de la mort de son père. “Quatre mois après l’accident, j’ai retrouvé des amis anglais à l’occasion d’un concert. Quand ils m’ont demandé comment j’allais, j’ai répondu que tout allait très bien.” Il a fallu quatre ans à Davy pour pousser la porte d’une psychologue. “Aujourd’hui, j’ai de la compassion pour cette dame. Je suis entré dans son cabinet et lui ai balancé : Qu’allez-vous pouvoir faire pour moi ? Mon père me manque et vous ne pourrez pas le ramener.”

Afin de donner à Davy le temps nécessaire pour traiter ce traumatisme et affiner la structure du label, Lost In The World a été en quelque sorte mis au frigo ces deux dernières années. “Je devais reprendre le cours de ma vie avant de pouvoir me lancer dans une nouvelle collection.”

Quand on affiche littéralement ses sentiments sur son t-shirt, il devient impossible de ne pas en parler.

Un nouveau départ

Six ans après le lancement de la marque, le moment est venu pour une nouvelle ligne. “Ces deux dernières années, j’ai compris que je n’étais plus dépressif mais que je ne serais plus jamais heureux à 100%. Et je m’y suis résigné. J’éprouve toujours des difficultés à parler de mes sentiments et je préfère créer plutôt que d’avouer à un ami que je n’ai pas la pêche. Mais quand on affiche littéralement ses sentiments sur son t-shirt, il devient impossible de ne pas en parler. Cela m’a valu tellement de conversations gênantes que j’ai fini par m’y faire. O.K., j’ai des tendances suicidaires. Et alors ?”

Avec sa marque de vêtements, Davy Denduyver permet à chacun d'exprimer son mal-être
© Davy Denduyver

Au début, Davy créait des t-shirts pour se changer les idées, mais après un certain temps, d’autres personnes ont donné un sens qui leur est propre à ses inscriptions. “J’ai trouvé ça cool de voir qu’une chose aussi personnelle pour moi avait une autre signification pour quelqu’un d’autre. J’ai confectionné beaucoup de t-shirts sur le thème des ruptures amoureuses et à propos d’une personne en particulier. Et soudain, ces textes ont commencé à remonter le moral des autres.”

What’s your budget?

Depuis un certain temps déjà, les créations de Davy rencontrent un accueil favorable sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter. Ainsi, son t-shirt What’s your budget? – qui ne fait pas partie de la collection Lost In The World et dénonce les marques qui font travailler les créatifs à moindres coûts dans le seul but d’augmenter leur notoriété et les likes – a remporté un franc succès. “Ce modèle a directement été épuisé.”

Au début, les créations de Davy ne suscitaient pas l’enthousiasme de sa famille. J’ai longtemps pensé que si je leur annonçais que j’arrêtais pour aller travailler comme caissier au Delhaize, ils seraient soulagés et éprouveraient moins de difficultés à expliquer ce que je fais. Aujourd’hui, ils sont obligés de dire que je réalise des imprimés bizarres”, confie-t-il en éclatant de rire. “Ça m’a longtemps tourmenté, mais ils voient maintenant que je peux payer mon loyer et qu’il me reste de l’argent pour acheter des chaussures tout aussi bizarres. Ça aide.”

Davy n’a ni stratégie de vente à grande échelle ni campagne de marketing sous le coude pour le lancement prochain de sa nouvelle collection. “Je ne veux pas être lié à des investisseurs car je ne fais pas ça forcément pour gagner de l’argent. Tant que je n’enregistre pas de pertes, je continue. Mes créations m’aident et aident visiblement d’autres personnes. Pour moi, c’est suffisant. Certains dépensent des milliers d’euros pour partir en vacances. Moi j’utilise cet argent pour faire des t-shirts.”

La seule chose qu’il changerait en cas de succès commercial de sa prochaine collection serait d’engager une personne supplémentaire pour s’occuper de la communication. “Je pense qu’il s’agit du plus gros obstacle à ma carrière. Je me dis trop souvent : Oh, et puis m* !

Designer free-lance, Davy Denduyver lancera en 2019 une nouvelle collection pour sa marque Lost In The World. Découvrez ses créations précédentes ici.

Traduction : virginie·dupont·sprl

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